RDC : jusqu’où ira Moïse Katumbi ?

Ils s’épiaient depuis des mois. Aujourd’hui, en claquant la porte du parti présidentiel, le futur ex-gouverneur du Katanga affiche clairement ses intentions : défier Joseph Kabila. Nul doute que ce dernier l’attend au tournant.

Le 2 juin,à Lubumbashi. © FEDERICO SCOPPA/AFP

Le 2 juin,à Lubumbashi. © FEDERICO SCOPPA/AFP

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 8 octobre 2015 Lecture : 6 minutes.

Installez-vous confortablement, faites des provisions et, surtout, attachez vos ceintures. Ça risque de secouer. Le premier round de la campagne présidentielle congolaise vient de débuter, et c’est un poids lourd qui monte sur le ring : Moïse Katumbi. Le 29 septembre, le gouverneur du Katanga, 50 ans, a claqué la porte du parti du président Joseph Kabila. Dans un communiqué, il solde une collaboration de plus de dix ans avec le chef de l’État, sans retenir ses coups. « Tout est mis en œuvre pour ne pas respecter la Constitution », accuse-t-il, avant de dénoncer « le recul généralisé des libertés individuelles » et les « dérives inacceptables » du pouvoir. « La guerre est déclarée, dans tous les sens du terme », réagissait un ministre influent au lendemain de l’annonce.

Hormis la brutalité de ses termes, l’annonce n’a pas vraiment surpris. Depuis plus d’un an, les deux hommes se jaugent, du coin de l’œil. Le premier geste de défi est venu de Katumbi, fin 2014, lorsqu’il a clairement signifié, en privé comme en public, qu’il ne suivrait pas Kabila dans une aventure extraconstitutionnelle. Selon la loi fondamentale en vigueur, le président accomplit en effet son dernier mandat, et celui-ci s’achève à la fin de 2016. Or il n’a jamais fait part, publiquement, de son intention de quitter le pouvoir…

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Un plan bien préparé

La réaction de Kabila au défi lancé par Katumbi a été à son image : discrète et matoise. En janvier dernier, le gouvernement a d’abord ressorti de sa poche le projet de découpage des provinces. Celui-ci prévoit notamment la division du Katanga en quatre entités. Avec, pour conséquence, la disparition de la base politique de Katumbi. Bien que prévue de longue date, cette réforme a été mal préparée. Si bien que Kinshasa a finalement décidé que les nouveaux gouverneurs ne seraient plus élus, mais nommés. Outre son poste, Katumbi perdra donc toute influence sur les nouvelles entités, où il aurait pu placer ses hommes. Ultime étape : l’introduction, au Parlement, d’une loi ouvrant la voie à des référendums et donc, comme certains le pensent, à une modification de la Constitution.

Moïse Katumbi (à g.) avec Joseph Kabila © The voice of Congo

Moïse Katumbi (à g.) avec Joseph Kabila © The voice of Congo

Pour garder l’initiative, Katumbi n’avait plus d’autre choix que de sortir du bois. Le round d’observation est terminé, le voilà prêt à mettre à exécution sa stratégie. Celle-ci inclut une grande tournée à l’intérieur du pays précédant probablement une déclaration de candidature. Mais, d’abord, il compte constituer une large plateforme politique. On en voit déjà les premiers contours dans le « G7 », cette alliance de sept partis frondeurs, exclus de la majorité présidentielle à la mi-septembre. Leur lettre de mise en garde à Kabila, qui leur a valu exclusion, développait les mêmes arguments que ceux de Katumbi et faisait part des mêmes craintes.

Compte tenu de la proximité de ce dernier avec certaines figures du G7 – notamment avec Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le président de l’assemblée provinciale du Katanga – il paraît difficilement concevable que ces initiatives n’aient pas été coordonnées. « Tout cela fait partie d’un plan très bien préparé », assure une source diplomatique occidentale à Kinshasa. Reste à savoir si Moïse Katumbi parviendra à attirer dans ses filets d’autres cadres de la majorité.

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Moïse Katumbi a-t-il une chance d’accéder au sommet de l’Etat ?

Dans un pays aussi vaste et divisé que la RD Congo, cela ne suffirait de toute façon pas à le porter facilement jusqu’au sommet de l’État. Certes, sa présidence du club TP Mazembe de Lubumbashi et les résultats obtenus dans sa province l’ont rendu populaire. On ignore en revanche si ce point de départ est susceptible de susciter un véritable élan en sa faveur.

Pour avoir de bonnes chances de succès, Katumbi devra s’allier avec au moins un ténor de l’opposition

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Dans ce pays fortement divisé entre Est swahiliphone et Ouest lingalaphone, le degré d’importance du soutien dont il bénéficie à Kinshasa et dans ses environs reste flou. Pour avoir de bonnes chances de succès, Katumbi devra s’allier avec au moins un ténor de l’opposition. Or, si des discussions sont en cours depuis plusieurs semaines, aucun accord n’a encore été scellé.

Jean-Pierre Bemba ? Il a beau être détenu par la Cour pénale internationale (CPI), ses partisans ne désespèrent pas de le voir revenir dans l’arène. Lors de l’élection présidentielle de 2011, il avait préféré rester neutre, jugeant insuffisants les nombreux appels du pied qu’on lui avait adressés. Étienne Tshisekedi ? Ces dernières semaines, l’homme d’affaires Katebe Katoto, le frère de Katumbi, l’a rencontré en Belgique, où il est en convalescence depuis près d’un an.

Mais le vieil opposant de 82 ans est peu enclin au compromis. « Un ticket serait intéressant pour nous, à condition que Katumbi soutienne notre candidature », indique un de ses proches. Pas gagné. Reste Vital Kamerhe, apprécié dans les grandes villes de l’extrême Est. Pour beaucoup d’opposants cependant, la fiabilité de cet homme, qui fut un des plus proches collaborateurs du président Kabila, reste sujette à caution.

Le plan de Joseph Kabila

Évidemment, Kinshasa fera tout pour faire capoter de telles alliances. Le président Kabila garde en effet de nombreux atouts en main, à commencer par la maîtrise du temps. Et rien n’indique qu’il soit prêt à se hâter. Le fameux « glissement » redouté par une bonne partie de la classe politique – la stratégie qui consisterait à laisser le calendrier électoral prendre du retard, pour prolonger le mandat du chef de l’État – a en réalité déjà commencé. Initialement prévues pour octobre 2015, les élections locales ne seront de toute évidence pas organisées avant l’année prochaine, au mieux.

Sans sa carapace de gouverneur, Katumbi est nu, assure Tryphon Kin-Kiey Mulumba

Katumbi aura-t-il assez de souffle pour tenir pareil marathon ? Sa fortune, acquise avant qu’il se lance en politique, passe pour considérable. Mais, en RD Congo, une campagne présidentielle coûte cher. Très cher. Kinshasa n’hésitera pas à s’en prendre à ses intérêts, notamment dans les mines et la logistique, et menace déjà d’ouvrir certains dossiers financiers. « Sans sa carapace de gouverneur, Katumbi est nu, assure Tryphon Kin-Kiey Mulumba, le ministre des Relations avec le Parlement. Quelqu’un qui a exercé ces fonctions a forcément des choses à se reprocher. » Voilà qui promet…

Cela étant, Katumbi a certainement pris ses précautions. Il a tout intérêt, désormais, à mettre une pression maximale sur le pouvoir afin que celui-ci respecte strictement le calendrier et la Constitution. C’est sur cet argument clé qu’il compte mobiliser l’alliance la plus large possible, des déçus de la majorité aux opposants radicaux, en passant par la société civile.

Il a déjà commencé à l’étranger, notamment en recrutant le cabinet de lobbying Akin Gump à Washington, qui plaide sa cause auprès du département d’État. Mining company of Katanga, sa société, dirigée par Carine Katumbi, son épouse, a déboursé pour cela plusieurs centaines de milliers de dollars. En réalité, les capitales occidentales sont déjà convaincues. Les Constitutions sont de plus en plus des textes sacrés…

Dans la famille Katumbi

Katebe Katoto, frère et mentor de Moïse Katumbi, fera-t-il bénéficier son cadet de son expérience politique ? Tous deux hommes d’affaires, ils ont marché dans les pas de leur père, Nissim Soriano, un Grec de confession juive. Mais Katebe Katoto, qui sert d’ores et déjà d’émissaire à son frère, en sait plus long sur le monde cruel de la politique. Au tournant des années 2000, il a été un membre très influent du RCD-Goma, une rébellion à l’époque proche du Rwanda.

Ce lien pourrait éveiller des soupçons dans l’Ouest du pays, où toute connexion réelle ou supposée avec Kigali est souvent utilisée à des fins politiciennes. Les origines burundaises de son épouse, Carine, qui a géré ses affaires tandis qu’il était gouverneur du Katanga, pourraient également être retenues contre lui. Dans une campagne où tous les coups seront permis, nul doute que son métissage lui sera également reproché. Même si Kabila lui-même est également attaqué par ses détracteurs sur ses prétendues origines rwandaises.

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