Niger : la tactique du moindre mal

Le chef de l’État sortant considère que c’est l’une de ses plus belles réussites : malgré la situation au Mali et en Libye, malgré les agressions de Boko Haram, le Niger est en paix. À quel prix ?

Des soldats de l’armée nigérienne, le 7 mars 2015. (Image d’illustration) © Jerome Delay/AP/SIPA

Des soldats de l’armée nigérienne, le 7 mars 2015. (Image d’illustration) © Jerome Delay/AP/SIPA

Christophe Boisbouvier

Publié le 20 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

Le Niger entre deux fronts à la veille de l’élection présidentielle © Mediacolors/Andia.fr
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Le Niger entre deux fronts

Malgré les turbulences qui affectent la région et les menaces terroristes qui planent au nord comme au sud, le pays est en paix. Et Mahamadou Issoufou a eu les coudées franches pour tenter de répondre aux attentes de ses concitoyens. À quatre mois de la présidentielle et des législatives, bilan du quinquennat socialiste.

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Le chaos libyen au nord-est, le conflit malien au nord-ouest, le monstre Boko Haram au sud… Ce qui saute aux yeux, c’est que le Niger est un îlot de stabilité au milieu d’une vaste zone de guerre et d’anarchie. « Parce que nous avons fait le nécessaire pour mettre les forces de défense et de sécurité en situation de remplir leur mission de protection, explique le président, Mahamadou Issoufou. Nous avons la meilleure armée d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique francophone, la deuxième de la Cedeao. Ce n’est pas un hasard. »

Pourtant, Hama Amadou considère que le bilan du chef de l’État sortant est « un échec total » sur le plan de la sécurité. « Comment peut-on affronter Boko Haram, qui est surarmé et suréquipé, avec une armée mal nourrie et qui ne dispose pas de la formation et de la logistique nécessaires pour mener une guerre asymétrique ? » lançait le 18 septembre, dans un entretien au monde.fr, l’ancien Premier ministre, devenu aujourd’hui l’un des principaux leaders de l’opposition.

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Des services de renseignements compétents

En avril 2011, quand l’ancien ingénieur Mahamadou Issoufou arrive aux plus hautes responsabilités, le défi est immense. Il est le premier civil à présider le Niger depuis 1996. Mais, d’entrée de jeu, il montre sa détermination. « Les menaces sont devenues mondiales et nécessitent naturellement des réponses mondiales », martèle-t-il lors de son discours d’investiture. L’effort est porté notamment sur le renforcement des services de renseignements. Le calcul est payant.

Dès le 8 janvier 2013, Niamey est en mesure de prévenir Bamako et Paris que les jihadistes du Nord-Mali concentrent des troupes en vue d’une offensive sur Mopti. Deux jours plus tard, ce sera la prise de Konna, puis la contre-offensive des Français de l’opération Serval. Le 29 octobre 2013, ce sont les services secrets du général Lawal Chékou Koré et le conseiller spécial Mohamed Akotey, un Ifogha, qui, aux côtés de l’ancien espion français Pierre-Antoine Lorenzi, mènent à bien, au Nord-Mali, la libération des quatre otages français enlevés trois ans plus tôt à Arlit.

Dès 2013, Niamey devient la base d’avions de chasse français et de drones français et américains

Pour sécuriser le territoire nigérien et ses 5 700 km de frontières, le président Issoufou joue aussi la carte occidentale. Dès 2013, Niamey devient la base d’avions de chasse français et de drones français et américains. En 2014, dans le nord-est du pays, aux confins de la Libye, le vieux fort colonial de Madama est réoccupé par des soldats français qui en font la pointe extrême de Barkhane, le dispositif militaire français déployé dans cinq pays du Sahel.

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Ces soldats et ces drones portent-ils atteinte à la souveraineté du Niger ? « Entre deux maux, il faut choisir le moindre, rétorque Mahamadou Issoufou. Le moindre, c’est d’avoir des alliés qui puissent nous permettre d’assurer notre sécurité. » Sur ce point, Hama Amadou et les autres leaders de l’opposition sont d’accord avec lui.

La menace jihadiste au Niger

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Le 16 janvier 2015, les Nigériens découvrent de leur pays une autre réalité, beaucoup plus inquiétante. Ce jour-là, une semaine à peine après la grande manifestation antiterroriste de Paris à laquelle a pris part le président du Niger sous le slogan « Je suis Charlie », une vague de violence s’abat sur les chrétiens de Niamey et, le lendemain, sur ceux de Zinder. Dix d’entre eux sont tués et plusieurs églises incendiées.

Au moment Boko Haram mène des attaques dans la région de Diffa, dans l’extrême sud-est du pays, la menace jihadiste se fait de plus en précise. Un mois plus tard, le 17 février, le régime mobilise quelque 100 000 personnes dans les rues de Niamey pour dire « non » à Boko Haram et aux extrémistes. « Le Niger sera le tombeau de Boko Haram », lance alors le président Issoufou. Les leaders de l’opposition refusent de participer à cette marche.

Chacun sait que le combat contre le terrorisme est aussi une affaire politique

Au Niger, plus de 1 000 suspects de complicité avec Boko Haram sont actuellement en prison, mais chacun sait que le combat contre le terrorisme est aussi une affaire politique. Pour ne pas exposer les minorités à la propagande islamiste, le régime s’efforce de les intégrer dans l’appareil d’État. Ainsi la primature est-elle confiée, depuis le début du quinquennat, à Brigi Rafini, une figure de la communauté touarègue d’Agadez.

Au carrefour de toutes les routes jihadistes de l’Afrique de l’Ouest, le Niger est un pays clé dans le dispositif des Occidentaux contre le terrorisme. D’où les visites à Niamey du Français François Hollande, en juillet 2014, et de l’Américain Antony Blinken, numéro deux du Conseil de sécurité nationale, en juillet 2015. En février prochain, la présidentielle ne sera pas seulement un enjeu national. Pour tous les voisins de ce pays pivot et pour les Occidentaux, ce sera aussi un test de stabilité.

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