Attentat de Grand-Bassam : sept questions pour comprendre

Gestion de la crise, communication, renseignements, identité des tueurs, répercussions sur l’économie…

Forces de sécurité sur la scène de l’attaque jihadiste à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, le 13 mars 2016. © Christin Roby/AP/SIPA

Forces de sécurité sur la scène de l’attaque jihadiste à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, le 13 mars 2016. © Christin Roby/AP/SIPA

Publié le 29 mars 2016 Lecture : 10 minutes.

Un soldat ivoirien sur la plage de Grand Bassam après l’attaque. © AFP
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Attentat de Grand-Bassam : après le choc

Depuis l’attentat de Grand-Bassam, les Ivoiriens tentent de comprendre et de surmonter le drame. Et l’Afrique de l’Ouest se prépare à de nouveaux assauts.

Sommaire

Cet article est issu du numéro 2880 de Jeune Afrique publié le 20 mars et ne tient pas compte révélations postérieures à cette date.  

  • Qui est intervenu ?

Si les policiers, les gendarmes et les membres du Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO) – une unité d’intervention mixte créée en 2013 pour protéger les grandes villes du pays et qui relève du ministère de l’Intérieur – sont les premiers à être arrivés sur place, ils ne sont pas directement intervenus. Leur première mission a été de faire remonter le maximum d’informations, de sécuriser le périmètre et le plus de personnes possible. Après un moment de confusion (des forces de sécurité de toutes natures ont convergé vers le site sans que l’on ne comprenne le rôle des uns et des autres), l’assaut a été donné par les Forces spéciales ivoiriennes (FSI) du colonel Lassina Doumbia, sans aide étrangère et sur instruction du président de la République. Les membres de cette unité d’élite formés en 2011 au Maroc, en Égypte, en Chine et aux États-Unis ont également bénéficié d’entraînements avec les Forces spéciales françaises. Parmi eux, notamment, les ex-comzones Gaoussou Koné, alias Jah Gao, Morou Ouattara et Koné Zacharia

  • Qui sont les terroristes ?

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Selon Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a très vite revendiqué l’attaque, ils seraient au nombre de trois : Hamza al-Fulani, Abou Adam al-Ansari et Abdul Rahman al-Fulani. Le 16 mars, la branche média du groupe terroriste diffuse les photos des trois assaillants, précisant que les deux premiers sont issus des rangs de son allié Al-Mourabitoune, le mouvement dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar. Un duo (Al-Mourabitoune ayant prêté allégeance à Aqmi en décembre 2015) qui avait déjà frappé à Ouagadougou deux mois plus tôt.

D’où viennent-ils ? L’organisation terroriste ne le précise pas. Les spécialistes avancent quelques hypothèses fondées sur leurs noms de guerre : « al-fulani » signifie « le Peul », et « al-ansari » désigne, dans la terminologie jihadiste, un combattant autochtone, par opposition à « al-moujaher », qui désigne celui venant de l’extérieur. Des analyses génétiques, effectuées en collaboration avec des experts français, devraient permettre d’en savoir plus sur leurs origines. Les réponses pourraient aussi venir du contenu du téléphone portable appartenant à l’un des terroristes et retrouvé sur place. Selon les informations recueillies par Jeune Afrique, il révélerait notamment la présence des assaillants pendant deux mois à Abidjan, et dans un grand hôtel de la ville. Il apparaîtrait aussi qu’en février un des contacts réguliers du commando s’est rendu à Bassam pour y réaliser des repérages.

N’y avait-il que trois terroristes ? Les témoignages des survivants paniqués divergent (trois, six, dix…) et font même parfois état de terroristes en fuite

La rapidité d’intervention des Forces spéciales ivoiriennes a permis d’éviter le pire. Mais les spécialistes s’interrogent sur le bilan – 19 morts, dont 3 soldats -, plus faible que celui de l’attentat de Ouagadougou (30 morts), d’une attaque pourtant potentiellement plus meurtrière compte tenu du nombre élevé de personnes qui se trouvaient sur les plages et des armes saisies (kalachnikovs, grenades et de nombreuses munitions). « Les organisations jihadistes recrutent de plus en plus localement, des personnes de plus en plus jeunes, déterminées mais aux formations parfois moins abouties », remarque un spécialiste.

Malgré le communiqué d’Aqmi, une question agite les esprits à Abidjan et à Grand-Bassam : n’y avait-il que trois terroristes ? Les témoignages des survivants paniqués divergent (trois, six, dix…) et font même parfois état de terroristes en fuite. Une confusion nourrie par la première déclaration du gouvernement qui faisait état de six terroristes. « Il n’est pas impossible que des complices du commando formé par les trois assaillants soient aujourd’hui en fuite, qu’il s’agisse de logisticiens ou de guetteurs, par exemple », précise-t-on au ministère de l’Intérieur.

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Pour en savoir plus sur les dernières arrestations, vous pouvez lire notre article : Attentat de Grand-Bassam : le FBI débarque en Côte d’Ivoire

  • Qui a géré la crise ?

L’attaque est survenue au pire moment : un dimanche, aux alentours de midi. Le président de la République, Alassane Dramane Ouattara (ADO), qui se trouve alors à Assinie (une station balnéaire située à 40 km de Grand-Bassam) avec sa femme, est rapidement prévenu. Assurer sa protection est une priorité – de nombreuses forces de sécurité avaient accompagné le couple présidentiel, qui organisait l’avant-veille le gala de la fondation de la première dame, Children for Africa. ADO s’entretient très vite par téléphone avec ses plus proches collaborateurs civils et militaires afin de recouper toutes les informations.

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Agir vite et en assumer les éventuelles conséquences, ou attendre l’appui de soldats français ? Les questions se bousculent, et les réponses en provenance de son premier cercle décisionnel sont parfois diamétralement opposées. Ce cercle, qui le compose ? Son frère, Téné Birahima Ouattara, dit Photocopie, ministre des Affaires présidentielles ; le secrétaire général de la présidence, Amadou Gon Coulibaly ; son directeur de cabinet, Marcel Amon-Tanoh ; les patrons du renseignement ivoirien, dont Vassiriki Traoré, coordonnateur des services de renseignements ; et le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro.

Le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, qui est alors en déplacement au Ghana, est rapatrié par avion, tandis qu’un poste de commandement (PC) « Autorités » est installé au sein de son ministère. Sur le terrain, un PC est également installé à l’Hôtel de France de Bassam. Mais c’est à Assinie que toutes les décisions seront prises. À 14 h 45, endossant alors ses habits de chef suprême des armées, Alassane Ouattara ordonne l’assaut. Ce n’est qu’à la fin de celui-ci qu’il sera héliporté à Abidjan. Une heure et demie plus tard, il se rend à Grand-Bassam.

  • La communication a-t-elle été efficace ?

D’abord le silence, un long silence. Près de cinq heures entre les premiers tirs (12 h 25) et la déclaration à la télévision nationale du ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko (17 h 10). Puis la publication d’un premier communiqué gouvernemental très flou et vite retiré ; un bilan faisant état de six terroristes « neutralisés », avant d’être réduit à trois… Comme souvent dans ce genre de crise, les couacs ont été nombreux. Ce genre d’épisode étant totalement « inédit dans le pays, il est normal qu’il y ait eu quelques cafouillages au début », avance-t-on à la présidence. Des explications qui semblent, pour le moment, relativement bien comprises par des Ivoiriens qui concentrent leurs critiques acerbes sur la Radiodiffusion Télévision ivoirienne (RTI).

Dès la confirmation des attaques, alors que l’information se répandait largement sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux, la chaîne publique brillait par son absence. Point de bandeau d’information, de flash info, encore moins de direct… Pis, la RTI a même diffusé un match de football dans l’après-midi. Le premier reportage consacré aux événements ne sera diffusé que peu avant 20 heures. Le directeur général de la RTI, Ahmadou Bakayoko, qui effectuait à ce moment-là un déplacement en Inde, a appris la nouvelle à l’atterrissage et a dû repartir dans la foulée. « Pour le moment, nous ne souhaitons pas nous exprimer, a-t-il expliqué à Jeune Afrique. Nous avons lancé un certain nombre d’enquêtes en interne pour comprendre ce qui s’est passé. » Le 17 mars, Lanciné Koné, le directeur de l’information, était suspendu. Puis, au sein de la RTI, les langues se sont déliées. Certains évoquent des consignes restrictives venues ce jour-là des autorités. Information démentie par Masséré Touré, directrice de la communication de la présidence.

  • Le drame pouvait-il être évité ?

« Les jihadistes sont en guerre contre l’humanité. Mais, en Afrique de l’Ouest, ils le sont particulièrement contre la France, explique un expert des questions terroristes dans la région. C’est une guerre totale contre celle-ci, donc ils l’attaquent partout où elle se trouve, là où elle a des intérêts. » Les autorités ivoiriennes n’ignoraient rien de tout cela. Une loi antiterroriste renforçant les pouvoirs de la police et des services de renseignements avait été votée en juillet 2015. Des mesures de sécurité avaient été prises aux abords des hôtels et des centres commerciaux d’Abidjan. Les préfets avaient été mis en état d’alerte. La formation des forces militaires à la riposte antiterroriste avait été accélérée. En moins d’un an, six tentatives d’attentats ont été déjouées et une dizaine de personnes interpellées le long de la lagune Ébrié, où des cellules dormantes liées au groupe Ansar Eddine ont par ailleurs été démantelées – ainsi qu’à Bouaké.

Depuis plusieurs mois déjà et sur la base d’écoutes téléphoniques, les services français avaient prévenu les autorités ivoiriennes (tout comme les autorités sénégalaises) de la planification d’attaques dans des lieux publics

Le reste du pays a-t-il bénéficié de la même vigilance que la capitale économique ? « Ils ont tapé là où nous étions le plus faibles », concède aujourd’hui un haut gradé ivoirien. Pourtant, depuis plusieurs mois déjà et sur la base d’écoutes téléphoniques, les services français avaient prévenu les autorités ivoiriennes (tout comme les autorités sénégalaises) de la planification d’attaques dans des lieux publics, et notamment sur des plages. « Je suis très inquiet, déclare aujourd’hui ce même haut gradé. Lorsque les terroristes arrivent à frapper une première fois dans un pays, il est très difficile de s’en débarrasser. C’est une gangrène. D’autre part, si la nationalité ivoirienne de l’un des tueurs était confirmée, cela signifierait que le travail des prédicateurs extrémistes est bien avancé. De quoi craindre la multiplication des cellules dormantes. »

À l’heure où les groupes jihadistes sahéliens se jouent des frontières et enchaînent les attaques dans différentes capitales ouest-africaines, loin de leurs bases traditionnelles du Nord-Mali, la coopération régionale est devenue une priorité absolue. C’est dans cette optique de renforcement des liens entre les services de sécurité de la sous-région que la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad ont créé, en février 2014, le G5 Sahel. Deux ans après sa fondation et de nombreuses réunions, son action commence à porter ses fruits. Si d’inévitables méfiances subsistent entre les différents services de renseignements, l’objectif, à terme, est d’arriver à un meilleur partage des informations (identification d’individus, composition des groupes jihadistes, mouvements transfrontaliers…).

Les pays membres ont ainsi décidé, début mars, qu’ils allaient chacun nommer un officier de liaison à Nouakchott pour assurer une meilleure coordination. Reste la question de l’intégration des autres États de la sous-région. De l’avis d’un spécialiste, la composition restreinte du G5 Sahel est l’un des gages de son efficacité. Même si la Côte d’Ivoire vient d’être frappée et que le Sénégal est menacé, la question de l’élargissement du groupe ne semble pas à l’ordre du jour. En revanche, une collaboration plus étroite avec les pays « externes », en particulier ceux qui ont été visés, comme la Côte d’Ivoire, est probable. Elle a d’ailleurs déjà commencé : Ivoiriens et Sénégalais ont récemment participé à une formation du G5 sur la lutte contre la fraude documentaire.

  • Quelles répercussions sur l’économie ?

« Fondamentalement, rien ne va changer pour les investisseurs », réagit Marc Rennard, président du conseil Afrique de l’Ouest et Afrique centrale de Medef International et directeur général adjoint d’Orange, lorsqu’on évoque les conséquences sur l’économie ivoirienne de l’attaque terroriste perpétrée le 13 mars. Par la voix de son président, Pierre Gattaz, le patronat français a d’ailleurs immédiatement réaffirmé son soutien au président Ouattara et dans le même temps confirmé qu’il maintenait la délégation de 120 chefs d’entreprise attendue du 25 au 28 avril à Abidjan.

Un signal apprécié sur les bords de la lagune Ébrié, où les sociétés de l’Hexagone se sont classées en 2015 au deuxième rang des investisseurs étrangers, derrière le Maroc, selon les statistiques du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici). Marc Rennard admet néanmoins que les entreprises seront probablement amenées à prendre plus de précautions pour leurs salariés.

Laureen Kouassi Olsson, directrice des investissements d’Amethis Finance, l’un des principaux actionnaires du groupe d’assurances ivoirien NSIA, estime que « nous devons gérer le risque terroriste comme nous avons appris à le faire pour les risques macroéconomiques et politiques ». Pour Jean-Louis Daudier, économiste au sein de Coface, filiale de Natixis spécialisée dans l’assurance-crédit, tout indique que la Côte d’Ivoire devrait afficher une croissance élevée cette année encore. « Entre 2013 et 2016, le pays a gagné 35 places dans le classement « Doing Business » établi par la Banque mondiale qui juge l’environnement des affaires. C’est sûrement plus important pour les entreprises que l’attentat », estime cet expert, avant d’ajouter : « Si le secteur touristique sera vraisemblablement touché, il ne constitue pas l’un des moteurs de l’économie, actuellement tirée par le BTP, les services et l’agriculture. » La station balnéaire bénéficiera cependant d’une aide exceptionnelle de l’État d’un montant de 250 millions de F CFA (380 000 euros).

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