[Initialement publié le 7 septembre 2015, cet article a été republié le 8 juillet 2019, après une audience de la CPI reconnaissant Bosco Ntaganda coupable de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ».]
Trois ans suffisent-ils à faire oublier une réputation aussi sinistre ? Lorsque Bosco Ntaganda a fini par se livrer à l’ambassade des États-Unis à Kigali, en mars 2013, le bruit et la fureur des combats déchiraient encore l’est de la RD Congo et résonnaient dans toute la région des Grands Lacs.
Désemparée devant la complexité des affrontements, la presse internationale avait trouvé un visage pour incarner le mal, celui de ce chef de guerre qu’elle avait affublé du surnom ô combien évocateur de Terminator. Comme si l’arrestation de cet homme, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) depuis 2006, pouvait, à elle seule, mettre fin à l’infernal cycle de violences qui éprouve cette région depuis plus de trente ans.
« Terminator »
Il est vrai que, durant cette longue période, Bosco Ntaganda a porté les armes sans interruption. Actif au sein de plusieurs armées et rébellions, il fut successivement l’allié de presque tous les gouvernements de la région… Jusqu’à faire l’unanimité contre lui. La RD Congo et le Rwanda, dont les relations étaient pourtant extrêmement tendues en cette année 2013, finirent même par pousser dans le même sens : celui de sa reddition et de son extradition vers la CPI.
Depuis, les armes se sont tues. Et à mesure que les passions transfrontalières s’apaisaient, Ntaganda s’est fait discret dans les médias. Dans sa cellule de Scheveningen, aux Pays-Bas, il a maigri et ne se rase plus la tête. À l’ouverture de son procès, c’est ce nouveau visage lui donnant les apparences d’un bon père de famille qu’il a voulu montrer, dans une première allocution courte et calme. « On m’a surnommé Terminator. Mais je ne suis pas cet homme, a-t-il dit. Il ne faut pas confondre un rebelle révolutionnaire avec un criminel, ce que je ne suis pas. »
Innocent, Bosco Ntaganda ? Ce sera à la Cour de se faire une opinion au cours du marathon judiciaire qui s’annonce. Avec dix-huit chefs d’accusation et plus d’une cinquantaine d’événements à disséquer, il sera sans doute le plus complexe de tous ceux que la CPI a eu à traiter jusqu’à présent.

Bosco Ntaganda (au centre) à Kabati, près de Goma, en janvier 2009. © Lionel Healing/AFP
Parcours d’un mercenaire
Quoi qu’il en soit, le parcours de l’accusé ressemble davantage à celui d’un mercenaire qu’à celui d’un révolutionnaire au service d’une cause. L’histoire commence en Ouganda, en 1990, parmi les rebelles tutsis de l’Armée patriotique rwandaise (APR), comme l’intéressé s’est d’ailleurs empressé de le rappeler à la Cour, se prévalant de ses états de service dans « la rébellion qui a mis fin au génocide ».
Après la victoire du FPR, en 1994, il fait partie de cette génération de rwandophones envoyés par Kigali au Zaïre pour renverser le maréchal Mobutu. Ce n’est qu’en 2002, en Ituri, à plus de 500 kilomètres du Masisi où il a grandi, que Bosco Ntaganda commet les premières exactions qui lui valent d’être connu du public. Il est alors un membre éminent de l’Union des patriotes congolais (UPC), un mouvement majoritairement hema, soutenu à ses débuts par l’Ouganda. Dans les affrontements l’opposant aux milices lendues – et qui avaient à l’époque justifié le déclenchement de l’opération française Artémis – Ntaganda aurait commis les forfaits pour lesquels il comparaît désormais : crimes de guerre et crimes contre l’humanité, viol, esclavage sexuel… La liste est longue.
Il faisait courir le bruit qu’il détenait des secrets sur tous les gouvernements de la région
Période prospère
Mais sa « carrière » ne s’arrête pas là. Après un passage dans l’armée congolaise, à la faveur d’un accord de paix, il reprend le maquis en 2006 aux côtés de Laurent Nkunda. Deux ans plus tard, il trahit le chef rebelle tutsi congolais et, lorsque celui-ci est capturé par Kigali, lui ravit la tête de son mouvement.
L’épisode lui vaut encore aujourd’hui la rancune tenace d’une bonne partie de la communauté tutsie du Nord-Kivu. Il lui a permis pourtant de vivre, jusqu’en 2012 et son ultime fuite dans le maquis, la période la plus prospère de son existence. Réintégré dans l’armée congolaise au grade de général, il vit alors au grand jour à Goma, au bord du lac Kivu, malgré l’émission d’un mandat d’arrêt de la CPI. Ntaganda se paie même le luxe de jouer au tennis sur les courts en terre battue du fastueux hôtel Ihusi, sous le regard scandalisé des humanitaires et des Casques bleus. Selon de nombreux rapports d’ONG et des Nations unies, il s’enrichit alors considérablement en parrainant de nombreux trafics dans cette région qui regorge de richesses.
À cette époque, il se croyait intouchable
« À cette époque, il se croyait intouchable, rappelle un ancien membre de la mission onusienne à Goma. Il faisait courir le bruit qu’il détenait des secrets sur tous les gouvernements de la région. En réalité, ses trafics lui profitaient surtout personnellement et étaient connus de tous. Je ne vois pas comment d’éventuelles révélations de sa part sur ses arrangements passés pourraient lui profiter au tribunal… »
Peu politique et piètre orateur
Coup de bluff ? Son avocat, le Canadien Stéphane Bourgon, qui connaît bien la région pour avoir été le défenseur de Laurent Nkunda, laisse aujourd’hui planer la même menace. « Nous n’hésiterons pas à mettre en lumière des responsabilités extérieures si nous y avons intérêt », assure-t-il.
Mais à supposer que Bosco Ntaganda ait de quoi mouiller les gouvernements de la région, ira-t-il jusque-là ? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce que les audiences ne couvrent que ses activités dans l’Ituri entre 2002 et 2003. Or, cette période a déjà été au cœur du procès de Thomas Lubanga, son supérieur à l’époque, devant la CPI. Condamné à quatorze ans de prison en appel, ce dernier n’a pas fait de révélations fracassantes…
Ensuite, ce militaire, qui s’exprimera en kinyarwanda lors de son procès, n’a jamais montré d’appétence pour les déclarations tapageuses. Peu politique, piètre orateur, il n’a probablement pas les compétences nécessaires pour lancer des pavés dans le marigot diplomatique. Et puis, comme le concède son avocat, il reste dépendant des gouvernements de la région. « Certains témoins utiles à la défense se trouvent en RD Congo et au Rwanda. J’ai besoin de leur coopération », reconnaît Me Bourgon. La femme et les sept enfants de Bosco Ntaganda vivent d’ailleurs sans protection particulière à quelques centaines de mètres de la frontière avec la RD Congo, dans la ville rwandaise de Gisenyi…