RDC : l’élection présidentielle, loin à l’horizon

Depuis décembre 2016, l’exécutif congolais est conduit par Joseph Kabila et un Premier ministre issu de l’opposition. Cette cohabitation peut-elle tenir jusqu’à la présidentielle ?

Joseph Kabila, président de la RD Congo, lors du scrutin de juillet 2006. © JEROME DELAY/AP/SIPA

Joseph Kabila, président de la RD Congo, lors du scrutin de juillet 2006. © JEROME DELAY/AP/SIPA

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Publié le 2 août 2017 Lecture : 4 minutes.

Des enfants congolais s’entraînent à la boxe au stade Tata Raphael à Kinshasa, capital de la République démocratique du Congo, lieu mythique ou s’est déroulé le « combat du siècle » entre Mohamed Ali et Georges Foreman le 30 octobre 1974. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA
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La RDC, hors normes

Un échiquier politique illisible, des élections qui une fois encore risquent d’être reportées, une dépression financière sans précédent… Face aux incertitudes auxquelles ils sont confrontés, les Congolais semblent pourtant ne pas se résigner.

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C’est devenu un rituel. Chaque matin, avant d’étaler quelques liasses de billets de banque sur sa table, Pitshou passe un coup de fil à l’un de ses contacts de la Banque centrale du Congo. En une minute chrono, il s’enquiert du « taux du jour ». La conversation entre ce cambiste de 43 ans, installé près de la place Victoire, à Kinshasa, et son interlocuteur tourne autour d’une seule question : « Comment le franc congolais se porte-t-il aujourd’hui ? » Et la réponse est souvent la même ces derniers mois : « Très mal. »

Après avoir raccroché, l’opérateur de change se rend dans sa petite agence, où il efface du tableau noir de la devanture le taux de change de la veille, déjà caduc… Chaque jour, la monnaie nationale perd de la valeur.

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Révolues les années de stabilité de la décennie 2000 : l’heure de la dépréciation du franc congolais est de retour. Et cela se ressent cruellement dans le portefeuille des classes moyennes, en particulier chez les fonctionnaires.

« Il y a quelques mois, mon salaire mensuel de 920 000 francs congolais pouvait être converti en environ 1 000 dollars. Aujourd’hui il n’en vaut même plus 600 », confie un magistrat du parquet, désabusé. D’autant que, pour ne pas subir les fluctuations du franc congolais, les prix des loyers, du carburant comme des produits de première nécessité, mais aussi les frais de scolarité restent, eux, calqués sur la devise américaine

Un plan et des efforts budgétaires

Le nouveau gouvernement se dit conscient de cette perte continue de pouvoir d’achat et des conséquences qui en découlent. Nommé le 7 avril par le chef de l’État, le Premier ministre, Bruno Tshibala, a annoncé un plan d’urgence de stabilisation et de relance de l’économie pour tenter de redresser la situation.

Un effort budgétaire a également été consenti afin d’ajuster la masse salariale des agents et des fonctionnaires de l’État. « Il ne faut surtout pas que cette dégradation de la vie perdure. Elle pourrait aggraver le climat déjà tendu, ajoutant à la crise politique en cours une crise sociale », prévient un député, membre de la commission chargée de l’économie et des finances à l’Assemblée nationale.

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C’est d’ailleurs pour éviter le chaos que les évêques catholiques avaient accepté de troquer leur soutane contre le costume de médiateur de la dernière chance entre le camp du président, Joseph Kabila, et celui de l’opposant Étienne Tshisekedi, aujourd’hui décédé.

Dans le cadre de ces négociations parrainées par la Conférence épiscopale nationale congolaise (Cenco), un accord a été conclu in extremis le 31 décembre 2016. Ce compromis devait conduire à un partage de responsabilités pour une gestion consensuelle du pays jusqu’à l’élection du successeur de Joseph Kabila, dont le second mandat était arrivé à terme le 19 décembre sans que le scrutin ait pu être organisé. Selon les termes de l’accord, la tenue de cette élection, de même que celle des législatives et des provinciales, a été reportée à la fin de 2017.

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Report annoncé pour après 2017

Mais, dès le 7 juillet, alors qu’il était en déplacement en Europe, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Corneille Nangaa, a annoncé, depuis Paris, « l’impossibilité d’organiser les scrutins dans les temps et, donc, leur probable report après 2017 ». Ce qui n’a pas manqué de provoquer un tollé au sein de l’opposition, de la société civile et de la communauté internationale.

Pourtant, malgré d’âpres tractations, seule une partie de l’opposition a signé, le 27 avril, l’« arrangement particulier » avec la Majorité présidentielle (MP) et ses alliés. Le Rassemblement, plateforme désormais dirigée par Félix Tshisekedi, fils du défunt opposant historique, et par Pierre Lumbi, un proche de Moïse Katumbi, s’est retiré des pourparlers, dénonçant une violation de l’esprit et de la lettre de l’accord de la Saint-Sylvestre.

Une position partagée par la Cenco, qui ne cesse d’appeler la majorité à appliquer « de bonne foi » le compromis politique trouvé en décembre. Pour l’instant, rien n’y fait. Sept mois après la fin de son deuxième quinquennat (et au bout de seize ans et demi à la tête du pays), Joseph Kabila, 46 ans, s’est au contraire replacé au cœur de l’échiquier politique.

Élargissant davantage, selon un astucieux dosage, sa famille politique en confiant des postes ministériels à quelques-uns de ses détracteurs d’hier. Résultat : le bras de fer avec le Rassemblement persiste. Et la période préélectorale, qui se voulait apaisée, se révèle in fine agitée, bien loin de la décrispation politique annoncée.

« Un mauvais départ », reconnaît Aubin Minaku. Pour le président de l’Assemblée nationale et secrétaire général de la MP, le « manque d’humilité » des protagonistes y est aussi pour beaucoup. « Le Rassemblement a une large part de responsabilité dans cette mise en œuvre progressive et laborieuse de l’accord du 31 décembre », estime-t-il. À l’en croire, « le président Kabila aurait nommé comme Premier ministre la personne souhaitée » par ledit groupement politique si celui-ci avait accepté de lui soumettre trois candidats à la fonction.

« C’est Kabila, le problème ! »

Du côté du Rassemblement, on a évidemment une tout autre lecture de la crise. « C’est Kabila, le problème ! » répète Martin Fayulu, l’un des cadres de la coalition.

Candidat déclaré à la présidentielle, le leader de l’Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé) soupçonne même le chef de l’État de vouloir « retarder indéfiniment l’organisation des élections en RD Congo et se maintenir ainsi au pouvoir ».

Depuis près d’un an, miliciens et forces gouvernementales s’affrontent dans les Kasaï, déversant sur les routes près de deux millions de déplacés internes et des centaines de milliers de réfugiés qui fuient les exactions.

La Ceni n’a d’ailleurs pas été en mesure, jusqu’à présent, de procéder à l’inscription des électeurs dans ce nouveau foyer de tensions. S’éloigne-t-on du même coup de la première possibilité d’alternance démocratique en RD Congo ? Il est trop tôt pour l’affirmer. « Les élections auront bel et bien lieu ! » assure Aubin Minaku. Certes, mais quand ?

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