« Ce vain combat que tu livres au monde » : et il est comment le dernier… Fouad Laroui ?

Tout commence sur un ton badin.

« Ce vain combat que tu livres au monde », de Foaud Laroui, éditions Julliard (288 p., 19 euros). © DR

« Ce vain combat que tu livres au monde », de Foaud Laroui, éditions Julliard (288 p., 19 euros). © DR

JOSEPHINE-DEDET_2024

Publié le 15 septembre 2016 Lecture : 2 minutes.

Ali, installé depuis dix ans en France, et Malika, une institutrice française, qui ne parle pas l’arabe et ignore tout de la culture de ses parents marocains, emménagent dans un petit appartement parisien. Ils sont jeunes et amoureux. Rien de plus délicieusement banal, et pourtant… Au fil des pages, le malaise s’installe. Il ne cessera de croître, jusqu’à la plongée dans l’enfer de Raqqa, en Syrie, l’un des QG de l’État islamique, où Ali se fourvoie.

Comment ce brillant informaticien qui, depuis son Maroc natal, avait rêvé des lumières de Paris sombre-t-il dans l’obscurantisme ? Comment lui, qui tournait son cousin Brahim en ridicule à chacune de ses tentatives pour le ramener à la religion, échoue-t-il entre les griffes d’un prédicateur de mosquée, puis dans l’antre de ces nouveaux démons ?

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C’est là que, selon notre collaborateur Fouad Laroui, la grande Histoire se mêle à la petite histoire et, vicieuse créature, vient malmener les destinées individuelles. Le remodelage du Moyen-Orient par Sykes et Picot, en 1916 ; les promesses non tenues de Lawrence d’Arabie ; l’échec du rêve nassérien ; la faute de Paul Bremer, proconsul des États-Unis en Irak, qui, en évinçant de l’administration les membres du Baas, accula au désespoir une partie de cette élite laïque et contribua à la faire tomber sous la coupe de Daesh…

Cette « série de trahisons, de mensonges et de malentendus », dont le monde arabe s’estime toujours la victime, bouleverse aujourd’hui des millions d’existences. Parfois avec humour, parfois avec gravité, Laroui démontre avec maestria comment un illusoire « retour aux origines », bâti sur le ressentiment et exploité par les fondamentalistes, affecte de « minuscules vies prises dans les rets » d’événements qui les dépassent.

Subtil marionnettiste qui zoome tantôt sur des pages de notre histoire commune, tantôt sur les tracas quotidiens de ses personnages, l’auteur ne se prend jamais les pieds dans les fils de son récit – sans doute le mieux construit de son œuvre déjà longue. Avec une précision clinique, il décrit l’engrenage qui peut conduire à la dépression, faire basculer un être dans un chaos intime dont des systèmes de pensée sectaires savent tirer profit.

Ici, l’humiliation qu’Ali subit en se voyant dépossédé du fruit de son travail : en raison de ses origines arabes, son employeur l’a écarté d’un contrat sensible. Il suffit de très peu pour se sentir rejeté et partir en vrille, nous dit Laroui. Entre ceux qui choisissent la vie et le libre arbitre et ceux qui se laissent entraîner sur un chemin mortifère, la frontière est ténue.

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