Burundi – Rwanda : Pierre Nkurunziza joue avec le feu

Arrêt des exportations et des transports, outrances verbales… Le régime burundais durcit encore sa position vis-à-vis de son voisin rwandais. Si toute confrontation directe paraît exclue pour l’instant, l’inquiétude monte au sein de la communauté internationale.

Manifestation devant l’ambassade rwandaise à Bujumbura, le 13 février. © AFP

Manifestation devant l’ambassade rwandaise à Bujumbura, le 13 février. © AFP

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Publié le 1 septembre 2016 Lecture : 6 minutes.

«On a appuyé sur la touche “pause”, on n’en parle même pas au bureau. » À Kigali, les outrances antirwandaises du régime burundais laissent de marbre, comme en témoigne une source diplomatique. « Zéro attention, zéro réaction », confirme un proche du président Paul Kagame. « Il s’agit d’une tentative désespérée de faire diversion, indique la même source. Les autorités burundaises sont à la recherche d’une cause externe à leurs problèmes, c’est ce qui les conduit à multiplier les provocations à notre égard. »

Plus pessimiste, l’intellectuel burundais en exil David Gakunzi estime que « le régime Nkurunziza cherche à provoquer une guerre » avec son voisin. Perspective écartée par une source sécuritaire rwandaise : « Ils sont excessifs mais pas fous. Ils ne survivraient pas à une confrontation directe, et ils le savent. »

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Recrudescence de la stigmatisation 

Lancée au début de la crise électorale, en avril 2015, la propagande rwandophobe orchestrée depuis Bujumbura s’est durcie au cours des trois derniers mois. D’abord subliminale, l’assimilation du mouvement contestataire opposé au troisième mandat de Pierre Nkurunziza à un complot tutsi dont Kigali tirerait les ficelles s’écrit désormais en toutes lettres.

Une volonté manifeste de ressusciter une ligne de fracture artificielle entre les deux pays que la communauté internationale observe avec appréhension. « Ils mettent en avant des facteurs ethniques pour tenter de dissimuler qu’il s’agit d’une crise politique, analyse une source diplomatique belge. Mais même s’il n’y a pas eu de massacres ethniques massifs, nous devons rester prudents. »

Le 16 août, Pascal Nyabenda, président du CNDD-FDD, le parti au pouvoir, franchissait un nouveau cap. Dans un communiqué ouvertement négationniste, il stigmatisait la tournée entreprise quelques jours plus tôt dans la sous-région par le ministre canadien de la Défense, Harjit Sajjan, afin d’envisager le retour de son pays dans les missions onusiennes de maintien de la paix.

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Pour son malheur, ce dernier s’était entouré du général Roméo Dallaire, qui avait commandé en 1993-1994 les Casques bleus de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda – laquelle tenta, vainement, d’enrayer le génocide contre les Tutsis, faute d’un mandat approprié. À ses côtés, sa compatriote Louise Arbour, ancienne procureure générale du Tribunal pénal international pour le Rwanda, la juridiction onusienne qui a condamné une soixantaine de hauts responsables hutus impliqués dans le génocide de 1994.

Kagamé montré du doigt par la rébellion hutue burundaise

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Un double pedigree particulièrement urticant pour le régime burundais, engagé dans un bras de fer avec l’ONU. « Il y a un plan que [les Canadiens] sont en train de concocter [afin de] renverser les institutions démocratiquement élues au Burundi », écrivait Pascal Nyabenda. Nouveau venu dans le complot protéiforme dénoncé sans relâche par l’entourage du président Nkurunziza, le Canada a servi, pour l’occasion, de prétexte à une réécriture du génocide des Tutsis du Rwanda.

Selon Pascal Nyabenda, dont le parti est issu de la principale rébellion hutue burundaise des années de braise (1993-2000), le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, aujourd’hui au pouvoir à Kigali, porterait la responsabilité des massacres survenus au Rwanda en 1994, tandis que les extrémistes hutus auraient fait office de simples boucs émissaires.

Derrière le brûlot négationniste du parti présidentiel, l’intention est manifeste : accroître la tension avec le voisin rwandais, désigné comme le deus ex machina de la crise au Burundi. En mai, déjà, le bureau chargé de la communication à la présidence burundaise avait diffusé un mémorandum consacré aux « actes d’agression du Rwanda contre le Burundi ».

Ce texte de 26 pages était censé démontrer « le rôle prépondérant du Rwanda dans la préparation, l’accompagnement et l’accomplissement des opérations de déstabilisation des institutions burundaises en vue d’opérer un changement de régime favorable, avant tout, aux intérêts idéologiques du FPR et à d’autres intérêts géopolitiques et géostratégiques de certaines puissances occidentales ».

Un dessein inavouable, servi par une cinquième colonne clairement mise à l’index dans le document : les Tutsis rwandais, qui auraient « littéralement envahi », dès les années 1960, les quartiers de Bujumbura réputés être devenus les bastions de la contestation anti-Nkurunziza.

Une rupture progressive des communications avec le Rwanda

Début août, le gouvernement burundais bloquait toute exportation de produits vivriers vers les pays limitrophes, empêchant ses propres agriculteurs d’écouler leur production au Rwanda. Quelques jours plus tard, il interdisait aux transports en commun reliant les deux pays par la route de poursuivre leur activité.

À Kigali, chacun s’accorde à considérer que « de telles mesures sont plus préjudiciables aux Burundais qu’aux Rwandais ». Soumis à des restrictions de l’aide bilatérale, fragilisé par une inflation galopante, « le Burundi se trouve au bord de l’asphyxie », selon plusieurs sources africaines et européennes.

Mi-juillet, à la veille de l’arrivée à Kigali du ministre burundais des Relations extérieures pour le 27e sommet de l’Union africaine (UA), la délégation burundaise s’est volatilisée sans fournir d’explications. « Ils sont repartis par la route, car depuis plusieurs mois les officiels burundais ont reçu la consigne de ne pas voyager sur Rwandair », précise une source diplomatique est-africaine, incrédule.

Quelques jours plus tard, le ministre Alain Aimé Nyamitwe justifiait cette décision par la volonté d’envoyer « un message à la Commission de l’UA », accusée d’« agissements contraires à l’acte constitutif de l’UA » dans son approche de la crise burundaise. Il invoquait par ailleurs « l’absence de garanties de sécurité pour les délégations ministérielle et présidentielle » dans un Rwanda désigné comme le principal soutien des opposants et insurgés armés burundais.

Au sein de la Communauté est-africaine (EAC), fer de lance de la facilitation inter-­burundaise menée – jusque-là sans succès – par l’ancien président tanzanien Benjamin Mkapa, la guerre froide burundo-rwandaise suscite l’inquiétude du Parlement (EALA), qui s’est réuni fin août.

Mauvaise présage

Outre les 300 000 réfugiés burundais disséminés dans la sous-région et les entraves à la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace EAC, la prise de fonctions, en avril, d’un secrétaire général burundais à la tête de l’EAC n’est pas de nature à apaiser les tensions, d’autant que, selon une source à la présidence rwandaise, « Libérat Mfumukeko appartient à la ligne dure du régime ».

Le 20 août, Pierre Nkurunziza a présidé le congrès extraordinaire du CNDD-FDD dans son fief de Ngozi. Fidèle à lui-même, il a fait adopter deux mesures-phares : fixer « une période de trois jours [en août] destinée à la prière pour remercier et donner des offrandes à Dieu » et remplacer Pascal Nyabenda à la tête du parti par le général Evariste Ndayishimiye, issu lui aussi du maquis hutu des années 1990.

Pas de quoi rassurer le Belge Louis Michel, député européen et bête noire du régime Nkurunziza. Au risque d’aggraver son cas, il persiste : « Il existe un risque important de génocide au Burundi. »

Seul contre tous

La liste noire du régime burundais n’en finit pas de s’allonger. Outre les Rwandais, les Belges y figurent en bonne place, du ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, au député européen Louis Michel, en passant par l’avocat bruxellois Bernard Maingain, dont l’antichambre voit défiler nombre d’opposants. Les Français, rédacteurs de la résolution 2303, adoptée fin juillet par le Conseil de sécurité de l’ONU, sont également devenus indésirables, Bujumbura étant hostile à l’envoi de 228 policiers sur son territoire. Quant aux Canadiens, ils sont vus comme de potentiels envahisseurs à la solde des Tutsis.

L’Union africaine, qui envisageait l’envoi d’une force militaire au Burundi (la Maprobu) et ne parvient pas à y dépêcher ses observateurs, n’a pas davantage la cote. L’ONU, qui a, fin juillet, chahuté les Burundais devant le Comité contre la torture et adopté la résolution sacrilège via le Conseil de sécurité, est aussi dans le viseur. L’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies, Samantha Power, est depuis longtemps honnie à Buja, tout comme l’Union européenne, qui a adopté des sanctions contre le régime.

Au vu des derniers communiqués du CNDD-FDD, les références – mortes ou vives – du président burundais ont pour nom Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi ou Bachar al-Assad. Des leaders incompris, comme lui.

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