Médias : comment est élaboré le classement mondial de RSF sur la liberté de la presse ?

Reporters sans frontières vient de publier son classement mondial de la liberté de la presse 2017. Jeune Afrique s’est penché sur la méthodologie adoptée par l’ONG.

Un présentoir de journaux près de Kampala (Ouganda) en 2016. © Ben Curtis/AP/SIPA

Un présentoir de journaux près de Kampala (Ouganda) en 2016. © Ben Curtis/AP/SIPA

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Publié le 3 mai 2017 Lecture : 3 minutes.

C’est un rituel qui, chaque année, depuis 2002, aboutit à colorer le monde en cinq teintes en fonction du seuil de tolérance à la liberté de la presse dans chaque pays. À cette remise des diplômes, nul bon élève sur le continent : le blanc, synonyme d’excellence (« situation bonne »), est réservé à une petite élite concentrée en Europe du Nord. Nos meilleurs éléments, qui ne sont pas légion (Namibie, Afrique du Sud, Cap-Vert, Botswana, Ghana, Burkina Faso et Comores), doivent donc se contenter du jaune, qui traduit une « situation plutôt bonne ».

Mais pour l’essentiel, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a repeint l’Afrique en orange (« problèmes sensibles ») et rouge (« situation difficile »). Dans la première catégorie, la plupart des autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Gabon et une fraction du littoral oriental. Dans la seconde, la quasi-totalité de l’Afrique centrale, le Mali et le Nigeria, l’Algérie et le Maroc, et enfin l’Éthiopie. Restent les cancres (« situation très grave »), coloriés en noir. Du Maghreb à la corne de l’Afrique, ils semblent se serrer les coudes : Libye, Égypte, Soudan, Djibouti, Érythrée et Somalie, plus les deux confettis burundais et équato-guinéen.

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Curieux hit-parade

Voilà pour le hit-parade, qui donne lieu annuellement à une intense couverture médiatique. Sa lecture incite néanmoins à s’interroger sur les modalités de réalisation de ce baromètre réputé. C’est ainsi que, en huitième position des pays africains, la République islamique de Mauritanie (55e sur 180), présidée par des militaires quasi sans interruption depuis 1978, se distinguerait en matière de liberté de la presse, selon RSF, devant ses voisins sénégalais (58e), marocain (133e) et algérien (134e).

Un continent sombre © Source : RSF/capture d’écran

Un continent sombre © Source : RSF/capture d’écran

Difficile, pourtant, de comparer la marge de manœuvre dont jouissent les journalistes sénégalais avec celle offerte à leurs pairs mauritaniens. « Depuis début 2016, une circulaire gouvernementale interdit aux administrations publiques de passer des annonces dans la presse privée », rappelle Ahmed Ould Cheikh, directeur du Calame, un hebdomadaire qui a perdu ainsi 50 % de son chiffre d’affaires. Et, toujours en 2016, le talk-show télévisé du journaliste Ahmedou Ould Wediaa a été suspendu un mois pour avoir abordé des sujets sensibles.

Quant au Rwanda, classé 159e, il précède d’une toute petite place son voisin burundais (160e), premier pays en noir du classement. Il compte pourtant de nombreuses radios et chaînes de télévision privées, tout en étant ouvert à la presse internationale, tandis que le Burundi, depuis le début de la crise électorale, en 2015, a vu la totalité de ses médias indépendants fermer leurs portes et une grande partie de leurs journalistes opter pour l’exil.

Des experts interrogés

À l’origine du classement, un questionnaire de seize pages est adressé chaque année à divers experts (journalistes, juristes, universitaires…) sélectionnés par l’ONG, lesquels indiquent en retour leur perception des principaux enjeux en matière de liberté de la presse.

 Il ne s’agit pas de mesurer la qualité de l’air mais quelque chose de plus diffus. Il y a une dimension subjective, c’est sûr

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Leur anonymat est préservé, quel que soit le pays concerné. « Je n’ai pas été convaincu par la pertinence du questionnaire, dont la teneur m’a semblé trop subjective », témoigne le journaliste sénégalais Madiambal Diagne, président de l’Union internationale de la presse francophone.

Selon Prem Samy, chargé du classement à RSF, « l’échantillon interrogé varie, selon les pays, entre cinq et une dizaine de personnes, parfois davantage » – loin d’un panel véritablement représentatif. « Il ne s’agit pas de mesurer la qualité de l’air mais quelque chose de plus diffus. Il y a une dimension subjective, c’est sûr », admet-il.

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