Côte d’Ivoire : qui sont les victimes de l’attaque du 13 mars à Grand-Bassam ?

Parmi les 19 victimes de l’attaque terroriste de Grand-Bassam, de nombreux Ivoiriens. Qui étaient-ils ? Que faisaient-ils au moment de l’attaque ? Nous avons rencontré leurs familles et réévoquons leur mémoire sous forme d’hommage.

Rabiatou Diallo, entourée d’un psychologue et de son père. Son petit ami, Fode, a été tué par les assaillants. © FRANÇOIS-XAVIER FRELAND POUR J.A.

Rabiatou Diallo, entourée d’un psychologue et de son père. Son petit ami, Fode, a été tué par les assaillants. © FRANÇOIS-XAVIER FRELAND POUR J.A.

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Publié le 27 mars 2016 Lecture : 6 minutes.

Un soldat ivoirien sur la plage de Grand Bassam après l’attaque. © AFP
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Attentat de Grand-Bassam : après le choc

Depuis l’attentat de Grand-Bassam, les Ivoiriens tentent de comprendre et de surmonter le drame. Et l’Afrique de l’Ouest se prépare à de nouveaux assauts.

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Il est autour de 13 heures. Arthur Sidney Aka Ehui, 33 ans, est en visite dans la famille de son frère, à Grand-Bassam. Ce jeune fidèle de la Winners’ Chapel d’Abidjan, originaire d’Abengourou, est expert-comptable, comme son père, qui dira de lui : « C’était un garçon tolérant, sans histoire, très humble, qui n’aimait pas les problèmes. » Quand il avait un peu de temps, Arthur aimait participer à des actions caritatives. Ce dimanche 13 mars, il décide de faire un tour à pied pour voir la mer, avant de rejoindre la table du déjeuner. Il est à quelques mètres de l’hôtel Étoile du Sud lorsqu’il reçoit une rafale de tirs en plein visage.

En face, trois terroristes d’Aqmi remontent la ruelle qui file vers la plage. Ousmane Sangare, un adolescent de 16 ans, abidjanais, originaire de Bouaké, joue avec un groupe de jeunes handicapés. Ce sont des pensionnaires du centre Abel, tout proche, tenu par des religieuses. Les parents d’Ousmane, musulmans, l’avaient inscrit dans ce foyer catholique qui prenait en charge sa formation professionnelle. Ousmane « tape la balle sur la plage » et n’entend pas la fusillade derrière lui. Un terroriste s’approche et le met en joue avec sa Kalachnikov en lui demandant de crier « Allah Akbar ». Ousmane ne comprend pas, et pose sa main sur l’homme en lui faisant signe qu’il est sourd et muet. Il est touché en pleine tête. Son père, Salif Sangare, se souvient. « C’était un enfant touchant qui aimait vivre comme les autres. Lors de la dernière Coupe du monde, il s’efforçait de crier dans la rue avec la foule lorsque les Éléphants marquaient. »

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Pas très loin se trouve Souleymane Bakayoko, 22 ans. Élevé dans la foi, il s’était inscrit très jeune à l’école coranique. Passionné d’islam, il avait appris l’arabe, qu’il enseignait bénévolement depuis peu dans une école à Abobo. Régulièrement, il priait dans une mosquée wahhabite du quartier. Célibataire, « il allait souvent seul à Bassam humer la mer et faire des bénédictions », se souvient son oncle Salif Keita, qui aidait financièrement cet enfant orphelin. Souleymane ne se baignait pas ce dimanche-là, il marchait le long de la mer quand il a été abattu. « De grande taille, plutôt mince, il passait difficilement inaperçu », déplore aujourd’hui son oncle.

Georges Achidolo, associé de Emile Djo Bi Djo, le menuisier tué durant l'attaque de Grand Bassam. © FRANÇOIS-XAVIER FRELAND POUR J.A.

Georges Achidolo, associé de Emile Djo Bi Djo, le menuisier tué durant l'attaque de Grand Bassam. © FRANÇOIS-XAVIER FRELAND POUR J.A.

Une course macabre

Les trois terroristes se séparent et continuent de tirer sur les baigneurs et sur les gens qui discutent allongés sur leurs serviettes. C’est le cas d’un petit groupe d’amis. Fode Fade, 28 ans, est très amoureux de sa jeune amie, Rabiatou Diallo. Commerçant de profession, il l’a rencontrée sur le marché d’Adjamé en décembre dernier. Musulmane, originaire du Mali comme lui, il avait demandé sa main. Le mariage devait avoir lieu en avril. Simple prémonition ? La veille de l’attaque, Fode lui avait dit : « Si un jour il t’arrive quoi que ce soit, je te protégerai. » Il venait de se baigner lorsqu’un homme de petite taille, qui, selon Rabiatou, parlait arabe, lui a tiré dessus. Elle revoit la scène aujourd’hui dans ses cauchemars : « L’homme tue tout le monde autour. Je me sentais déjà cadavre. Il a baissé son foulard. Je lui ai dit « t’as qu’à me tuer maintenant ». Il a détourné le regard et il est parti. Je me suis enfuie. » Depuis, Fode hante ses nuits. Elle est suivie par la cellule psychologique du ministère de la Solidarité. Par erreur, le nom de son petit ami n’apparaissait pas dans la première liste officielle des disparus.

Pas loin, en contrebas, le corps sans vie de Salimata Traore, 23 ans, gît sur le sable. Cette jeune Ivoirienne, née à Kan, d’origine burkinabè par son père, était très connue à Attécoubé pour sa jovialité. Chaque soir, elle installait son stand de cuisine à emporter en face du centre hospitalier. Elle travaillait dur pour ramener un peu d’argent. « Elle était un peu têtue, raconte, la gorge nouée, son oncle Abdoulaye Sanogo. Elle n’acceptait pas toujours mes conseils, mais elle était tellement gentille. » C’est un ami qui lui a proposé d’aller se balader. Elle venait de se baigner lorsqu’elle a été mortellement atteinte par les coups de feu.

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Entre-temps, les deux autres terroristes ont poursuivi leur course macabre. L’un d’eux a pénétré dans l’hôtel Étoile du Sud avant d’en ressortir et d’abattre plusieurs Occidentaux, dont la directrice du Goethe Institut, l’Allemande Henrike Grohs. Handicapé d’une jambe, Emile Djo Bi Djo, 26 ans, n’a pas non plus eu le temps de s’échapper. « Il était toujours debout, il n’aimait pas s’asseoir, il n’attendait pas qu’on l’aide, il préférait se débrouiller seul », se souvient sa petite sœur, Irielou Nina, qu’il a élevée après la mort de leurs parents, des Gouros originaires de l’Ouest. Aujourd’hui, son stand de menuisier installé à Koumassi donne l’impression de l’attendre. Son associé n’arrive plus à travailler. En face, des enfants se sont assis sur un tabouret comme pour l’accueillir. « Il se mettait en quatre pour le quartier, il jouait au foot avec les jeunes, il faisait le poteau, le goal », se souvient Henri, son frère cadet. Pour une fois, Émile avait laissé son atelier pour se rendre à l’anniversaire d’une amie. Ironie du sort, avant de mourir, il avait participé au sauvetage d’une jeune fille sur le point de se noyer…

Musulman, « mais animiste avant tout », précise son oncle, Sarikou « était un garçon modèle qui faisait vivre sa mère »

Adekunli Sarikou, un quincaillier de 25 ans, était aussi de la fête. L’anniversaire, c’était celui de sa petite amie. « Dimanche, raconte son oncle Djibril Adepofu, il s’était longuement préparé, puis était parti dans sa Renault 5 grise qu’il a garée près de l’un des hôtels. D’ailleurs, elle y est encore. » Sarikou était originaire de l’ouest du Nigeria. « Là où les combattants de Boko Haram n’osent pas trop s’aventurer. » C’est le fief des Yoroubas. Musulman, « mais animiste avant tout », précise son oncle, Sarikou « était un garçon modèle qui faisait vivre sa mère ». Touché au visage, c’est par les habits qu’il portait que son oncle l’a identifié à la morgue.

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Peut-être Carole Kouma Abenan, 24 ans, faisait-elle aussi partie de la fête ? Sa famille ne comprend pas ce qu’elle est allée faire ce jour-là à Bassam, alors que son mari était en voyage. « Elle est partie tôt, raconte un proche, sans dire où elle allait. » Son beau-frère, Loua Kouassi, la décrit comme une jeune fille pieuse et droite. « Nous allions souvent à l’église Notre-Dame-de-la-Tendresse, à Riviera Golf. Depuis la mort de sa mère, elle consacrait beaucoup de temps à Dieu. » Serveuse dans un restaurant branché de Riviera II Anono, le contact facile, Carole, toujours souriante, originaire de Tanga, à l’Ouest, rêvait surtout d’avoir des enfants. On la disait prudente et discrète.

« C’est toujours la population qui paie les pots cassés »

Sur la plage de Grand-Bassam, il y a une vieille pancarte où est écrit : « À la Saint-Valentin, on se fait confiance ». Confiance, c’est le mot qu’utilise Korotoumi Diarrasouba pour parler de son cousin Oumar Diarrasouba, 23 ans, assassiné un peu plus loin dans la mer. Complices, ils se racontaient tout. Le dimanche, il lui avait proposé de partir à Grand-Bassam. Elle avait décliné l’invitation, retenue par des tâches ménagères. Deux jours plus tard, elle recevait un coup de fil : on lui demandait de reconnaître le corps à la morgue de la gare centrale de Treichville. « Oumar détestait les jihadistes, et il l’avait largement fait savoir après l’attaque du Bataclan [le 13 novembre 2015, à Paris]. Il disait : « C’est toujours la population qui paie les pots cassés. » » Dans l’entourage de la famille d’Oumar, on s’interroge sur les circonstances de sa mort. Et s’il avait été pris pour un assaillant ?

Les terroristes vont être traqués à leur tour sur la longue plage par les forces spéciales. Parmi les volontaires, trois soldats, Moussa Abassi Ouattara, Ahmed Diomande et Gervais Kouadio N’guessan, vont périr durant cette mission. « Tous ces gars défendaient ce qui leur semblait juste. Certains avaient combattu auprès des Forces nouvelles de Côte d’Ivoire, d’autres contre. Mais quand la paix est revenue, en 2011, ils se sont retrouvés dans une seule armée », explique le sergent Emmanuel Kouakou Nguessan. Qu’importe l’origine ethnique, l’appartenance religieuse ou politique, au lendemain de ce 13 mars, la Côte d’Ivoire ne faisait qu’une.

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