Mali : les troupes de l’opération Barkhane prennent leurs distances avec les ex-rebelles touaregs

L’armée française a pris ses distances avec les ex-rebelles touaregs, à qui elle reproche un double jeu permanent. Désormais, c’est front uni avec les militaires maliens.

Une patrouille conjointe des armées française et malienne à Timbamogoye (Nord), en mars. © Pascal Guyot/AFP

Une patrouille conjointe des armées française et malienne à Timbamogoye (Nord), en mars. © Pascal Guyot/AFP

Publié le 26 septembre 2016 Lecture : 5 minutes.

La tension est retombée aussi vite qu’elle était montée à Ber. Quelques heures durant, le 7 septembre, des habitants de cette localité, située à l’est de Tombouctou et contrôlée depuis plus de deux ans par les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), ont manifesté leur colère en brûlant un drapeau du pays. Moins habituel : ils ont scandé des slogans anti-Barkhane, du nom de l’opération militaire française en cours depuis 2014, qui était en fait le réel objet de leur courroux.

L’armée française, une menace pour la CMA

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La veille, une colonne de l’armée française avait pénétré dans la ville, et un officier avait, au cours d’une longue discussion, exigé des hommes qui la contrôlent de laisser l’armée malienne y entrer à son tour. Une opération conjointe des armées française et malienne est prévue à Ber et dans ses environs depuis plusieurs semaines, mais au dernier moment, fin août, la CMA s’y était opposée.

Ber est un carrefour stratégique pour les trafiquants et – cela va souvent de pair – une base logistique de première importance pour les ex-rebelles. C’est surtout l’une des dernières positions contrôlées par la CMA. Il est donc hors de question pour cette coalition, qui regroupe le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et une aile du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), de la perdre.

« Le colonel nous a dit que celui qui a un problème avec l’armée malienne a un problème avec l’armée française et que, s’il le faut, les Français utiliseront la force pour que les soldats maliens rentrent dans Ber, soutient Ousmane Ould Sidi, un officier de la CMA. C’est la première fois que les Français nous menacent de la sorte. On ne se laissera pas faire. »

L’armée française a déjà été la cible de critiques des groupes armés issus de la rébellion et de la colère d’une frange de la population du Nord-Mali. En avril, exaspérées par une vague de fouilles et d’arrestations menées à Kidal, et encouragées par les hommes du HCUA – et peut-être même par ceux d’Ansar Eddine, le groupe jihadiste d’Iyad Ag Ghaly –, des dizaines de personnes avaient violemment manifesté devant l’aéroport.

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Les accusations des groupes armés confirmées par Bamako

Depuis, les relations sont glaciales entre l’armée française et les groupes armés signataires de l’accord d’Alger. Un jour, c’est une source anonyme au sein du ministère français de la Défense qui souligne une réalité évidente depuis des années : le « double jeu » du HCUA, un mouvement dirigé par plusieurs anciens lieutenants d’Ag Ghaly, dont certains n’ont jamais rompu avec lui. Un autre, ce sont des membres du MAA ou des proches du HCUA qui dénoncent, images de corps déchiquetés à l’appui, les « bavures » de l’armée française.

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Jadis accusée, à Bamako, dans la presse comme au sein du gouvernement, de partialité en faveur des ex-rebelles, voilà que l’armée française est désormais perçue, par les groupes armés et leurs soutiens, comme un acteur trop engagé en faveur des autorités maliennes.

À Paris, si l’on assure n’avoir jamais varié de position, on reconnaît avoir durci le ton vis-à-vis de ces groupes. « Les relations avec les Français ne sont plus aussi bonnes qu’avant, admet un cadre du MNLA. La collaboration sur le terrain s’est beaucoup amoindrie. Et ils arrêtent régulièrement certains de nos hommes. » Autre signe qui ne trompe pas : les figures du mouvement se font plus rares à Paris.

Une fois n’est pas coutume, les tenants du pouvoir à Bamako font le même constat que les insurgés à Kidal. « Depuis quelques mois, on perçoit un assouplissement dans nos relations avec Barkhane, souligne un “sécurocrate” proche du président Ibrahim Boubacar Keïta. Il reste beaucoup à faire, en matière d’échanges d’informations notamment, mais il y a du mieux. » Selon cette même source, « les Français ont enfin compris qu’il y avait beaucoup de porosité entre les groupes armés signataires de l’accord de paix, le HCUA notamment, et les groupes jihadistes qu’ils combattent ».

Une méfiance progressive à l’égard de Barkhane

« On n’était pas dupes, mais notre patience a des limites », explique-t-on à Paris. « Au début de Serval, les militaires français se servaient des Touaregs pour traquer les jihadistes sur un terrain qu’ils ne maîtrisaient pas, précise un officier ouest-africain qui s’est battu au Mali. Ils savaient très bien à qui ils avaient affaire, mais ils en avaient besoin. S’ils ont changé de discours, c’est parce que le MNLA est affaibli et leur est devenu moins utile. Mais c’est aussi parce qu’ils ont perdu trop d’hommes sur le terrain. »

Les troupes françaises sont en effet régulièrement la cible d’attaques, et Paris a tapé du poing sur la table en avril, lorsque trois soldats n’ont pas survécu à l’explosion d’une mine. Barkhane a accentué la pression sur les groupes armés. Elle s’est également rapprochée de l’armée malienne, dont elle s’est longtemps méfiée.

À N’Djamena, au sein de l’état-major de Barkhane, le discours n’est ainsi plus tout à fait le même qu’avant. « À Ber, nous n’avons menacé personne, assure un cadre de l’opération. Mais on se déplace où l’on veut, quand on veut et, si besoin, accompagnés des Forces armées du Mali. Ceux qui se mettraient en travers de notre route ou de celle des Fama pourraient être considérés comme des ennemis. »

Des bavures ? Quelles bavures ?

Une guerre sans bavures est-elle possible? C’est en tout cas ce que l’armée française aimerait faire croire depuis le déclenchement de l’opération Serval en 2013 au Mali. Mais si aucun cas avéré n’a entaché la réputation des militaires français, des doutes subsistent sur quelques opérations. Dans la nuit du 19 au 20 décembre 2015, l’armée française est allée au feu dans la région de Ménaka (nord du Mali) contre des éléments qualifiés de « terroristes ».

Bilan : douze morts. Sauf que la Plateforme, la coalition qui regroupe notamment le Gatia (Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés) et une aile du Mouvement arabe de l’Azawad, affirme qu’il s’agissait de ses combattants. La frontière entre tous ces groupes est poreuse, et la vérité pourrait être des deux côtés. Mais pour le MAA, « c’est une bavure ».

Deux mois plus tôt, le 10 octobre 2015, la communauté touarègue déplorait la mort d’un enfant de 10 ans qui accompagnait son père, un commandant d’Ansar Eddine, lorsque leur véhicule a été attaqué par les Français. Plusieurs observateurs des droits de l’homme ont également dénoncé quelques (rares) arrestations d’enfants.

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