RDC : Moïse Katumbi, le dernier gouverneur

Moïse Katumbi quitte la scène politique provinciale et prépare un grand tour du pays à la rencontre des Congolais. À moins qu’il ne soit contraint de revoir ses plans.

Moïse Katumbi, ancien gouverneur de l’ex-Katanga, dans le sud de la RDC. © Gwenn Dubourthoumieu/J.A.

Moïse Katumbi, ancien gouverneur de l’ex-Katanga, dans le sud de la RDC. © Gwenn Dubourthoumieu/J.A.

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Publié le 30 juin 2015 Lecture : 8 minutes.

Le square George-Forrest, à Lubumbashi (statue de l’artiste lushois Daddy Tshikaya) © Gwenn Dubourthoumieu/J.A.
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Bye-bye Katanga

Le nouveau découpage de la RD Congo en 26 provinces devrait bientôt entrer en vigueur. Il prévoit notamment une division de la région du Katanga en quatre « provincettes » : Tanganyika et Haut-Lomami au nord, Lualaba et Haut-Katanga au sud. Plongée au coeur de cette grande province qui ne sera bientôt plus.

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Alors que certains croyaient leur réconciliation encore possible, il semble que le divorce soit consommé entre Kabila et Katumbi. Le 23 juin, le chef de l’État a en effet fait déposer auprès du procureur général de la République une plainte pour corruption ou malversation visant quatre gouverneurs, dont, sur des soupçons de fraude douanière, celui du Katanga.

À la tête de la province depuis huit ans, Moïse Katumbi Chapwe, 50 ans, a annoncé il y a plusieurs mois déjà qu’il quitterait le gouvernorat dès que les nouvelles provinces seraient installées. Soit officiellement le 30 juin, avant les élections provinciales prévues le 25 octobre. Dans les rues de Lubumbashi, la nouvelle a du mal à passer. Beaucoup estiment que leur gouverneur, cet homme d’affaires qui a fait fortune dans le privé avant de s’engager en politique, est poussé vers la sortie parce qu’il est devenu encombrant. Fini l’époque où les ténors de la majorité lui faisaient les yeux doux pour qu’il rejoigne le camp de Joseph Kabila. « C’était avant la présidentielle de 2006 », se souvient un proche de Katumbi. À l’en croire, c’est un autre Katangais, feu Augustin Katumba Mwanke, l’ancien conseiller spécial du chef de l’État, qui l’avait convaincu de se présenter aux élections provinciales, sous les couleurs du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, au pouvoir). Mais aujourd’hui, le mariage Kabila-Katumbi traverse une zone de turbulences. Que leur est-il arrivé ?

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« La popularité du gouverneur et surtout son bilan ont fini par éclipser le chef de l’État dans son propre fief, explique un membre de la société civile locale. L’Histoire retiendra que c’est Katumbi, et non Kabila, qui a multiplié par plus de 50 les recettes provinciales, redonnant au Katanga le rang de premier contributeur au budget national qu’il avait jadis ! »

Une spectaculaire croissance

L’un des principaux moteurs de cette croissance est la relance spectaculaire de la production de cuivre, de 18 000 tonnes en 2007 (année de son élection) à plus de 1 million en 2014. Dès son investiture, la décision du gouverneur d’interdire aux compagnies d’exporter les minerais bruts a contraint les industriels à construire leurs unités de transformation au Katanga, générant plus de recettes et d’emplois locaux. Résultat : le budget de la province a quintuplé en un an, de 21 millions de dollars en 2006 à 113 millions en 2007.

« Mais il n’y a jamais eu de mesure de renforcement du potentiel électrique pour industrialiser véritablement le secteur minier au Katanga, regrette un expert des questions de développement basé à Lubumbashi. Seules les compagnies qui transformaient déjà localement les minerais bruts ont continué à le faire, les autres n’ont pas pu sauter le pas. » Conséquence : le gouvernorat a multiplié les « mesures d’exception » afin de permettre aux entreprises d’exporter des minerais bruts.

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Qu’à cela ne tienne : au sein de l’Assemblée provinciale, qui vit ses dernières heures avant d’être éclatée en quatre hémicycles, les élus, eux aussi, plébiscitent Katumbi. Ceux du Haut-Katanga vont jusqu’à lui proposer de se présenter à la tête de leur future province, lui promettant de l’élire massivement. « Il faut savoir partir », répète l’intéressé, qui se dit fier d’avoir remis le Katanga sur les rails, mais « frustré » de n’avoir pas eu les moyens nécessaires à sa politique, le gouvernement central n’ayant jusqu’à présent rétrocédé qu’une infime partie (6 %) des 40 % de recettes censés revenir aux provinces dans le cadre de la décentralisation… Tout au long de son mandat, Moïse Katumbi a réclamé que cette rétrocession soit pleinement effective. Kinshasa l’a toujours refusé.

Katumbi n’aura pas laissé un grand héritage au niveau national

Un manque à gagner énorme pour le Katanga, certes, mais aussi un échec pour Katumbi dans son bras de fer avec le pouvoir central. Pour ses détracteurs, le gouverneur n’a pas réussi à créer une synergie avec les autres autorités provinciales du pays pour imposer l’implantation des mécanismes de décentralisation. Ce qui fait dire à certains qu’en dehors de son charme et de son charisme, Katumbi n’aura pas laissé un grand héritage au niveau national. Ngandu Diemo, président de la commission politique, administrative et juridique de l’Assemblée du Katanga, pointe de son côté la « mauvaise foi » de Kinshasa : « Les promesses non tenues par le gouvernement central n’ont pas permis de concrétiser certains projets. Le gouverneur pouvait prévoir de construire une école ou de réhabiliter une route à Mitwaba et finalement y renoncer parce que la rétrocession attendue de Kinshasa ne couvrait pas les sommes escomptées… À qui la faute ? »

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Katumbi, champion de l’intervention

À quelques jours de quitter le gouvernorat, Moïse Katumbi lui-même semble partagé entre la certitude qu’il aurait pu mieux faire et le sentiment du devoir accompli, malgré tout. En ce début d’après-midi ensoleillé, le gouverneur regagne rapidement son bureau après la brève cérémonie d’inauguration du palais de justice de Lubumbashi, nouvellement rénové. Ce jour-là, il n’a pas fait de discours. Il s’est déplacé pour couper le ruban et apprécier le travail réalisé « sur fonds propres du gouvernorat ». La réhabilitation de l’édifice incombait normalement à l’État, « mais les magistrats ne pouvaient plus continuer de rendre justice dans un bâtiment aussi délabré, souligne un conseiller du gouvernement provincial. Il fallait intervenir pour leur permettre de travailler dans la sérénité et pour que la pluie n’interrompe plus le déroulement des procès ! »

« Intervenir » : ç’aura été la marque de fabrique du gouverneur Katumbi. Outrepassant souvent ses attributions, il n’hésite pas à payer de sa poche les droits de diffuser les matchs internationaux à la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC) et met son jet privé à la disposition des Léopards (l’équipe nationale de football), d’un ministre ou de la première dame lors de leurs déplacements dans la province. Sans compter les « cadeaux » : bateaux, bus, matériel scolaire, équipements sportifs, maïs… « Et l’on s’étonne, à Kinshasa, que le peuple le lui rende ? » lance le député Ngandu Diemo.

Un grand tour du pays

Une fois libéré de ses fonctions de gouverneur, Katumbi compte d’ailleurs aller à la rencontre de tous les Congolais. Une perspective que les caciques de la majorité, à Kinshasa, ne voient pas d’un bon œil. « Ce tour de la RDC qu’il a annoncé ressemble à une campagne pour la présidentielle avant l’heure », maugrée un cadre du PPRD. Comme pour rassurer, Katumbi précise que « l’objectif de ce grand tour est de vendre l’image de la RD Congo, de montrer ses potentialités afin d’attirer d’éventuels investisseurs » ; et que « tout le monde », politiques et simples citoyens, est invité à l’accompagner dans ce périple. « C’est un voyage pour voir et pour écouter le peuple », explique-t-on dans son entourage. D’ailleurs, aucun meeting n’est prévu. Pas sûr que de tels gages calment les esprits à Kinshasa, où l’aile radicale du PPRD « considère désormais Katumbi comme un homme à abattre », confie un conseiller du gouverneur.

Surtout depuis son retour triomphal à Lubumbashi, le 23 décembre dernier, après trois mois passés à l’étranger pour raisons de santé. Ce jour-là, des milliers de Katangais sont venus ovationner celui qui est aussi président du Tout-Puissant Mazembe, le plus prestigieux club de foot du pays. Face à la foule, Katumbi s’est alors demandé si, après deux « faux penalties » contre l’équipe nationale, ses supporters n’envahiraient pas le terrain au cas un troisième serait sifflé… Une métaphore, soigneusement choisie, qui sonne comme une mise en garde. Attention aux débordements que risquerait de susciter une révision constitutionnelle visant à permettre au chef de l’État de briguer un troisième mandat !

Le 4 mars, à Lubumbashi, devant les joueurs du Tout-Puissant Mazembe, le club de football qu’il préside © Gwenn Dubourthoumieu/J.A.

Le 4 mars, à Lubumbashi, devant les joueurs du Tout-Puissant Mazembe, le club de football qu’il préside © Gwenn Dubourthoumieu/J.A.

Kabila riposte

La riposte de Kabila ne s’est pas fait attendre. Le 5 janvier, à Lubumbashi, le président est venu recadrer ses troupes, personnalités politiques, de l’économie et de la société civile du Katanga, en l’absence de Katumbi (qui avait prétexté son mauvais état de santé) et d’Antoine Gabriel Kyungu wa Kumwanza, le président de l’Assemblée provinciale. Il est resté plusieurs jours dans la province, où lui aussi sait rassembler les foules.

Ce n’est qu’à la fin du mois de février, à Kinshasa, que Kabila et Katumbi se sont vus. De cet entretien d’une heure, rien n’a filtré. Pas même un mois plus tard lorsque, de retour à Lubumbashi, le gouverneur reçoit Jeune Afrique. Dans le vaste salon de sa résidence privée du quartier du Golf, un silence de marbre s’installe dès lors que l’on aborde la question. Le terrain est glissant, et le bras de fer entre les deux hommes un jeu d’échecs. Chacun avance prudemment ses pièces, prenant soin d’assurer ses arrières à chaque mouvement, à chaque prise de parole.

Kabila ne peut plus, en l’état actuel de la Constitution, briguer un nouveau mandat. Le chef de l’État joue donc la montre pour débusquer les lieutenants pressés qui voudraient – trop rapidement à son goût – lui succéder alors qu’il n’a pas encore décidé de son avenir. Katumbi, à qui l’on prête des ambitions présidentielles, l’a compris. Désormais, il temporise, en attendant le bon moment. Mais pense-t-il sérieusement à se présenter en 2016 ? « Dans une famille politique, on devrait savoir analyser le charisme de chacun de ses membres et se demander pourquoi untel ou untel est toujours suivi par la population lorsqu’il improvise des meetings. Et en tirer les conséquences », se contente-t-il de lâcher. Insinuerait-il que sa popularité n’est pas considérée à sa juste valeur au sein de la majorité ? « En tout cas, Kabila avait tout intérêt à faire de Katumbi son dauphin pour la présidentielle de 2016 », répond un habitué des arcanes du pouvoir, déplorant la stratégie suivie par la majorité, laquelle, selon lui, consiste à « vouloir tuer sa poule aux œufs d’or ».

Pour l’instant, le dernier gouverneur du Katanga annonce qu’il compte avant tout « prendre une pause ». Un repos auprès des siens, de sa famille, pour se ressourcer et réfléchir. Même si, dans les officines de certains partis – de la majorité comme de l’opposition -, son nom circule déjà comme celui du candidat idéal à soutenir pour la présidentielle de 2016. À l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec), de Gabriel Kyungu, fer de lance des « frondeurs » au sein de la Majorité présidentielle, il semble qu’on n’attende désormais plus que le « oui, j’y vais » de Katumbi pour s’aligner derrière lui. Mais Moïse ira-t-il jusque-là ? Lorsqu’on lui pose la question, il n’esquisse qu’un sourire. Et la plainte qui le vise depuis le 23 juin pourrait bien contrarier ses projets.

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