La revanche de Kadhafi

Cinq ans après avoir écrasé sous les bombes le régime psychopathe de Mouammar Kadhafi, les stratèges de l’Otan s’apprêtent à remettre le couvert pour « finir le travail » – à moins que ce ne soit pour réparer leur coupable imprévoyance.

Plusieurs réservoirs en feu autour des villes d’al-Sedra, en Libye, le 5 janvier 2016. © [capture de vidéo / Facebook]

Plusieurs réservoirs en feu autour des villes d’al-Sedra, en Libye, le 5 janvier 2016. © [capture de vidéo / Facebook]

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 1 février 2016 Lecture : 3 minutes.

De passage à Paris le 20 janvier, le chef d’état-major général américain Joseph Dunford a été on ne peut plus explicite : il ne s’agit plus de savoir si une intervention chirurgicale contre les métastases libyennes de Daesh aura lieu en 2016, mais quand et avec qui. L’objectif, on s’en doute, est totalement égocentré : il s’agit de défendre les intérêts sécuritaires, économiques (la Libye contient les plus importantes réserves pétrolières d’Afrique) et migratoires de l’Europe face à un embryon d’« État » terroriste.

Les plans d’opération sont prêts, les objectifs définis, les survols aériens déjà en cours, et si l’on en croit de bonnes sources, les contours du corps expéditionnaire sont les suivants : 6 000 hommes, issus des forces spéciales américaines, italiennes, britanniques mais aussi françaises – longtemps réticent, François Hollande s’est rallié à l’idée d’une participation directe après les attentats de Paris le 13 novembre 2015.

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Nous voici donc repartis pour une probable petite guerre du désert, ni fraîche ni joyeuse et sans aucune garantie sur ce qui adviendra ensuite. Dire que les Occidentaux s’y engagent de gaieté de cœur serait évidemment une erreur. Après la prise de Syrte, devenue depuis la Raqqa libyenne, en février 2015, ils ont d’abord compté sur une alliance des milices libyennes pour étouffer les jihadistes dans l’œuf. Mais ces dernières sont à ce point obsédées par leur accession au pouvoir et à ses prébendes qu’une collaboration entre elles s’est révélée impossible. On a ensuite voulu, notamment à Paris, croire en ce que le ministre Jean-Yves Le Drian appelait dans J.A. « une prise de responsabilité » des grands voisins algérien et égyptien.

Attention toutefois à ne pas commettre, dans la précipitation, les mêmes erreurs létales qu’en Irak il y a treize ans

C’était oublier un peu vite que l’armée algérienne a pour doctrine de ne jamais intervenir hors de ses frontières et que le meilleur moyen de jeter les Libyens dans les bras de Daesh serait d’envoyer des troupes égyptiennes sur le terrain. D’où la résignation. Et la nécessité urgente de préparer un habillage juridique international présentable, en l’occurrence un gouvernement libyen en mesure de faire appel à une aide étrangère pour reconquérir son propre territoire. Au forceps et à la truelle, le représentant spécial de l’ONU, l’Allemand Martin Kobler, que l’on avait déjà vu à l’œuvre en RD Congo, s’est chargé de l’accouchement. À peine formé, ce gouvernement a été reconnu par la communauté internationale, avant même son approbation par les parlements rivaux de Tripoli et de Tobrouk. Et peu importe qu’il ne soit ni inclusif ni représentatif : le temps presse.

Le temps presse parce que Daesh a désormais une fâcheuse tendance à s’en prendre aux puits de pétrole et à s’approcher de la capitale – on a vu ses katibas parader au milieu des ruines antiques de Sabratha. Ce Daesh « que nous devrons sans doute demain écraser en Libye », dixit le Premier ministre français Manuel Valls, et contre lequel le général Dunford veut « ériger un pare-feu », descend aussi vers le sud. Les présidents tchadien, Déby Itno, et nigérien, Issoufou, ne craignent rien tant qu’une jonction entre jihadistes des deux rives du Sahel : qui oserait leur donner tort ?

Attention toutefois à ne pas commettre, dans la précipitation, les mêmes erreurs létales qu’en Irak il y a treize ans, lesquelles figurent parmi les causes lourdes de l’apparition du califat sanglant de Raqqa et de Mossoul. Si le recrutement de Daesh en Libye est, à l’instar de celui de sa maison mère, international (à la fois maghrébin et subsaharien), son noyau est ici aussi endogène. Syrte, localité violemment bombardée par les avions de la coalition en 2011, est le fief de la tribu de Kadhafi, laquelle a été totalement ostracisée après la chute du dictateur, exactement comme les tribus sunnites après Saddam Hussein. Comme le firent nombre de cadres militaires du parti Baas dissous, des officiers de l’ex-garde prétorienne du « Guide » ont rejoint les rangs de Daesh, lui conférant un ancrage local.

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Éradiquer un cancer qui n’est localisé qu’en apparence ne servira donc à rien si le reste du corps est malade et si nul ne se soucie de construire un État légitime en Libye. Même si l’opinion des Libyens ne compte pas pour grand-chose dans les décisions qui vont être prises, savoir qu’ils sont, dans leur grande majorité, hostiles à ce qui apparaît comme une énième mise en œuvre de la politique postcoloniale de la canonnière n’est en outre pas inutile. Des chrétiens bombardant des musulmans et réduisant ceux qui les ont appelés à l’aide au statut de marionnettes : pain bénit pour Daesh.

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