Les recettes de l’économie camerounaise pour éviter la crise

Grâce à sa diversification et au dynamisme de son secteur privé, l’économie semble pouvoir éviter la crise. Mais il faut encore développer son industrialisation.

Motos au carrefour des deux église à Douala (Cameroun), septembre 2012. © Nicolas Eyidi/JA

Motos au carrefour des deux église à Douala (Cameroun), septembre 2012. © Nicolas Eyidi/JA

Clarisse

Publié le 22 février 2017 Lecture : 5 minutes.

Place du 20 mai, de nuit dans la ville de Yaoundé, au Cameroun. © Photo de Renaud Van Der Meeren pour les Éditions du Jaguar
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Cameroun : une économie à toute épreuve ?

Alors que les économies d’Afrique centrale tournent au ralenti depuis la chute des cours du pétrole et des matières premières, le pays semble en mesure d’éviter la crise.

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Douala, en plein après-midi, dans l’espace de réception d’un hôtel. Une femme d’affaires française en quête de projets dans lesquels investir écoute religieusement des entrepreneurs locaux. Ils parlent presque tous en même temps et fourmillent d’idées.

L’un, spécialiste en produits cosmétiques, souhaite s’attaquer à de nouveaux secteurs d’activité. L’autre, prêt à se lancer dans la 4G, compte devenir un fournisseur de premier plan à l’échelle panafricaine. Un troisième espère « de gros financements » pour développer sa PME et construire une centrale à gaz. « Il y a un mois, j’étais au Tchad, le temps semblait s’être arrêté. Ici, c’est l’effervescence ! s’exclame la businesswoman, dont c’est le premier séjour au Cameroun. C’est peut-être cela la fameuse “résilience”… »

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Une économie diversifiée

« Résilience », le mot est lâché. Même si, en décembre, le président Paul Biya a convoqué un sommet extraordinaire des chefs d’État des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) pour s’alarmer de la situation économique de la sous-région, les Camerounais n’ont que ce mot à la bouche. Leur pays, lui, résiste. Il tient bon.

Un recours à la méthode Coué, dans un Cameroun qui a vu ses dépenses militaires grimper en flèche (pour lutter contre Boko Haram) et découvert que 37 % de sa population vivait au-dessous du seuil de pauvreté ? « Pas le moins du monde, assure Roger Tsafack Nanfosso, recteur de l’université de Dschang (Ouest). Ce n’est pas non plus un simple élément de langage. Ce terme de résilience correspond à une réalité. Un exemple : alors que – morosité du secteur pétrolier oblige – le taux de croissance de la Cemac devrait se situer au-dessous de 1 % en 2016, contre 4,8 % en 2014, celui du Cameroun devrait atteindre 5 %. »

Et l’économiste de détailler les ressorts de la croissance nationale. « D’abord, c’est le seul des six pays de la zone Cemac qui peut se prévaloir d’une économie diversifiée, notamment dans l’agriculture, la sylviculture, la construction, l’industrie… Ainsi, alors qu’en 2015 en Guinée équatoriale, au Congo et au Gabon le pétrole a représenté respectivement 85%, 50% et 45% du PIB, au Cameroun ce taux n’a été que de 9%. »

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Industrialiser avant d’exporter

Le pays exporte par ailleurs plus que tous ses voisins réunis et il commercialise aussi bien le café, le cacao, le coton que la banane – laquelle répond aux normes européennes et se vend très bien sur le Vieux Continent. Il se distingue aussi par ses entreprises industrielles, qui font de lui le premier fournisseur de la Cemac en produits manufacturés : lait, bière, parfum, textile, machines, pièces mécaniques, etc. La liste est longue.

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Le Cameroun vient aussi d’adopter son nouveau plan directeur d’industrialisation (PDI). Certaines cassandres lui prédisent un avenir peu glorieux, se souvenant que le précédent plan n’a pas abouti, à cause de la crise économique du milieu des années 1980 et des programmes d’ajustement structurel qui en ont résulté.

« Yaoundé n’a pas eu de véritable boussole économique pendant des années, reconnaît Roger Tsafack Nanfosso. L’économie affichait une santé relative, certes, mais on avait du mal à en identifier le cap. L’objectif de ce PDI, que l’on peut d’ailleurs améliorer, est d’accroître le potentiel industriel du pays. L’idée, c’est donc de transformer davantage nos matières premières afin de créer de la valeur ajoutée. »

Le Cameroun, qui produit annuellement 200 000 tonnes de cacao depuis cinq ans, n’en transforme localement qu’environ 25%. Le plan de relance de la filière prévoit de porter ce taux à 50% à l’horizon 2025, pour une production de 600 000 t de fèves.

Partenariats public-privé

En même temps qu’il encourage l’industrialisation, l’État expérimente un nouveau modèle où le secteur public soutient le privé, ce qui contribue également à la résilience du pays. Il a récemment injecté 1,3 milliard de F CFA (près de 2 millions d’euros) dans le capital de la société de production et de commercialisation des produits du Cameroun (Producam, 825 emplois permanents, 1 000 saisonniers) de Kékem (Ouest), à laquelle il a en outre accordé d’importantes exonérations fiscales et douanières pour l’inciter à produire sur place : Producam prendra en charge la transformation de 30 000 t de fèves de cacao par an (20 % de la production nationale), pour livrer ainsi en moyenne 12 000 t de beurre de cacao et 6 000 t de poudre de cacao par an.

Située à Mbalmayo (Centre), près de Yaoundé, la ferme agropastorale de Ma’an Menyi (Fapam Industry), elle, a reçu 600 millions de F CFA lui permettant de porter de 25 % à 43 % la production de poudre de cacao. C’est à la fois une nouveauté et un élément de résilience : la confiance des pouvoirs publics envers le privé.

Autre explication de la résistance camerounaise face aux crises, le dynamisme du secteur privé, jusqu’ici happé par l’informel. Grâce à l’allégement des procédures de création d’entreprise (trois jours et un capital de 300 000 F CFA suffisent désormais) et à l’ouverture de centres spécialisés, quelque 40 000 sociétés ont été immatriculées depuis 2010.

Des success-stories

Au Cameroun comme à l’étranger, on continue de donner en exemple les success-stories des champions nationaux qui rayonnent à l’international, tels qu’Afriland First Bank, Biopharma (présent dans 22 pays) ou encore Express Union (4 000 salariés dans douze pays). Il faut ajouter que ces entreprises concurrencent désormais sur les marchés nationaux et sous-régionaux des multinationales qui évoluaient auparavant en situation de quasi-monopole.

Un phénomène qui, lui aussi, permet à l’économie nationale de tenir le cap de la croissance. Alors que le pays n’accueille pratiquement pas d’entreprises tchadiennes, gabonaises ou congolaises sur son sol, les sociétés camerounaises, elles, sont installées dans les pays de la Cemac. Même s’il faudrait qu’un plus grand nombre de compagnies prennent une telle envergure.

Des investisseurs à l’international

« Qu’on apprécie ou pas le régime en place, au cours de ces huit dernières années, le pays a gagné en crédibilité. Et le privé y a contribué, analyse Roger Nanfosso. On est très surpris de constater que les levées de fonds organisées par l’État intéressent des opérateurs aux quatre coins du monde, de la Chine à l’Australie en passant par les États-Unis. »

Malgré le déficit chronique affiché par quelques sociétés d’État, de la Camair-Co à la Cameroon Development Corporation (CDC), deuxième plus gros employeur du pays derrière le secteur public, la situation reste sous contrôle. Certes, le Nord et l’Extrême-Nord pâtissent encore de la présence de Boko Haram, pendant que certains s’inquiètent des tensions sociales dans la zone anglophone, dont les échanges commerciaux avec le Nigeria baissent.

Mais pour l’heure les analystes restent confiants, et ces troubles ne sauraient remettre en question les avancées économiques du Cameroun de ces dernières années.

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