Science-fiction : l’Afrique de Mike Resnick

Auteur de renommée internationale, Mike Resnick voit son cycle de romans sur l’Afrique de l’Est réédité cette année en français. L’occasion de découvrir cet Américain qui a su faire du continent un territoire de science-fiction original.

Mike Resnick. © pyropyga/Flickr creative commons

Mike Resnick. © pyropyga/Flickr creative commons

Publié le 4 novembre 2016 Lecture : 6 minutes.

Série photographique d’anticipation The Prophecy, réalisée en 2015 par le Belgo-Béninois Fabrice Monteiro. © fabrice monteiro
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Afrofuturisme, quand l’art imagine le futur

Conceptualisé dans les années 1990 aux Etats-Unis, l’afrofuturisme est un concept dans l’air du temps. Mais que signifie-t-il ? Le continent est-il devenu une terre féconde pour la science-fiction ? L’utopie a-t-elle de beaux jours devant elle ? Jetons un coup d’œil vers le futur.

Sommaire

Avant, le Kenya était un paradis, disaient les Blancs. Un jour, le Kenya sera un paradis, assuraient les Noirs. Ces deux visions antagonistes marquèrent à ce point Mike Resnick lors de ses séjours africains qu’elles l’inspirèrent pour écrire de la science-fiction. « L’Afrique, c’est ce qui s’apparente le plus à ce que je pourrais décrire comme une société extraterrestre, soutient l’écrivain. Prenons Daniel arap Moi : devenu président de ce pays, il a fini par détenir la totalité des stations-service Mobil (appelées maintenant Kobil) et des DC-3 de la flotte d’Air Kenya, en plus de vastes terres cultivables, les White Highlands. Tout ceci en percevant un salaire de 20 000 dollars par an – une impossibilité légale, clairement – et personne n’a objecté, parce que le chef est supposé être l’homme le plus riche du village. Une société peut-elle sembler plus étrange ? »

Un nouveau monde kikuyu

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Lors d’un concours de nouvelles sur l’utopie lancé par Orson Scott Card (prolifique écrivain américain de SF, père de La Stratégie Ender et du Septième Fils), il imagina ainsi que des Kikuyus créaient leur monde idéal sur un planétoïde, y vivant selon leurs traditions ancestrales, quoi qu’il puisse leur en coûter. Ces récits, rassemblés sous le titre Kirinyaga (1998), lui valurent une renommée internationale, en France en particulier. Mais Mike Resnick n’en était pas à son coup d’essai. Lui qui a consacré au continent une demi-douzaine de livres et vingt récits plus courts avait, dès 1988, fait entrer ce dernier en science-fiction avec Ivoire, qui retrace l’itinéraire mouvementé de défenses d’éléphant ayant si étrangement porté malheur à chacun de leurs possesseurs qu’elles finirent par échouer dans les caves du British Museum.

Écrivain de SF le plus récompensé du monde pour ses nouvelles, l’auteur n’est pas non plus avare en romans : il en a déjà terminé six cette année, et deux autres vont suivre, a-t-il indiqué à JA lors des Imaginales, le festival littéraire d’Épinal (France). Un événement au cours duquel il a présenté L’Infernale Comédie, cycle de trois romans écrits il y a maintenant près de vingt ans et réédités cette année par la maison ActuSF. Dans Paradis (sorti aux États-Unis en 1989), Purgatoire et Enfer (parus tous deux en 1993), l’auteur, né en 1942 à Chicago, raconte, entre histoire et allégorie, le destin de trois États d’Afrique anglophone.

Une allégorie de la colonisation

Chaque récit relate la colonisation d’une planète par l’espèce humaine. « La plupart des gens admettront que si jamais nous parvenons à atteindre les étoiles, nous les coloniserons, et que si nous en colonisons beaucoup nous finirons par rencontrer des espèces pensantes, explique Resnick… Or l’Afrique présente une cinquantaine de cas distincts des effets délétères de la colonisation, pour les colonisés comme pour les colons. » Peponi, Karimon et Faligor sont donc les jumelles fictionnelles de pays bien réels : le Kenya, le Zimbabwe et l’Ouganda, dont Mike Resnick fait des territoires de science-fiction pour mieux dénoncer la colonisation et ses effets. Une science-fiction sans batailles spatiales ni sabres laser, avec juste ce qu’il faut de technologie pour assurer la suprématie des humains, « dix mille fois moins nombreux que les indigènes », auxquels ils apportent évidemment les prétendus « bienfaits de la civilisation », représentée par la République, alliance galactique de plus de 30 000 mondes rappelant l’Empire britannique. Bien entendu, il s’agit de « domestiquer » des « sauvages » étranges, aux réactions difficiles à interpréter…

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Premier univers abordé, Peponi est un « paradis » pour les chasseurs humains, avides de terrains vierges, qui déciment les animaux sauvages, puis pour les fermiers se réservant « l’usage des Hautes Terres » fertiles au détriment des locaux, jugés incapables de mettre en valeur ce joyau qu’est leur planète. Quand éclate la sanglante révolte des Kalakalas (frères fictionnels des rebelles mau-mau), la Flotte spatiale intervient, mais les anciens colons finissent par choisir l’exil. Une fois l’indépendance acquise, le président Buko Pepon, lui aussi porteur d’une vision pour Peponi, veille « à ne jamais avoir de successeur désigné » pour la préserver. Mais, à sa mort, tribalisme et corruption explosent. Ce paradis n’était-il pas un mythe ? Toute ressemblance avec des personnages réels ne serait que fortuite…

La conquête de Rocaille (c’est-à-dire la Rhodésie) est menée différemment. Cette fois, c’est une femme d’affaires, Violette Jardinier (alter ego de Cecil Rhodes), venue édifier un empire commercial, qui est aux commandes. Jalanopi, le roi des Tulabétés, croit pouvoir déjouer ses manœuvres, mais la redoutable entrepreneuse met à profit les rivalités entre tribus et leur ignorance de la valeur des minerais sur les marchés galactiques pour imposer une économie monétaire à la planète. Et, pour assurer l’autonomie énergétique de celle-ci face à la République, une tribu entière est sacrifiée, victime de l’édification d’un barrage gigantesque formant le lac Zantu, sur le fleuve Karimona – allusion transparente au lac Kariba, sur le Zambèze.

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Plus tard, lorsque le gouverneur des colons, John Blake, refuse à Thomas Paka, emprisonné, la permission de se rendre au chevet de sa femme mourante, on se souvient qu’Ian Smith avait interdit à Robert Mugabe d’assister à l’enterrement de son fils. Autant de faits historiques revisités avec détachement, autant d’injustices souvent racontées par le biais des colons, sans morale. Au lecteur de tirer ses propres conclusions.

Faligor, l’enfer sur terre

Enfer offre le récit le plus palpitant – et le plus écœurant. Bien décidé à éviter les erreurs du passé, le Service de cartographie d’Arthur Cartright entend coloniser Faligor en douceur. « Il n’y a pas tant d’édens dans la galaxie, et nous en avons assez détruit. Il serait temps d’en laisser un intact. » Cependant, la République ayant désespérément besoin d’un monde agricole pour ravitailler les planètes minières du secteur de Faligor, le processus est accéléré, et elle s’approprie « 80 000 km2 de terres en friche ». Un dirigeant autochtone émerge ensuite, porté au pouvoir par les humains.

Très vite, il est évincé par un leader plus radical, avant que ce dernier tombe face à pire que lui. Mutesa II, Obote et Amin Dada ne sont pas loin. Faligor bascule peu à peu dans l’enfer. D’où vient l’erreur, cette fois ? Tout destinait ce monde à la prospérité, et ses habitants, « dociles », apprenaient vite. « Ce sont des enfants. Vous avez voulu les faire évoluer trop vite », conclut l’exo-entomologiste qui a « ouvert » Faligor.

Mais, après ces règnes sanglants, Arthur Cartright reconnaît : « Il n’était pas inévitable que nous nous posions ici et tentions de faire de cette planète un paradis. » Le péché originel de l’homme (blanc) est sans doute de ne pas vouloir laisser les choses être ce qu’elles sont, de leur imposer de gré ou de force sa vision… « Que sommes-nous ? Le bon ou le mauvais ? – Ça dépend. – De quoi ? – De qui écrit les livres d’histoire », conclut un personnage. On l’aura compris, l’écrivain ne prétend pas délivrer de vérité, mais en donner une version. Et, aujourd’hui, ce fan de Ray Bradbury et d’Isaac Asimov en a-t-il fini avec le continent ? Peut-être pas : il a confié à Jeune Afrique avoir sa petite idée sur la localisation des célèbres mines du roi Salomon, quelque part sous un lac africain…

L’infernale comédie, de Mike Resnick, traduction de Luc Carissimo, ActuSF, 680 p.

Kirinyaga, un mirage kikuyu

Mike Resnick n’a pas vu l’Afrique de l’Est qu’à travers le prisme de la colonisation, il a aussi interrogé « le continent d’avant » dans une série de nouvelles réunies sous le titre Kirinyaga. 

Sur un planétoïde, des Kikuyus ont réalisé leur utopie : ils vivent comme au temps où Ngai, leur dieu, habitait le Kirinyaga (devenu mont Kenya). Koriba, le sorcier « dépositaire de la sagesse », veille à ce que les traditions soient strictement respectées, pour que les Kikuyus soient eux-mêmes, et non des Kényans, « une nation d’hommes qui font maladroitement semblant d’être quelque chose qu’ils ne sont pas ».

Une règle qui ne souffre aucune exception. Le « mundumugu, frêle vieillard sorti de Cambridge avec mention », assumera son choix quoi qu’il en coûte. Quitte à briser une brillante petite fille à qui il refuse le droit de lire (dans « Toucher le ciel ») ou à tuer un bébé « frappé d’une terrible malédiction », parce que « né par le siège ». Des situations extrêmes où l’utopie se heurte violemment à la réalité, et où le monde ancien, idéalisé, révèle sa vraie nature. S

ans manichéisme, sans parti pris, ce formidable conteur qu’est Mike Resnick interroge les limites d’une société traditionnelle au travers de situations paradoxales uniques propres à la science-fiction. Autant de paraboles à méditer.

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