Arts plastiques : afrofuturisme, ou l’utopie à l’oeuvre

Dans une série d’articles, « Jeune Afrique » questionne le concept d’afrofuturisme. Qu’en est-il dans le domaine des arts plastiques ? Photos, vidéos, sculptures, certains plasticiens africains entendent bien prendre le contrôle de leur histoire et de leur avenir.

Yinka Shonibare MBE, POP! exhibition. © Stephen Friedman Gallery, London, Britain

Yinka Shonibare MBE, POP! exhibition. © Stephen Friedman Gallery, London, Britain

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Publié le 27 octobre 2016 Lecture : 4 minutes.

Série photographique d’anticipation The Prophecy, réalisée en 2015 par le Belgo-Béninois Fabrice Monteiro. © fabrice monteiro
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Afrofuturisme, quand l’art imagine le futur

Conceptualisé dans les années 1990 aux Etats-Unis, l’afrofuturisme est un concept dans l’air du temps. Mais que signifie-t-il ? Le continent est-il devenu une terre féconde pour la science-fiction ? L’utopie a-t-elle de beaux jours devant elle ? Jetons un coup d’œil vers le futur.

Sommaire

Le 16 mai 2009, l’artiste canadienne d’origine tanzanienne Kapwani Kiwanga envoie vers Saturne, sous forme d’ondes radio, le portrait-robot du musicien Sun Ra, qui se disait originaire de cette planète. « Sun Ra poussait les gens à croire à l’impossible, à voir au-delà de leur présent pour imaginer un futur plein de promesses », explique-t-elle dans le numéro 5 de la revue Afrikadaa.

Après cette œuvre baptisée The Sun Ra Repatriation Project, elle récidivera en 2011 avec Afrogalactica, lecture performance de quarante-cinq minutes dans laquelle elle se présente en anthropologue du futur… L’artiste est donc fréquemment citée par les spécialistes quand ils évoquent l’afrofuturisme. Mais existe-t-il derrière ce vocable un mouvement artistique structuré ?

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Reappropriation de l’histoire

Oui, répond Pascale Obolo, la rédactrice en chef d’Afrikadaa. « Bien sûr que c’est un mouvement, qui a une base et une histoire, dit-elle. Beaucoup de choses ont été écrites et théorisées aux États-Unis, le mouvement a même été enseigné, Sun Ra a fait des master class, des entretiens audio, des conférences, à l’université Duke ! » Et s’il fallait en donner une définition, ce serait celle-là : « C’est une manière de se revendiquer, une philosophie qui permet de se redéfinir et de se libérer d’une histoire écrite par les vainqueurs.

Tout ce qui est impossible devient possible dans le futur. » Avec une telle présentation, le travail de l’artiste anglo-nigérian Yinka Shonibare MBE peut résolument être présenté comme afrofuturiste. Ses extraterrestres à la peau de wax (Dysfunctional Family) ou ses astronautes en combinaison de wax aussi (Space Walk) renvoient tout à la fois au futur et à une origine géographique africaine.

Dans la même veine, mais avec un travail radicalement différent, l’artiste angolais Kiluanji Kia Henda propose Icarus 13, une installation sur la première mission spatiale de son pays vers le Soleil, qui n’eut jamais lieu…

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Un sujet commun

« Je ne pense pas qu’on puisse qualifier l’afrofuturisme de mouvement, selon moi il s’agit plus d’un mélange éclectique de personnalités qui travaillent dans des domaines différents mais qui partagent une certaine esthétique », déclarait pourtant Kipwani Kiwanga à Afrikadaa. Une approche que rejoint Oulimata Gueye, qui travaille sur Africa SF, projet explorant les liens entre fiction, culture numérique, sciences et utopies à l’échelle du continent. « Personnellement, je ne parle pas d’afrofuturisme quand j’évoque des travaux d’artistes qui ont un lien avec l’Afrique et la question du futur, dit-elle. Je préfère les termes de “fiction spéculative” et de “science-fiction”. »

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Même son de cloche chez la commissaire d’exposition Salimata Diop, directrice artistique de la foire Akaa : « Je ne crois pas que le terme soit encore pertinent aujourd’hui. Un mouvement artistique se définit par une esthétique commune, or ce qui unit les artistes dits afrofuturistes, c’est un sujet. À l’opposé d’une esthétique commune, on voit des créateurs se prêter à l’exercice – imaginer un monde utopique et futuriste – dans leurs styles respectifs, propres et variés. »

Les vidéos de la Kényane Wangechi Mutu explorant la condition féminine, les photos du Belgo-Béninois Fabrice Monteiro sur les dégradations environnementales ou encore les lunettes du Kényan Cyrus Kabiru réalisées avec des objets de récupération sont souvent qualifiés d’afrofuturistes alors même qu’elles relèvent d’esthétiques très différentes.

« J’ai bien peur que la tendance afrofuturiste fascine avant tout parce que, après des siècles de stigmatisation, on est habitués à voir l’Afrique associée au passé, poursuit Salimata Diop. Le continent, c’est souvent, dans les esprits, les traditions ancestrales par opposition à l’innovation, le lien à la nature par opposition à la culture et à l’urbanisation, l’inné par opposition à l’acquis. C’est triste, mais un univers visuel moderne ou de science-fiction situé en Afrique demeure une image surprenante et originale. Les artistes, avec ou sans étiquette, contribuent heureusement à la construction d’une culture plus riche et plus pertinente. »

Et si l’Afrique n’avait pas connu l’esclavage, la colonisation, l’exploitation et la guerre ? Où en serions-nous aujourd’hui ?

En d’autres termes, le succès du terme « afrofuturisme » doit beaucoup au raccourci médiatique qu’il propose – et qui n’est pas sans danger. D’abord parce qu’il renvoie au futurisme italien du début du XXe siècle, soit un mouvement dont le principal penseur, Filippo Tommaso Marinetti, fut un ardent défenseur de la politique coloniale italienne… Ensuite parce que le préfixe « afro » implique une limitation territoriale réductrice…

Mutations

Quoi qu’il en soit, et même s’il est encore modeste sur la scène contemporaine, l’élan portant certains plasticiens vers l’avenir est particulièrement fécond en ce qu’il permet une relecture du passé, une réinterprétation du présent et une ouverture à tous les possibles. « Et si l’Afrique n’avait pas connu l’esclavage, la colonisation, l’exploitation et la guerre ? demande Salimata Diop. Rêvons ensemble et imaginons où nous en serions aujourd’hui. »

De son côté, Oulimata Gueye affirme que « la science-fiction met en exergue les imaginaires à l’œuvre sur le continent en lien avec les mutations urbaines, les technologies numériques, les sciences et la question des futurs ». Pour elle, c’est « le genre le plus à même de rendre compte des zones d’instabilité qui naissent entre ces différents champs ». De quoi demain sera fait ? Entre les astronautes de Yinka Shonibare et les monstres émergeant des déchetteries du Sud-Africain François Knoetze, le pire comme le meilleur sont à venir…

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