RDC – Adolphe Muzito : « Kabila ou Katumbi, je ne vois pas la différence »

L’ex-Premier ministre sort de sa réserve pour distribuer les bons et les mauvais points. Il n’épargne personne : ni le chef de l’État ni l’ancien gouverneur du Katanga, passé à l’opposition.

En septembre, à Kinshasa. L’heure est venue, pour ce lumumbiste convaincu, de se repositionner sur une scène politique en pleine recomposition. © GWENN DUBOURTHOUMIEU/J.A.

En septembre, à Kinshasa. L’heure est venue, pour ce lumumbiste convaincu, de se repositionner sur une scène politique en pleine recomposition. © GWENN DUBOURTHOUMIEU/J.A.

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Publié le 19 novembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Un brin taquin, voire provocateur, Adolphe Muzito a changé. Presque aphone lorsqu’il était à la tête du gouvernement (d’octobre 2008 à mars 2012), il n’hésite plus à critiquer vertement la classe politique congolaise. « C’est ma modeste contribution pour faire bouger les lignes », explique l’ancien Premier ministre, toujours membre du Parti lumumbiste unifié (Palu). Assis à l’ombre d’un manguier, sur sa parcelle de La Gombe, à Kinshasa, il n’exclut pas, à 58 ans, d’être candidat à la prochaine présidentielle.

En attendant, torse bombé, index levé, il brandit son bilan, rappelle que c’est lui qui, quand il était à la primature, a renoué avec les institutions de Bretton Woods. Le président Kabila, Augustin Matata Ponyo, son successeur à la tête du gouvernement, l’opposition… tout le monde en prend pour son grade. Même le « G7 » (un rassemblement de partis frondeurs qui appartenaient à la majorité présidentielle) et Moïse Katumbi, qui vient de claquer la porte du parti au pouvoir : « Il ne suffit pas de s’opposer à la révision constitutionnelle pour prétendre avoir l’étoffe d’être le prochain président ! »

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Jeune Afrique : Vous étiez jusqu’à présent un homme politique plutôt discret. Pourquoi cette soudaine envie d’être sur le devant de la scène ?

Adolphe Muzito : Notre pays se trouve dans une situation difficile et il est du devoir de chacun d’entre nous de tenter d’y apporter un remède. D’ailleurs, je suis aussi en colère contre moi-même : je me reproche de n’avoir pas suffisamment communiqué sur les réalisations de mon gouvernement alors que j’aurais dû le faire. J’aurais aussi dû faire un état des lieux lors de mon entrée en fonction. Cela aurait permis de savoir où on en était et, plus tard, de dire ce que nous avions accompli.

Prenons le cas des « cinq chantiers ». C’était une promesse de campagne du président Joseph Kabila, axée sur cinq secteurs : eau, électricité, emploi, santé, infrastructures. Mais de combien de kilomètres de routes le pays disposait-il et quel était le niveau optimal à atteindre ? Quel en était le coût ? D’où viendrait l’argent et combien de temps cela prendrait ? Si cet exercice avait été fait, nous aurions pu dire au peuple : pour que l’économie soit fluide, il faut 55 000 km de routes et 90 000 km de dessertes agricoles et on ne peut pas le faire en un quinquennat. Les Congolais auraient ainsi su ce qui avait été fait et ce qui restait à faire, selon quel chronogramme.

Les conséquences sont évidentes : nous ne parvenons pas à financer les infrastructures et à accélérer le rythme des réformes économiques et monétaires

Quel regard portez-vous sur le bilan de votre successeur ?

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Le gouvernement d’Augustin Matata Ponyo est sorti de l’orientation que nous avions prise. Nous aurions dû profiter de l’annulation de la dette pour mobiliser des ressources. À ce moment-là, nous étions crédibles pour travailler avec les partenaires extérieurs. Mais, aujourd’hui, je constate que nous n’avons plus de programme formel avec le Fonds monétaire international. Les conséquences sont évidentes : nous ne parvenons pas à financer les infrastructures et à accélérer le rythme des réformes économiques et monétaires.

Comment avez-vous vécu votre remplacement à la tête du gouvernement, en 2012 ?

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Si j’ai été remplacé, c’est parce que certains ont pensé que j’étais un probable candidat à la présidentielle de 2016. Il fallait me priver de toute visibilité. Avec mon gouvernement, nous avions stabilisé l’économie du pays, mis fin aux combats dans l’Est et obtenu l’annulation de la dette auprès des Occidentaux. Nous avions aussi eu de nouveaux crédits auprès de nos partenaires traditionnels et des Chinois. Ces résultats, inédits dans l’histoire de la RD Congo, commençaient à gêner.

Voulez-vous dire que vous faisiez de l’ombre au chef de l’État ?

Je n’ai pas d’autre explication. Certains, dans son entourage, m’ont présenté comme un adversaire potentiel pour des échéances futures. Sinon, comment comprendre que l’on ait choisi de mettre de côté la personne qui est parvenue à de telles performances ?

Le « G7 » accuse la majorité présidentielle d’essayer de prolonger le mandat de Joseph Kabila à la tête du pays. Êtes-vous de cet avis ?

Bien sûr, mais le « G7 » ne cherche qu’à se repositionner sur l’échiquier politique en s’appropriant cette lutte du peuple contre un troisième mandat de Kabila. J’estime, moi, que c’est parce que l’on a une vision politique différente que l’on peut se dire opposant, pas simplement parce que l’on désapprouve l’attitude d’une personne qui veut aller contre la Constitution et briguer un mandat auquel elle n’a pas droit.

Katumbi incarne-t-il une ligne politique différente de celle de Kabila ? Non. Les deux ont un même bilan qu’ils doivent assumer ensemble.

Avez-vous des ambitions présidentielles ?

Je suis à la disposition de mon parti et de ses ambitions nationales.

Moïse Katumbi est souvent présenté comme le candidat le plus sérieux face à Joseph Kabila, si ce dernier obtenait le droit de se représenter…

Katumbi incarne-t-il une ligne politique différente de celle de Kabila ? Non. Les deux ont un même bilan qu’ils doivent assumer ensemble. Il n’est pas normal que l’un quitte le navire avant d’avoir rendu des comptes. Je me demande même s’il ne s’agit pas d’une petite manigance entre les deux pour tromper le peuple. Et puis, quelle est la vision de Moïse Katumbi ? Quel est son parcours ? Quel est son bilan à la tête du Katanga, une province qui s’est lourdement endettée, et ce de manière illicite, auprès de banques commerciales ? Penser que ses moyens financiers, qui lui permettent de mobiliser des soutiens et d’acheter tout le monde ici et à l’étranger, l’exonèrent du devoir de présenter une vision pour l’avenir de la RD Congo relève de l’analphabétisme politique.

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