RD Congo – Aubin Minaku : « L’opposition veut nous faire avaler des couleuvres ! »

Dauphin putatif de Kabila, le président de l’Assemblée nationale présente l’accord politique conclu fin 2016 comme la base d’une sortie de crise. Sans pour autant ménager le camp adverse…

Aubin Minaku, le 9 mars 2017, dans un hôtel du 8e arrondissement parisien. © Vincent Fournier/JA

Aubin Minaku, le 9 mars 2017, dans un hôtel du 8e arrondissement parisien. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 29 mars 2017 Lecture : 5 minutes.

Devant la porte, l’agent de sécurité monte la garde, affalé sur sa chaise. Dans la suite de cet hôtel du triangle d’or parisien, dans le 8e arrondissement, Aubin Minaku s’apprête à quitter la capitale française pour se rendre à Bruxelles, deuxième étape de son opération de déminage auprès des partenaires européens de la RD Congo.

La menace de sanctions brandie par l’Union européenne contre des proches du président Joseph Kabila est en effet toujours d’actualité, d’autant que l’accord politique conclu in extremis le 31 décembre 2016 peine à s’appliquer. De quoi pousser le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, de surcroît secrétaire général de la Majorité présidentielle (MP), à entrer en jeu.

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« Je resterai loyal »

Dans son costume de VRP du régime, cet élu d’Idiofa (Ouest) se montre d’autant plus pugnace qu’il paraît le mieux placé, sur le papier, pour reprendre le flambeau au sein de la MP si la prochaine présidentielle se tenait sans Kabila. On est encore loin de l’échéance – la fin de l’année 2017 – mais Minaku, 52 ans, se tient « prêt ». « Pas question pour autant de nous inscrire dans une logique de putsch contre le chef. Je resterai loyal », confie l’ancien magistrat.

Et contrairement à ses prédécesseurs au perchoir, Vital Kamerhe et Évariste Boshab notamment, il peut encore prétendre avoir la confiance du président. « Les deux hommes se téléphonent régulièrement », confirme une source diplomatique congolaise.

Jeune Afrique : Plus de deux mois après la signature de l’accord de la Saint-Sylvestre, ses mesures d’application ne sont toujours pas adoptées. Qu’est-ce qui bloque ?

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Aubin Minaku : En dépit des blocages que vous évoquez, des avancées significatives méritent d’être signalées. Sur décision du président Joseph Kabila, le poste de Premier ministre a été confié au Rassemblement de l’opposition alors que le bureau politique de la MP avait, vingt-quatre heures plus tôt, adopté une position contraire. J’ai vu des cadres de ma famille politique pleurer, le 31 décembre, lorsque la nouvelle a été annoncée par un évêque membre de la médiation. Nous n’avions pas eu le temps de préparer nos camarades.

C’est toujours Joseph Kabila qui porte le meilleur projet de société pour la RD Congo.

L’accord a permis de poser des principes. Mais en RD Congo, trop souvent, lorsque l’on doit s’accorder sur le nom de ceux qui occuperont tel ou tel poste, des blocages apparaissent. Il n’y a pas si longtemps, l’opposition se disait pressée d’aller aux élections et ne jurait que par le respect du calendrier constitutionnel. Depuis, son discours a changé : tout le monde en son sein veut devenir Premier ministre !

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D’ailleurs, le vocable en vogue à Kinshasa n’est plus le wumela [« demeurer », en lingala, utilisé par les pro-Kabila favorables à son maintien au pouvoir] ni le yebela [« sachez-le », proclamé par les anti-Kabila pour le prévenir que son mandat est fini] mais le welela [« se précipiter »], pour tacler ceux qui convoitent des postes ministériels.

L’accord stipule clairement que le Premier ministre est « présenté par le Rassemblement et nommé par le président de la République ». Pourquoi alors exiger que ce dernier fasse son choix sur la base d’une liste de trois noms ?

Lorsque le chef de l’État nous a demandé de céder le poste de Premier ministre au Rassemblement, il nous a fallu nous accorder, en comité restreint, sur les modalités de sa désignation. Combien faudrait-il que cette coalition présente de noms à Kabila ? Les évêques ont proposé que l’opposition dresse une liste de trois candidats. Mais le Rassemblement s’y est opposé et a demandé de surseoir aux travaux.

Nous sommes finalement convenus de trancher cette question lors des négociations ultérieures portant sur la mise en œuvre de l’accord – c’est écrit noir sur blanc dans le compromis politique conclu le 31 décembre. Mais au lieu de reprendre la discussion, l’opposition entend nous faire avaler des couleuvres. C’est méprisant et inacceptable !

Dans ces conditions, les élections présidentielle et législatives sont-elles encore envisageables dans les délais prévus ?

Cela reste notre objectif mais chacun doit regarder la réalité en face. Les élections en RD Congo, c’est une lourde machine qu’il faut mettre en branle. Ce n’est pas comparable à un scrutin au Congo-Brazzaville, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Au-delà des questions politiques, il faut garder à l’esprit les contraintes logistiques auxquelles nous sommes confrontés. Cependant, je remarque que, même sans appui financier extérieur, la Commission électorale nationale indépendante a déjà enrôlé plus de 19 millions d’électeurs sur près de 45 millions estimés.

Accuser l’État d’initier des dossiers contre Moïse Katumbi, ce n’est pas sérieux.

Où en sont les mesures de décrispation annoncées ?

Certains prisonniers ont été libérés et des exilés autorisés à regagner le pays. Mais il convient de distinguer les individus qui peuvent bénéficier de ce geste politique et ceux qui sont concernés par une affaire judiciaire ouverte à la suite d’une infraction…

Ce qui signifie, selon vous, que le cas de Moïse Katumbi, qui n’est pas concerné jusqu’ici par ces mesures, n’a rien de politique ?

Je ne souhaite pas commenter son cas. S’il s’avère qu’il y a eu infraction, c’est malheureux pour lui. Ses avocats doivent néanmoins faire en sorte que cela n’ait pas une incidence négative sur ses ambitions politiques. Accuser l’État d’initier des dossiers politiques à son encontre, ce n’est pas sérieux. Une infraction demeure une infraction si un homme politique en est l’auteur. La loi doit s’appliquer.

À neuf mois de l’échéance, la MP a-t‑elle enfin trouvé son candidat ?

Laissez-nous avancer à notre propre rythme. Si nous estimons préférable de faire connaître notre candidat à sept jours du scrutin, alors ce sera notre stratégie. Pour l’instant, Joseph Kabila est notre guide. C’est toujours lui qui porte le meilleur projet de société pour la RD Congo. Mais nous présenterons des candidats à tous les échelons de l’État, de la base au sommet.

Cela ne trahit-il pas l’incapacité de votre famille politique à désigner le successeur de Joseph Kabila ?

Loin s’en faut ! Cela traduit la nécessité pour ceux qui sont au pouvoir, dans un contexte particulier, d’avoir une approche stratégique et intelligente et de savoir faire jouer la loi du silence.

La situation au Kasaï est de nature à compliquer davantage l’organisation des élections.

Vous présidez une Assemblée nationale dont le mandat a expiré. N’est-ce pas problématique ?

Vous pourriez poser la même question à Léon Kengo wa Dondo, le président du Sénat, dont le mandat a pris fin en 2012. Personnellement, je n’éprouve ni remords ni complexes car je suis en conformité avec la lettre et l’esprit de notre Constitution. En tant que député, je ne pourrais être remplacé que par un député d’Idiofa élu par le peuple, et non par un député nommé. Or il n’y a pas eu de législatives. Qui en porte la responsabilité ? C’est une autre affaire.

Cette situation d’illégitimité des institutions élues semble susciter de nouveaux foyers de tension. Ne risque-t‑on pas d’assister à une multiplication des insurrections à travers le pays, à l’instar de celle de Kamwina Nsapu au Kasaï ?

Ces insurrections ne sont pas acceptables et portent atteinte à l’unité de la nation. Nous devons tout faire pour mettre fin à ces velléités d’insurrection au Kasaï, voire dans le Kivu, où persistent aussi des poches d’insécurité. Cette situation, dangereuse pour la démocratie, est aussi de nature à compliquer davantage l’organisation des élections.

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