Yéanzi, jeune artiste ivoirien en pointillé

Jeune talent de la scène abidjanaise, l’artiste réalise des tableaux à partir de sacs plastique fondus, véritables fléaux environnementaux. Rencontre.

Les nanas Benz, Yéanzi. © Yéanzi/Galerie Cécile Fakhoury

Les nanas Benz, Yéanzi. © Yéanzi/Galerie Cécile Fakhoury

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Publié le 6 août 2015 Lecture : 4 minutes.

Lorsque l’on rencontre Yéanzi, la plongée dans l’univers du jeune artiste ivoirien (27 ans) est immédiate, sans filet. Rendez-vous est donné sur l’artère principale de Bingerville, ville du district d’Abidjan située au bord de la lagune Ébrié, où il vit et travaille depuis deux ans. Quinze minutes de route poussiéreuse et cabossée à bord d’une vieille Peugeot 504 verte à travers les quartiers « Berlin » ou « Vietnam » sont nécessaires pour atteindre celui de « Korhogo » et découvrir un atelier sommaire comme en pleine campagne. Une petite maison d’une pièce sans lit, où traînent une biographie de Rembrandt, quelques pots de peinture, un ordinateur et une télé.

Boussira dite Sadonie, Yéanzi. © Yéanzi / Galerie Cécile Fakhoury

Boussira dite Sadonie, Yéanzi. © Yéanzi / Galerie Cécile Fakhoury

Série « Persona » : une myriade de personnalités

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C’est ici que Yéanzi a puisé l’inspiration et la matière de sa série « Persona », qui a été exposée du 24 avril au 20 juin à la Galerie Cécile Fakhoury d’Abidjan. « En m’installant dans ce quartier, j’ai rapidement réalisé que l’usage des surnoms était systématique. On habite à Berlin sans même connaître l’existence du mur. C’est pour moi symbolique d’une société qui se construit sur une identité qui n’est pas la sienne », explique-t-il. Pour traduire cette double personnalité, expression d’un phénomène social, Lanin Saint-Étienne Yéanzi s’immerge dans cet environnement, rencontre les habitants, s’imprègne de leur personnalité avant de réaliser leur portrait.

Certaines œuvres exposées demandent de prendre 10 mètres de recul pour y percevoir le visage

« Chaque fois que quelqu’un cherche à se mettre dans la peau d’un autre, il devient “persona”, dit Yéanzi. Je me glisse vers la personne. Au-delà de l’image, j’essaie de retranscrire son histoire par un effet de dripping pour que l’image que l’on voit soit différente de près ou de loin. » Certaines œuvres exposées demandent de prendre 10 mètres de recul pour y percevoir le visage. La singularité des portraits se révèle avec la proximité. L’image crée, fixe l’histoire et la personnalité de chacun.

Le ressenti est intensifié par la méthode utilisée. Yéanzi fait fondre sur des coupures de presse des sacs plastique usagés qui polluent son quartier. Le résultat est un pointillisme très personnel. Détourner la fonction première de cet objet du quotidien, fléau environnemental, ajoute à la dimension sociale de son travail. « Je m’exprime avec un matériau témoin de mon temps qui donne un aspect écologique à mon travail », poursuit-il.

Dessiner, son seul moyen d’expression

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Né à Katiola, près de Bouaké, en 1988, Yéanzi a été bercé dans l’univers du dessin. Son père, un intellectuel proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié, lui rapportait de ses voyages des bandes dessinées du monde entier. En 2002, Yéanzi se retrouve au cœur de la crise ivoirienne et vit pendant trois mois dans « l’enfer de Bouaké ». Dessiner est alors son seul moyen d’expression. « C’est l’unique moment où je me sentais bien », confie-t-il. Mais l’atmosphère est trop pesante, et la famille doit déménager à Abidjan en janvier 2003. Au contact de la capitale économique ivoirienne et de la multitude de ses phénomènes sociaux, il dessine ses premiers portraits parce que « l’expression des visages permet de déchiffrer les choses ».

Vient le temps de l’apprentissage. D’abord au Lycée d’enseignement artistique de Cocody puis à l’école des beaux-arts d’Abidjan (l’Insaac), d’où il sort major de sa promotion en 2012. Ses premiers contacts avec l’académisme et ses codes sont pourtant conflictuels. « J’avais commencé dans la rue, sans règles. Je ne comprenais pas pourquoi on voulait nous faire faire de l’impressionnisme au XXIe siècle en Afrique. »

Les patrons, Yéanzi. © Yéanzi / Galerie Cécile Fakhoury

Les patrons, Yéanzi. © Yéanzi / Galerie Cécile Fakhoury

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Sources d’inspiration

Une rencontre viendra tout changer. En 2007, le plasticien ivoirien Pascal Konan fait ses débuts comme professeur. Yéanzi est séduit par son discours et sa prestance. « Il a totalement bousculé ma vision des choses. Il m’a dit de ne pas me focaliser sur mes notes, alors très mauvaises. » Une relation se noue : « J’étais constamment chez lui. Il jouait avec mes sentiments et mes émotions. J’ai réalisé grâce à lui que je pouvais m’exprimer, éclairer les phénomènes sociaux. »

Dans les murs des Beaux-Arts, Yéanzi fera aussi la rencontre d’Aboudia, qui connaît alors un certain succès. « Il était encore plus anticonformiste que moi, se souvient-il. D’ailleurs, il n’a même pas terminé l’école. » Une autre source d’inspiration : « À l’époque, tout le monde disait de ses œuvres qu’un enfant ferait la même chose. Il répondait avec une insouciance impressionnante. Aujourd’hui, ses tableaux valent une dizaine de milliers d’euros. » Désormais ouvert à la découverte de l’art et de son histoire, Yéanzi ingurgite. Le travail d’Andy Warhol sur Marilyn Monroe le fascine. « Le détournement de la photo et de la publicité était révolutionnaire. Il a abattu les murs entre la peinture, la photographie et la publicité. Tout ça m’a aidé à redéfinir ma conception de l’art. »

En perpétuelle évolution

À peine diplômé, en 2013, il remporte deux prix locaux (le Grand Prix Guy Nairay et le Prix Bene Hoane) et participe aux Jeux de la Francophonie à Nice, en France. Un voyage, le premier en Europe, charnière : « J’étais fasciné et intrigué par les différences extrêmes entre l’Afrique et l’Occident. J’arrivais dans un autre monde. C’est là que le désir d’étudier les phénomènes sociaux, mon intérêt pour le problème de la double identité sont nés. »

Après une première participation à une exposition collective à Abidjan à La Rotonde des arts en 2012, puis à la Fondation Donwahi, Yéanzi – représenté par la galeriste Cécile Fakhoury – a pu montrer ses créations lors de la première édition de la Foire d’art contemporain africain, 1:54, à Londres en 2014, puis l’année suivante à Art Dubai. En perpétuelle évolution, à la recherche de nouvelles influences, Yéanzi devrait bientôt quitter Bingerville pour s’immerger dans un autre quartier d’Abidjan. « Je veux travailler et créer en toute liberté. Peindre sans finir les pieds ou les mains, aller à l’essentiel. »

Fébé dite procureur, Yéanzi. © Yéanzi / Galerie Cécile Fakhoury

Fébé dite procureur, Yéanzi. © Yéanzi / Galerie Cécile Fakhoury

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