Gabon – Ali Bongo Ondimba : « Moi, j’ai un bilan. Mes adversaires n’ont qu’un passif »

Réformes, avenir, polémique sur sa nationalité, renouvellement de la classe politique… À moins d’un mois de la présidentielle du 27 août, le chef de l’État défend les réformes engagées durant son premier mandat et répond à une opposition décidée à en découdre.

Ali Bongo Ondimba à son arrivée aux États-Unis en mars 2016 en vue du sommet sur la sécurité nucléaire. © Andrew Harnik/AP/Sipa

Ali Bongo Ondimba à son arrivée aux États-Unis en mars 2016 en vue du sommet sur la sécurité nucléaire. © Andrew Harnik/AP/Sipa

MARWANE-BEN-YAHMED_2024

Publié le 10 août 2016 Lecture : 15 minutes.

Rendez-vous était pris pour ce 24 juillet en fin d’après-midi avec le président Ali Bongo Ondimba (ABO) afin de réaliser l’entretien qui va suivre. Entre deux étapes de sa « tournée républicaine » : le Woleu-Ntem, dans le Nord, d’où il revenait, et Franceville, où il devait se rendre le lendemain.

Nous sommes dans la dernière ligne droite de la présidentielle, qui aura lieu dans un mois. Ses opposants, dont les principaux, comme Jean Ping, Casimir Oyé Mba ou Guy Nzouba-Ndama, sont d’anciens barons de son père, Omar Bongo Ondimba (OBO), ou d’ex-collaborateurs de son premier mandat, tels son cousin Léon Paul Ngoulakia ou l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima, ne le ménagent guère.

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Tous s’entendent, pour l’instant, sur une stratégie commune : contester, malgré la validation de son dossier de candidature, son éligibilité et la véracité de son acte de naissance.

Pendant ce temps, l’intéressé mène campagne avant l’heure dans les neuf provinces du pays, défend son bilan et répond – « enfin », disent ses partisans – à ses adversaires. Lors de ses meetings, sans jamais citer un nom, comme s’il y répugnait, il cogne sur ces « anciens qui n’ont rien fait sous Omar et l’insultent aujourd’hui, alors qu’ils se sont considérablement enrichis grâce à lui, et refusent de céder leur place aux plus jeunes ».

ABO nous a longuement reçu dans sa résidence de La Sablière pour répondre à nos questions, sans préparation aucune. Il n’élude rien, soutient ardemment les réformes qu’il a lancées tout en reconnaissant que son gouvernement aurait pu faire plus et mieux, détaille son projet pour le Gabon et rend coup pour coup à ses adversaires, qu’il ne porte pas dans son cœur, c’est le moins que l’on puisse dire.

En filigrane, la difficulté pour lui d’incarner le changement tout en assumant l’héritage d’un homme, son père, qui aura dirigé ce pays pendant plus de quatre décennies, en chef d’État, de clan et de village.

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Tout en sachant que, si on le comparera toujours à ce personnage hors du commun, les Gabonais, eux, attendent du futur président, quel qu’il soit, qu’il réveille la belle endormie qu’est le Gabon et réponde concrètement à leurs attentes : emploi, éducation, santé, routes, équité, etc. C’est sur ce terrain-là, loin du champ de bataille politicien et des guerres d’ego, que les quatorze candidats au scrutin du 27 août sont attendus.

Jeune Afrique : La campagne électorale a commencé avant la date officielle. Vos opposants tiennent des propos parfois virulents contre vous, et une grande partie d’entre eux contestent votre éligibilité, notamment devant la Cour constitutionnelle, arguant du fait que vous ne seriez pas gabonais. Comment réagissez-vous ?

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Ali Bongo Ondimba : S’ils en viennent à ce genre d’arguments – contester mon éligibilité, ma naissance et autres balivernes –, cela prouve bien qu’ils reconnaissent que mon bilan est bon. Car, s’il était aussi mauvais qu’ils le prétendent, ils iraient à l’élection sereins et laisseraient les Gabonais juger.

S’ils veulent m’empêcher de participer à la présidentielle, c’est bien qu’ils me redoutent. Ils appréhendent une campagne honnête, programme contre programme, et préfèrent visiblement la calomnie.

Jean Ping, Guy Nzouba-Ndama, Casimir Oyé Mba : la plupart sont d’anciens barons – avec qui vous avez d’ailleurs travaillé – du régime de votre père. D’autres, comme Raymond Ndong Sima ou Léon Paul Ngoulakia, étaient de proches collaborateurs, voire des membres de votre famille, durant votre mandat. Comment expliquez-vous le fait d’avoir autant d’ennemis intimes, issus de votre propre camp ?

C’est le propre des réformateurs. Ceux qui veulent le changement se heurtent à ceux qui préfèrent le statu quo. À l’occasion de chaque présidentielle, depuis les années 1990, une cohorte de démissionnaires du Parti démocratique gabonais [PDG] partent rejoindre les rangs de l’opposition. Ils sont arc-boutés sur leurs privilèges et mécontents de leur sort.

Je choisis des collaborateurs qui travaillent à mes côtés pour le développement du Gabon. S’ils finissent par avoir des ambitions personnelles, c’est leur choix. Mais il n’y a qu’un seul fauteuil présidentiel…

Le renouvellement générationnel existe au sein du PDG

Avez-vous été surpris ? Vous les connaissez tous depuis si longtemps…

Non, pas du tout. Si je m’en suis séparé en mettant fin à leurs fonctions, c’est que je n’étais pas satisfait de leur travail. S’ils sont obnubilés par leur ego ou par leur orgueil, je n’y peux rien. Ils gagneraient à faire leur introspection pour comprendre pourquoi ils n’ont pas été à la hauteur.

On ne peut pas dire que la vie politique gabonaise se caractérise par un renouvellement générationnel…

Le renouvellement générationnel existe au sein du PDG, beaucoup moins dans les rangs de l’opposition. Les caciques qui nous ont quittés pour le camp d’en face ne souhaitent pas, malgré leur âge et leurs mauvais résultats, céder la place aux plus jeunes. Ils entendent conserver ad vitam aeternam leurs positions et leurs privilèges.

Leur départ est une vraie bénédiction pour le parti, une malédiction pour l’opposition, où ils reproduiront leurs intrigues et empêcheront de nouvelles figures d’émerger. À bon entendeur, salut…

À propos du PDG, justement, l’estimez-vous en ordre de bataille aujourd’hui ?

Oui. Il est même plus fort qu’il y a un ou deux ans. Notamment pour les raisons que nous venons d’évoquer. Il est régénéré : il s’appuie sur des anciens respectueux de la démocratie interne qui jouent leur rôle auprès des plus jeunes.

Il suffit de voir comment s’est déroulé le processus qui a abouti à ma candidature, avec des réunions dans chaque province, jusqu’au congrès national. L’implosion que certains appelaient de leurs vœux n’a pas eu lieu.

Vous vous présentez pour un deuxième mandat, les électeurs auront donc à juger votre bilan. Qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Nous avons surtout mis en place les fondamentaux. C’est comme si nous avions planté un arbre : ses racines sont profondes et solides, le tronc sort de terre. Nous devons poursuivre nos efforts pour voir pousser les branches et les fruits. Ces derniers temps, nous avons connu des avancées extraordinaires, comme rarement dans le passé.

En sept ans, nous avons construit plus de routes que dans les vingt dernières années et avons réussi à étendre l’assurance maladie obligatoire [CNAMGS] à plus de 1 million de Gabonais. Au total, sur l’ensemble du mandat, l’investissement public a été plus important que sur toute la période 1970-2009. En 2009, le taux de croissance était au-dessous de 1 %. En 2015, il avoisinait 6 %.

Nous avons aussi réduit de manière significative la part du pétrole dans notre économie – il ne représente plus que 23 % du PIB, contre 45 % lorsque j’ai pris mes fonctions. Cela nous permet de faire face sans trop de casse à la chute des cours des hydrocarbures. Maintenant, dans certains secteurs, les choses ne vont pas assez vite, je le reconnais.

C’est le cas de l’habitat, pour lequel nous avons rencontré beaucoup de difficultés, qui ne nous ont pas permis d’atteindre nos objectifs. Mais nous avons remis le pays sur les rails et l’avons développé. C’est indéniable, visible, et c’est le plus important.

Manifestation de membres de l’opposition à Libreville, le 23 juillet. © Célia Lebur/AFP

Manifestation de membres de l’opposition à Libreville, le 23 juillet. © Célia Lebur/AFP

Avez-vous des regrets ? Certains dossiers auraient-ils dû être gérés différemment ?

Qui peut prétendre qu’il ne regrette rien, qu’il a tout réussi ? Bien sûr, nous aurions dû maintenir un rythme de réformes plus soutenu. À partir de 2013, nous avons légèrement levé le pied.

Pourquoi ce fléchissement ?

En raison de problèmes internes, notamment. Pour dire la vérité, nous n’étions pas tout à fait en phase les uns avec les autres. Surtout avec certains de ceux qui nous ont quittés [allusion à Raymond Ndong Sima, Premier ministre de février 2012 à janvier 2014].

Par exemple, on nous a beaucoup critiqués sur la création d’agences et sur la trop grande centralisation du management à la présidence. Ce sont pourtant ces agences-là qui nous ont permis d’avancer très rapidement entre 2009 et 2012. Nous avons cependant écouté ces critiques.

Nous nous sommes mis en retrait, nous avons donné plus de marge de manœuvre au gouvernement. Enfin, la lutte contre la précarité est devenue la priorité des priorités. De fait, la mise en œuvre de notre stratégie de développement humain nous a amenés à mettre en veille d’autres chantiers.

Qui considérez-vous comme votre principal adversaire ?

J’ai plusieurs adversaires, et non un seul.

Ils ne sont pourtant pas tous au même niveau…

Il ne faut jamais faire l’erreur de sous-estimer qui que ce soit. Lorsqu’on se focalise sur l’un, on ne voit pas venir les autres. Donc, pour moi, ils se valent tous. D’autant plus qu’ils essaient d’avoir une stratégie commune, du moins pour le moment, qui consiste à m’empêcher de me présenter au lieu de laisser les Gabonais décider.

L’élection de 2009 avait été contestée par une partie de vos opposants de l’époque. Quelle garantie de transparence pouvez-vous apporter pour celle du 27 août ?

L’application rigoureuse de la loi, votée et approuvée par tous. Nous disposons d’un code électoral qui, je le répète, est l’un des plus contraignants au monde. Le fait de l’appliquer scrupuleusement est la meilleure garantie que nous puissions apporter.

Ajoutons l’introduction de la biométrie, un représentant de chaque candidat dans les bureaux de vote, des membres de l’opposition et de la majorité dans la Commission électorale nationale autonome et permanente [Cenap], etc. L’opposition est présente à tous les niveaux et elle est étroitement associée au travail de la Cenap.

Nous avons par ailleurs invité un certain nombre d’observateurs internationaux pour contrôler le scrutin, notamment en provenance de l’Union européenne, de l’Union africaine, des États-Unis et de l’OIF.

Craignez-vous des dérapages, voire des violences, à l’issue du scrutin ?

C’est à craindre, parce que c’est la stratégie de l’opposition depuis plusieurs années. Elle commence à chauffer les esprits en annonçant que l’élection ne va pas être transparente, qu’on va lui voler sa victoire. Son objectif est d’effrayer nos militants pour entraîner le maximum d’abstentions le jour du vote.

Si elle pense avoir une chance de gagner, elle n’a qu’à mener une bonne campagne, sereine, autour d’un bon programme. Mais je ne vois aujourd’hui qu’injures et menaces. Les Gabonais sont intelligents, ils remarquent tout cela ! Quand on est un bon démocrate, la victoire se joue dans les urnes, pas dans la rue.

Nous allons investir énormément dans l’éducation et la formation professionnelle, ainsi que dans la santé.

Le vote communautaire a été très important en 2009, notamment autour des candidatures fangs. En sera-t-il de même en 2016 ?

Je ne peux pas le prédire. Certains s’appuient sur cette stratégie de repli communautaire, en effet. C’est l’échec garanti ! Les Gabonais aspirent à autre chose.

Si vous êtes réélu, que changerez-vous ?

Nous allons investir énormément dans l’éducation et la formation professionnelle, ainsi que dans la santé. Nous poursuivrons également la diversification de notre économie, avec l’exigence de transformer les matières premières sur place. Cela requiert une main-d’œuvre adaptée et qualifiée, d’où l’accent mis sur la formation. Nous ferons également d’importants efforts pour améliorer la gouvernance et promouvoir l’emploi des jeunes et les droits des femmes.

Le président américain Barack Obama au côté d’Ali Bongo Ondimba, lors d’un dîner à la Maison Blanche, en août 2014. © Pete Souza/The White House

Le président américain Barack Obama au côté d’Ali Bongo Ondimba, lors d’un dîner à la Maison Blanche, en août 2014. © Pete Souza/The White House

Et si vous perdez, que ferez-vous ?

J’ai plusieurs options, j’y réfléchis. Je vous suggère de revenir me voir après l’élection.

Quel est le point fort du candidat Ali Bongo Ondimba ?

Mon point fort, c’est mon bilan. Le point faible de mes adversaires, c’est leur passif.

Et quel est votre propre point faible ?

C’est justement de ne pas avoir maintenu le rythme dans la réalisation des réformes attendues. Je parlais un jour avec le président Barack Obama de la difficulté de réformer, des embûches… Il m’a répondu : « Dans ces situations-là, le meilleur conseil que je puisse vous donner, c’est d’accélérer, pied au plancher. » C’est ce que nous ferons.

Seriez-vous prêt à travailler avec vos opposants actuels ?

Ce n’est pas vraiment à moi de répondre à cette question. Au cours de ce septennat, j’ai tendu la main à plusieurs reprises. Certains l’ont saisie, nous nous retrouvons sur des volets de mon programme et travaillons ensemble.

La politique politicienne a trop longtemps gangrené ce pays. Je ne suis pas là pour collaborer avec des gens qui ne sont pas d’accord avec mon projet pour le Gabon. Ce serait tromper le peuple sur la marchandise.

Avez-vous réfléchi au profil du futur Premier ministre si vous l’emportez ? Avez-vous des noms en tête ?

Ce sera peut-être le même, ou peut-être un autre… Pour l’heure, la priorité est de gagner l’élection.

L’économie gabonaise souffre de la chute des cours du pétrole. Où en est réellement sa diversification ?

Elle progresse indéniablement. Le secteur hors pétrole connaît une croissance à deux chiffres. Les réformes portent leurs fruits, notamment celle destinée à développer la transformation de nos matières premières sur place, comme nous le faisons dans le bois et le manganèse. Je veux faire en sorte qu’à partir de 2020 nous n’exportions plus rien de brut.

Si le taux de chômage global a sensiblement baissé, celui des jeunes reste préoccupant. Comment comptez-vous y remédier ?

En 2009, on créait à peu près 4 000 emplois par an. Aujourd’hui, nous sommes passés à 12 000. Mais, pour résorber le chômage, nous devons atteindre un rythme de 20 000 par an pendant les cinq ou six prochaines années.

À travers la naissance de nouveaux métiers – grâce justement à la transformation locale de nos produits –, une meilleure qualification des Gabonaises et des Gabonais, et aussi avec les grands projets lancés dans le domaine agricole, tel le programme Graine [Gabonaise des réalisations agricoles et des initiatives des nationaux engagés].

Il consiste à aménager plus de 200 000 ha en parcelles dotées de titres fonciers délivrés gratuitement, attribuées aux adhérents du programme et regroupés en coopératives agricoles. L’agrobusiness créera beaucoup de richesses pour les Gabonais, et nous consommerons ce que nous produirons.

Vous avez placé un certain nombre de jeunes cadres à des postes à responsabilités, à la tête d’agences, d’administrations ou d’entreprises nationales, comme la Gabon Oil Company, l’Ageos [l’Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales] ou la Direction générale adjointe des impôts. Vous donnent-ils satisfaction ?

C’est une bonne politique, qu’il faut maintenir. Il y a toujours des réussites, mais aussi des échecs, quel que soit l’âge. Nous disposons de jeunes bien formés, notamment ceux de la diaspora, qui commencent à revenir. Nous serions fous de nous priver de ces compétences, parfois acquises dans les meilleures structures éducatives internationales, d’autant qu’ils arrivent avec un esprit nouveau.

Cela correspond d’ailleurs au programme d’égalité des chances que nous avons lancé : priorité à la compétence. Les temps changent…

Qu’avez-vous appris de fondamental au cours des sept dernières années ?

La patience. Ce n’était pas trop mon fort [rires].

Comprenez-vous ceux qui estiment que la famille Bongo a trop longtemps accaparé le pouvoir et les affaires au Gabon ?

Je comprends que certains puissent le penser, c’est leur opinion, et je la respecte. Personnellement, je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question de famille ou de patronyme, mais plutôt de programme et de projet. Qu’est-ce que le candidat propose ? Est-ce que son programme va faire progresser le pays ? S’il faut le rejeter parce que le candidat porte tel ou tel nom, on fait fausse route.

C’est même antidémocratique. Je n’ai jamais empêché qui que ce soit de présenter un programme. Mais je note que ceux de mes adversaires – quand ils existent – sont assez faibles ou, pour certains, de pâles copies du nôtre.

On a le sentiment que l’héritage de votre père pèse sur vos épaules, que vous êtes écartelé entre l’assumer, d’une part, et vouloir rompre totalement avec l’ère Omar Bongo Ondimba, d’autre part…

Je n’ai pas de problème avec l’héritage d’Omar Bongo Ondimba. Il nous a légué un pays en paix, avec des institutions solides, éprouvées pendant la période d’intérim. Là était le vrai test. Souvent, les institutions ne survivent pas à leur créateur.

C’est donc déjà extraordinaire en soi. Et cela m’a permis de me consacrer au développement, et à l’économie, qui a été oubliée entre 1990 et 2009 – période qui a été mise à profit pour la consolidation de la démocratie et de l’État de droit. Ceux qui critiquent, parmi mes opposants actuels, la présidence d’Omar Bongo Ondimba – laquelle a connu, comme toutes les autres, des réussites et des échecs – sont d’un cynisme effrayant.

Le « Bongo bashing », dont ils sont désormais les promoteurs, revient à insulter celui qui leur a mis le pied à l’étrier, leur a permis de travailler et de s’exprimer. Ils oublient aussi, et surtout, qu’ils sont comptables des échecs qu’ils dénoncent et qu’ils ont trahi la confiance de mon père. Critiquer aujourd’hui est facile. Pourquoi n’ont-ils pas démissionné à l’époque ? Pourquoi ont-ils continué à quémander ses faveurs ? Qu’ont-ils fait pour les Gabonais ?

Vous parlez de vos adversaires actuels, comme Jean Ping, Casimir Oyé Mba ou Guy Nzouba-Ndama ?

Précisément.

À propos de votre père, justement : s’il vous observait de là où il est, que penserait-il selon vous de la situation actuelle, de cette rivalité entre vous et ses anciens collaborateurs ?

Il arrive souvent qu’on me dise que je ne gouverne pas comme mon père le faisait. Et qu’il aurait été plus généreux, ou plus ouvert, vis-à-vis de tel ou tel. Mais de qui parle-t-on ? De mon père, justement. Vous croyez que nous ne discutions pas ?

Qu’il ne m’a pas donné bon nombre de conseils, sur la situation et sur ceux que vous évoquez ? J’applique à la lettre ses préceptes. Il m’a bien dit que, avec tout ce qu’il avait fait pour les uns et les autres, je ne devais rien à personne, sauf au peuple gabonais.

Et que certains avaient fait leur temps et n’étaient plus en mesure, compte tenu de leur passif, de réclamer quoi que ce soit.

Étant donné le potentiel du Gabon, qui ressemble parfois à une belle endormie, que répondez-vous à ceux qui pensent que vous n’avez pas fait assez pour le développer ou que vous n’êtes pas allé au bout de votre logique de rupture ?

Mais qui a parlé de rupture ? Moi, je me suis focalisé sur l’économie, par sur le reste.

La rupture, elle se définit surtout vis-à-vis des mentalités, d’un certain nombre de passe-droits, de l’impunité, beaucoup de travers qui ont pesé sur le Gabon…

C’est facile à dire. La réalité, c’est que toute réforme, pour être acceptée, doit être bien comprise. La brutalité, les oukases, cela ne fonctionne pas. Quand je vous dis que j’ai appris la patience…

« Je veux faire en sorte que nous n’exportions plus rien de brut. » Ici, du manganèse extrait de la mine de Moanda. © Virginie Tennant/les éditions du jaguar

« Je veux faire en sorte que nous n’exportions plus rien de brut. » Ici, du manganèse extrait de la mine de Moanda. © Virginie Tennant/les éditions du jaguar

Selon vous, de quoi le Gabon a-t-il le plus besoin aujourd’hui ?

De se concentrer sur le développement économique et social, donc de laisser de côté la petite politique politicienne à laquelle certains veulent nous ramener. Le retour en arrière n’est plus envisageable. Le vrai débat, ce n’est pas la place des uns et des autres, l’assouvissement de leurs petites ambitions, le partage des privilèges. Tout cela est terminé.

La vraie question aujourd’hui, c’est la place du Gabon dans le XXIe siècle. Et cette place-là, comment allons-nous l’acquérir ? Par un développement économique et social harmonieux et durable, en tenant compte des questions environnementales et en faisant en sorte que les Gabonais soient prêts à assumer tous les défis.

Nous sommes en compétition avec beaucoup d’autres. Il ne s’agit pas de se regarder le nombril et de perdre son temps dans des débats sans fin qui lassent une population beaucoup plus mûre qu’on ne le pense.

Nous sommes l’un des pays les plus câblés du continent. Grâce au satellite et à internet, les Gabonais savent ce qui se passe ailleurs dans le monde. Ils aspirent à autre chose qu’à des débats qui n’ont ni queue ni tête, entretenus par des hommes du passé, des ingrats qui n’ont que l’injure, le négativisme, la violence et la haine à prodiguer.

Des gens que vous, les médias étrangers chez qui ils se précipitent, encensez pour le simple fait qu’ils s’inscrivent dans l’opposition, comme si cela suffisait à les laver de leurs péchés. Ils n’ont même pas laissé une trace physique de leur passage aux affaires ! Au quartier, on appellerait cela des bangandos. Et ils tentent de me faire passer pour un dictateur ?

Je n’ai pas que des qualités. Mais moi je peux me regarder dans un miroir : contrairement à eux, je construis ce pays et je n’ai jamais fait embastiller quelqu’un pour délit d’opinion, malgré les outrances que je subis chaque jour dans la presse locale, malgré la gravité de certains propos qui incitent à la violence. Un bien piètre dictateur, en somme… Ce qui me rassure, c’est que les Gabonais, eux, sont clairvoyants.

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