
Les débris du Falcon 50 de Juvénal Habyarimana, dans l'enceinte de sa résidence. © Archives J.A.
À la minute où l’avion présidentiel s’est écrasé dans les jardins de Kanombe, le pays des Mille Collines s’est enfoncé dans l’horreur.
Il est près de 20 h 30 ce 6 avril 1994 lorsque le Rwanda bascule dans le génocide. Dans les jardins de la résidence présidentielle de Kanombe, à proximité de l’aéroport de Kigali, Jean-Luc Habyarimana, le fils du chef de l’État, vient de sortir de la piscine quand il entend le ronronnement familier des réacteurs du Falcon 50 présidentiel, de retour de Tanzanie.
Soudain, des éclairs lumineux déchirent la nuit. Deux missiles sol-air atteignent l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana au moment où il amorce son atterrissage. Le Falcon s’écrase dans les jardins de la résidence où Jean-Luc, équipé d’une lampe torche et d’un appareil photo, se lance dans une quête macabre à la recherche des corps calcinés, qu’il immortalisera.
Bouclé par les militaires rwandais, le site du crash restera interdit d’accès aux Casques bleus de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar). En revanche, le lieutenant-colonel Grégoire de Saint-Quentin, un coopérant français stationné dans le camp militaire qui jouxte la résidence, arrive sur les lieux dès 22 heures. Jusqu’à 3 heures du matin, il cherchera les corps des trois membres d’équipage français. Le lendemain à 8 heures, il revient sur le site pour tenter de retrouver la boîte noire de l’appareil. Officiellement, il fera chou blanc.
Toute la famille présente, y compris les religieuses, se réjouissait lorsqu’on venait annoncer la mort de tel ou tel opposant
Aux premières heures du 7 avril, une longue procession s’étire à Kanombe. La famille élargie du couple présidentiel, des officiers supérieurs de l’armée gouvernementale, l’archevêque de Kigali et les familles des proches du chef de l’État qui ont péri dans l’attentat défilent. Dans la capitale, les premiers barrages ont été installés pendant la nuit et la traque des opposants hutus, considérés comme des « complices » des rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), a débuté.
Aux dires des deux filles du médecin personnel du président assassiné, présentes sur les lieux, la famille du chef de l’État a tôt fait de sécher ses larmes pour encourager les premières exécutions. C’est ainsi que la sulfureuse Agathe Habyarimana, la veuve du président, « priait tout haut en demandant d’aider les [miliciens] Interahamwe à [la] débarrasser de l’ennemi » – assimilé aux Tutsis. Dans la cuisine, les deux jeunes femmes entendent également l’une des sœurs de Juvénal Habyarimana, une religieuse, « dire qu’il fallait tuer tous les Tutsis ». Pendus au téléphone pendant une bonne partie de la nuit, Agathe Habyarimana et ses frères parleront au maréchal Mobutu, à François Mitterrand ou à l’ambassadeur de France, relayant avec zèle la thèse d’un attentat commis par des Casques bleus belges pour le compte du FPR.
Selon les filles du médecin, « toute la famille présente, y compris les religieuses, se réjouissait lorsqu’on venait annoncer la mort de tel ou tel opposant ». Le temps d’une nuit, la bucolique résidence de Kanombe est devenue le quartier général du génocide des Tutsis.
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