Côte d’Ivoire : un système de santé encore à la peine malgré les réformes engagées

Vétusté des services, sous-effectifs, désorganisation… Malgré les réformes en cours, le système de santé accuse encore d’importants déficits financiers, techniques et humains.

Aux urgences du CHU de Yopougon, le 20 avril 2017. © Julien Clémençot pour JA

Aux urgences du CHU de Yopougon, le 20 avril 2017. © Julien Clémençot pour JA

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Publié le 26 juillet 2017 Lecture : 6 minutes.

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Dans le couloir des urgences, le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody fait patiemment mais fermement passer son message. « Ne vous asseyez pas par terre, allez sur les bancs à l’accueil », répète-t‑il au groupe de femmes et d’hommes venus accompagner leurs parents. Le matin même, il s’était déjà arrêté pour demander aux gens allongés dans le hall de sortir. Mais le docteur Djoussoufou Méité a conscience que rien n’est fait pour accueillir les familles dans de bonnes conditions.

« Culturellement, c’est en plus très difficile pour elles de ne pas se déplacer en nombre pour marquer leur soutien », explique-t‑il. Du coup, la salle d’attente ne désemplit jamais, et des dizaines de personnes dorment chaque nuit à même le sol autour de l’établissement. Le regard fatigué, une femme d’une quarantaine d’années attend d’être rejointe par sa sœur. Son mari a été admis il y a vingt-quatre heures pour traiter son hypertension. Faute de chambres bien équipées dans les étages, les patients restent fréquemment quarante-huit heures, parfois plus, aux urgences. Pourtant Cocody fait figure de vitrine pour la médecine hospitalière ivoirienne.

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En 2014, le décès aux urgences du mannequin Awa Fadiga avait suscité un vif émoi et alimenté la polémique sur l’état de déliquescence du système de santé. Dans la foulée du scandale, la présidence de la République avait ordonné la rénovation du service.

Échographie, radiologie, laboratoire d’analyses, réfection des bâtiments… Au total, 3 milliards de F CFA (plus de 4,5 millions d’euros) ont été investis pour mettre à niveau les urgences, qui voient chaque année défiler près de 40 000 patients. « Nous disposons maintenant de l’essentiel en matière d’équipement. C’est sur l’organisation que nous devons poursuivre nos efforts », estime Djoussoufou Méité.

Actuellement, les équipes du professeur Kignelman Horo, responsable des urgences, expérimentent des chariots sur lesquels sont proposés en accès libre les médicaments indispensables au traitement des cas les plus graves.

20 % des patients admis aux urgences de Cocody y décèdent

Cela évite aux familles d’avoir à se rendre à la pharmacie de l’hôpital avec leur ordonnance. Ce qui ralentissait d’autant plus la prise en charge médicale. L’amélioration de l’efficacité du système reste un impératif : 20 % des patients admis aux urgences de Cocody y décèdent. « Cela s’explique par la gravité des cas, par les retards de diagnostic quand il s’agit de maladies comme le cancer, par des temps de transport très longs et aussi parfois par un retard dans la prise en charge », admet le directeur.

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Un manque de moyens financiers

Si l’amélioration du fonctionnement est un objectif affiché du gouvernement, les contraintes budgétaires sont un frein permanent.

Par manque de moyens, tout se dégrade plus vite », constate, inquiet, le Dr Méité.

Sur un budget annuel de 10 milliards de F CFA, 70 % des dépenses du CHU de Cocody sont consacrées aux frais de personnel de ses 1 200 salariés, quand cela ne devrait pas dépasser 30 %, estime le directeur.

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Résultat, l’an dernier, seulement 1,5 milliard de F CFA ont été réservés à la maintenance et à l’entretien des bâtiments et des équipements. « Par manque de moyens, tout se dégrade plus vite », constate, inquiet, le Dr Méité.

Sur les 495 lits théoriquement disponibles, seuls 350 sont fonctionnels

Au CHU de Yopougon, la situation est encore plus critique. Inauguré au début des années 1980, l’hôpital est aujourd’hui vétuste. Sur les 495 lits théoriquement disponibles, seuls 350 sont fonctionnels. Bâti en périphérie de la commune la plus peuplée de la capitale économique, son service d’urgences ne disposait au moment de sa conception que de trois lits.

Aujourd’hui, près d’une dizaine de patients sont en permanence entassés dans une ancienne salle d’attente. Quant aux accidentés – nombreux en raison de la proximité de l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro –, on les a remisés dans un local sans confort situé au niveau de la sortie. De l’autre côté du couloir, le CHU a aussi aménagé à la va-vite un petit espace pour les urgences pédiatriques.

« Cela fait quatre ans que j’entends parler du projet de réhabilitation, je ne sais plus si je dois y croire », observe amèrement le professeur Dick Rufin, président de la commission médicale de l’établissement. Que ferait-il si lui ou sa famille avait un problème ? « J’irai dans une clinique privée », confie-t‑il sans détour.

Les problèmes financiers touchent aussi les hôpitaux de proximité comme celui de Port-Bouët, situé à la sortie d’Abidjan. Composé de modestes pavillons réhabilités à la fin des années 1990, l’établissement a enregistré près de 80 000 consultations en 2016, soit une augmentation de sa fréquentation de 100 % en six ans.

Quand il lui faudrait 300 millions de F CFA pour fonctionner normalement, il n’obtient que 100 millions. « Nos équipements se sont néanmoins améliorés ces dernières années. Depuis la fin de la crise, nous avons obtenu la création de trois blocs opératoires, auxquels sont venus s’ajouter un gros stérilisateur, des appareils de radio numériques et des lits. Nous avons pu créer des consultations de diabétologie et de cardiologie », explique le docteur Ernest Atté Boka, directeur de l’hôpital général de Port-Bouët depuis 2010.

Une volonté politique qui ne suffit pas

Dans son bureau, Raymonde Goudou Coffie, ministre de la Santé depuis 2012, n’ignore rien des difficultés que rencontrent les hôpitaux ivoiriens. « Nous avons trouvé un système de santé plus bas que terre où rien n’avait été fait pendant plus de dix ans », rappelle-t‑elle. « Au plus fort de la crise, ce sont souvent les structures communautaires qui ont assuré la continuité des soins », explique le Dr Djoussoufou Méité.

La Côte d’Ivoire affiche un médiocre ratio d’un médecin pour près de 6 000 habitants

Malgré le retour de la croissance, la ministre n’est pas parvenue à faire décoller significativement la part des dépenses publiques attribuée à la santé. La Côte d’Ivoire, qui affiche un médiocre ratio d’un médecin pour près de 6 000 habitants, reste loin de l’engagement pris à Abuja en 2001 de consacrer 15 % du budget national à la santé.

En 2017, cette part ne représentait que 6 % avant d’être rabotée pour tenir compte des problèmes de trésorerie du pays. « Il reste beaucoup à faire », reconnaît Raymonde Goudou Coffie, tout en soulignant les nombreux chantiers déjà menés.

Ces cinq dernières années, le gouvernement a débloqué le salaire des médecins, embauché plus de 10 000 professionnels de santé, construit une centaine d’établissements sanitaires de premier contact, lancé le chantier du nouveau CHU d’Angré, sans oublier la mise en place de la gratuité ciblée, qui n’existait pas avant 2010.

Cette dernière mesure permet aux citoyens d’être soignés gratuitement lorsqu’ils se rendent aux urgences. Mais sa mise en œuvre suscite de nombreuses incompréhensions. Très souvent, les patients doivent tout de même payer leurs médicaments, car le stock dévolu aux gratuités est épuisé.

Pour réconcilier les Ivoiriens avec leur système de santé, le gouvernement doit enfin améliorer la gouvernance des hôpitaux. Selon de nombreux témoignages recueillis, réclamer aux patients un bakchich pour accélérer leur prise en charge, y compris pour les cas les plus graves, est une pratique toujours en vigueur.

Vers une meilleure couverture dès 2018 ?

Djoussoufou Méité, directeur du CHU de Cocody, en est persuadé, la couverture maladie universelle (CMU) voulue par le président Ouattara est la seule solution pour offrir une meilleure prise en charge médicale aux Ivoiriens. En échange d’une contribution de 1 000 F CFA (1,52 euro) par mois, ce dispositif donnera accès à un certain nombre de soins, dont 70 % seront pris en charge par la Caisse nationale d’assurance maladie. L’enrôlement des bénéficiaires, démarré en 2015, est pourtant bien plus lent qu’espéré.

Sur une base de 2,15 millions de personnes recensées, seules 735 000 se sont effectivement inscrites. « Nous devons davantage communiquer », reconnaît Raymonde Goudou Coffie, la ministre de la Santé. Fin avril, le gouvernement a lancé une première phase expérimentale couvrant 150 000 étudiants pour six mois. La généralisation de la CMU est toujours prévue pour début 2018.

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