
Vue de Yaoundé, au Cameroun. © Ludwig Tröller/CC/Flickr
«L’argent ne circule pas ! » Ainsi se plaignent les Camerounais à Yaoundé ou à Douala. Et tant pis pour les non-initiés qui ne comprennent rien à ces lamentations.
C’est pourtant la réponse rituelle au non moins rituel « C’est comment ? », la contrefaçon locale de « bonjour ». Même la victoire des Lions indomptables en finale de la Coupe d’Afrique des nations le 5 février n’a que brièvement déridé ces incorrigibles bougons. Ils râlent contre la vie chère, les coupures d’eau et d’électricité, les fins de mois difficiles…
Un paradoxe, quand on regarde les indicateurs macroéconomiques de leur pays. De l’indice des prix jusqu’au taux de croissance, le tableau de bord est plus rassurant que celui de leurs voisins de la sous-région. De tous les membres de la Cemac, le Cameroun est celui qui souffre le moins de la baisse de ses revenus pétroliers.
Petit producteur à l’économie diversifiée, il a mieux digéré la crise, d’autant que la chute du prix du brut a été en partie compensée par une substantielle augmentation de sa production d’or noir. Selon la Société nationale des hydrocarbures, le pays a enregistré une hausse de sa production de 19,42% sur les quatre premiers mois de 2016, pour s’établir à 12,3 millions de barils.
Grands travaux d’infrastructures
La solidité de l’économie camerounaise face à la tempête pétrolière vient aussi, selon le FMI, de la politique de grands travaux d’infrastructures, dits structurants. Le port de Kribi, les autoroutes Yaoundé-Douala et Yaoundé-Nsimalen, les barrages hydroélectriques, les poses de câbles sous-marins et l’extension de la fibre optique… Elle tire également ses origines de l’histoire de la politique économique. Le président Ahmadou Ahidjo fit placer les revenus pétroliers dans un compte « hors budget » pour éviter au pays de « vivre au-dessus de ses moyens ».
Même si, au tribunal de l’Histoire, ses détracteurs lui reprochent le silence et l’opacité qu’il a entretenus autour de la production pétrolière et sa gestion très personnelle des recettes déposées dans des banques des îles Caïmans, ils ne peuvent contester le lien entre ce choix, certes peu démocratique, et le développement de l’agriculture, qui pesait 28,5% du PIB en 2015, selon la Banque mondiale. Par comparaison, elle ne contribue qu’à 20% de la richesse nationale du Nigeria.
Les atouts du Cameroun lui permettent de garder la tête hors de l’eau et même d’aider ses voisins. Selon un rapport du FMI sur la situation économique au Tchad – dont les revenus pétroliers ont fondu au point de diminuer (– 3% en 2016) –, Yaoundé a accordé à N’Djamena un prêt bilatéral d’un montant total de 30 milliards de F CFA (45,7 millions d’euros).
Réformer la politique de santé publique
Reste que cette économie camerounaise peine à améliorer le quotidien des habitants. Alors qu’on approche de la présidentielle de 2018, les électeurs auront à cœur de voir résorbés le déficit énergétique et les pénuries d’eau courante. Ils attendent également des propositions relatives au chantier prioritaire de la santé publique. Les scandales dans les hôpitaux ont révélé l’urgence de financer la création d’une couverture universelle pour que l’ensemble de la population dispose d’un égal accès aux services préventifs, curatifs, palliatifs.
Et cela en lieu et place de l’actuel système d’évacuations sanitaires – à l’étranger –, qui ne profite qu’à quelques privilégiés. Selon l’Institut national de la statistique, environ 90% des travailleurs camerounais sont dépourvus de toute couverture sociale. Résultat, le coût des soins expose les ménages à des difficultés financières. On comprend pourquoi les Camerounais se plaignent alors que « l’argent ne circule pas ».
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