Maroc – Marche verte : il y a 40 ans, ils étaient en première ligne

Le 6 novembre 1975, des milliers de Marocains franchissent la frontière du Sahara espagnol afin d’accélérer la « récupération » de la colonie par le royaume sans passer par un référendum d’autodétermination. Pour certains, l’histoire n’est pas terminée.

Trois personnalisté en première ligne de la Marche verte © Vincent Fournier/J.A.

Trois personnalisté en première ligne de la Marche verte © Vincent Fournier/J.A.

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 6 novembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Lahbib Sid Ahmed Aouba, dit Lahbib Ayoub, Cofondateur du Polisario, Béchar (Algérie)

«Ce jour-là, nous nous sommes dit : la grande invasion vient de commencer. » Lahbib Ayoub, l’un des sept fondateurs du Front Polisario en mai 1973, est alors dans un camp d’entraînement militaire à l’est de Béchar, en Algérie, à la tête d’un contingent de 800 recrues sahraouies. Avec les officiers algériens qui l’encadrent, il suit l’événement à la radio. « On a cru que les marcheurs descendraient jusqu’à Laayoune, on voulait se battre, mais les Algériens nous ont dit que nous n’étions pas encore opérationnels. » Celui qui dirigera la plupart des attaques du Polisario contre les armées mauritanienne puis marocaine jusqu’au cessez-le-feu, en 1991 (d’où son surnom de « général Giap »), est à l’époque un militant indépendantiste sincère, persuadé que les Forces armées royales finiront par s’effondrer : « Pour nous, c’était une affaire de quelques mois. »

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En 2001, faisant le constat de ses désaccords, irréversibles à ses yeux, avec le président de la RASD, Mohamed Abdelaziz, Ayoub quitte les camps de Tindouf pour rejoindre le nord du Mali, où il rejoint un temps un certain Mokhtar Belmokhtar. Un an plus tard, les services spéciaux marocains procèdent à son exfiltration via l’Espagne, le Portugal et la France. Rallié au royaume et installé depuis à Laayoune, Lahbib Ayoub, dont la famille vit toujours de l’autre côté du mur de sable, ne regrette rien. « J’étais sincère et on ne regrette pas sa vie, dit-il, Abdelaziz et les Algériens nous ont trompés ; si El Ouali [le premier chef du Polisario, NDLR] n’avait pas été liquidé dans des circonstances obscures en juin 1976, l’histoire aurait peut-être été différente. »

Moulay Hamdi Ould Errachid © Vincent Fournier/J.A.

Moulay Hamdi Ould Errachid © Vincent Fournier/J.A.

Moulay Hamdi Ould Errachid, militant pro-Maroc, Laayoune

L’actuel député-maire de Laayoune, issu d’une puissante famille Reguibat et fils d’un notable qui fit le coup de feu contre les Espagnols au sein de l’Armée de libération du Sud à la fin des années 1950, porte sa marocanité comme un étendard. « Vous ne trouverez pas un seul Errachid au sein du Polisario », martèle celui dont le frère aîné, Khalihenna, est le président du Corcas (Conseil royal consultatif des affaires sahariennes). Le 6 novembre 1975, il est chez lui, dans la concession familiale de Laayoune, rivé devant la chaîne de télévision marocaine, le transistor à l’oreille.

Dehors, les soldats espagnols, qui ont entouré de barbelés le quartier européen, procèdent au désarmement de tous les militaires et policiers sahraouis promarocains, tout en laissant les militants du Polisario libres de mener leurs activités. Ces derniers organisent une manifestation devant le domicile des Errachid, qu’ils considèrent comme des traîtres à la cause indépendantiste. Hamdi, revolver au poing et grenades à portée de main, est prêt à riposter. Mais le pire est évité. Quarante ans plus tard, l’élu du parti de l’Istiqlal affirme « tendre la main » à tous les membres « égarés » de la famille sahraouie : « Qu’ils reviennent au bercail, expriment leurs idées librement et se présentent aux élections, y compris Mohamed Abdelaziz, cela ne me dérange pas. »

Rachidi Rhezouani © Vincent Fournier/J.A.

Rachidi Rhezouani © Vincent Fournier/J.A.

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Rachidi Rhezouani, membre de l’état-major avancé de la Marche verte, Tarfaya

Rachidi Rhezouani a été secrétaire d’État puis ministre sous Hassan II pendant treize ans, mais il n’en démord pas : la Marche verte a été « le moment le plus important » de sa longue carrière politique. Détaché du cabinet de Driss Basri (alors secrétaire d’État à l’Intérieur), il est l’un des six membres de l’état-major avancé chargé de gérer l’immense camp de toile de Tarfaya, où s’agglutinent 350 000 marcheurs.

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Pendant près d’un mois, ses collègues et lui ne dorment que cinq heures par nuit, à tour de rôle, tant les défis logistiques sont énormes. Il faut nourrir, encadrer, soigner une population regroupée par régions d’origine parmi laquelle figurent 10 % de femmes (il y aura seize naissances), dans un environnement désertique où l’eau doit être acheminée par une noria de camions-citernes.

Une station de radio locale est installée à l’intérieur du camp et les marcheurs aménagent eux-mêmes une piste d’atterrissage pour les C130 de l’armée de l’air. Cinq mille militaires et gendarmes assurent la sécurité autour de Tarfaya. Le 6 novembre, Rhezouani franchit symboliquement la frontière aux côtés de plusieurs leaders politiques de l’époque – Ahmed Osman, Maati Bouabid, Mahjoubi Aherdane, Abdelkrim El Khatib… Aujourd’hui, dans son appartement de Casablanca, celui qui fut par la suite ministre du Plan puis des Transports, vit toujours avec le souvenir et les images (où on le voit en battle dress) de cet instant historique.

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