Au Tchad, une croissance repêchée par le brut

Contre toute attente, le Tchad résiste bien mieux que ses voisins aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 et a su redresser ses finances publiques. Décryptage.

Siège national de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), place de la Justice, à N’Djamena. © Renaud Van der Meeren/EDJ

Siège national de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), place de la Justice, à N’Djamena. © Renaud Van der Meeren/EDJ

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 25 novembre 2020 Lecture : 5 minutes.

Le Tchad était au bord de la faillite en 2016 et 2017, après l’effondrement des cours du brut. Surprise ! En 2020, il est l’un des pays africains qui souffrent le moins de la pandémie et de ses dégâts économiques. Cette année, il enregistrera une récession d’à peine 0,7 % selon le FMI, alors que ses voisins de la Cemac subiront un recul de 3,2 % en moyenne.

Mieux, le Fonds parie sur une reprise de la croissance au Tchad de 6,1 % en 2021. Cette étonnante résilience s’explique d’abord par l’élan qu’avaient donné les bons résultats de 2019.

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Croissance de la production pétrolière notamment grâce au champ de Daniela, abondantes récoltes, comme le coton, moindre place des hydrocarbures dans le budget de l’État et mesures d’austérité antérieures (les fameuses « seize mesures » entrées en vigueur dès 2016) permettent aujourd’hui au Tchad d’amortir en partie le choc dû au Covid-19. La crise semble être moins sévère que celle née en 2014 de l’effondrement des prix du pétrole.

Mesures de sauvetage

Il faut dire que la petite taille de l’économie tchadienne (PIB d’environ 10 milliards de dollars) la rend très réactive aux mesures de sauvetage prises à partir de 2016. Si celles-ci ont durement fait souffrir la population, elles ont aussi permis une meilleure rentrée des recettes publiques, par exemple en raison de l’impôt enfin payé par la China National Petroleum Corporation (CNPC) et d’une chute des dépenses de fonctionnement (notamment de la masse salariale), qui ont ramené les comptes publics dans des zones moins dangereuses.

Les autorités ont par ailleurs fait preuve d’un volontarisme remarqué pour contrer l’épidémie et les effets délétères des dispositifs mis en place pour la maîtriser (fermeture des frontières, arrêt de l’activité économique, limitation des déplacements).

Elles ont débloqué une enveloppe pour renforcer les stocks de denrées de l’Office national de sécurité alimentaire (25 milliards de F CFA, soit plus de 38 millions d’euros), créé un fonds national de soutien aux populations vulnérables (100 milliards de F CFA), institué la gratuité de l’eau et de l’électricité pour les ménages les plus défavorisés, recruté près de 1 640 agents de santé et exonéré de taxes les importations de produits et matériels médicaux.

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Vers une année 2021 plus délicate

Le gouvernement s’est aussi soucié du secteur économique en difficulté. Le président Déby Itno a annoncé le paiement d’une partie des arriérés dus aux entreprises privées (110 milliards de F CFA sur les 1 000 milliards estimés). Un fonds pour l’entrepreneuriat des jeunes doit faciliter l’octroi de prêts bancaires garantis par l’État à hauteur de 70 % (30 milliards de F CFA).

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Enfin, le chef de l’État a décidé une réduction de 50 % de la patente et des contributions au titre de l’impôt libératoire pour l’exercice 2020, mesure qui réduit partiellement un matraquage fiscal décidé dans la loi de finances initiale et susceptible de provoquer des hausses de plus de 1 500 % de la patente des entreprises !

Il faut aussi souligner que les aides n’ont pas manqué – grâce à la suspension de la charge de la dette décidée par le Club de Paris, aux deux décaissements du FMI au titre de la facilité de crédit rapide et aux apports de la Banque mondiale, de la BAD, de l’UE et de la France. Les recettes ont augmenté de 7 % en 2020, mais pas suffisamment pour compenser les dépenses supplémentaires liées à la lutte contre le Covid. L’année 2021 s’annonce donc plus délicate, avec un fléchissement projeté des recettes budgétaires de 11 %, alors que les dépenses ne baisseraient pas dans la même proportion.

Il n’empêche que, comme le souligne Fulbert Tchana Tchana, économiste principal de la Banque mondiale pour le Tchad, « les autorités ont la rude tâche de continuer à soutenir les ménages précaires et les entreprises qui ont été les plus touchées tout en continuant à investir dans des secteurs et infrastructures clés pour préparer l’avenir, alors que les recettes budgétaires baisseront en 2021 ».

Une tâche gigantesque

L’État doit se battre sur tous les fronts : limiter l’inflation qui a repris sous l’effet de la fermeture des frontières et menace le faible pouvoir d’achat d’une population dont l’indice de capital humain est le plus faible du monde, selon la Banque mondiale ; limiter la poussée de la dette publique déjà excessive, mais que le FMI juge encore viable ; financer la lutte contre le terrorisme qui dévore 30 % du budget de l’État ; apporter l’électricité aux 92,4 % des Tchadiens qui n’y ont pas accès ; améliorer, par l’éducation et la formation, les compétences des jeunes qui se pressent sur un marché de l’emploi étriqué ; retenir le pétrolier Exxon, qui serait tenté, dit-on, de plier bagage ; obtenir de ne plus être le parent pauvre du G5 Sahel en matière de répartition des allocations budgétaires ; trouver les quelque 600 milliards de F CFA nécessaires au financement du nouveau Plan directeur d’industrialisation et de diversification économique (PDIDE), etc. Une tâche gigantesque.

Le plus important sera de réduire la dépendance du pays vis-à-vis du pétrole et de diversifier une économie encore fondée sur la rente, l’entreprise publique et le commerce. Pour en venir à bout, il faudra que le Tchad améliore le climat de ses affaires, qui paralyse les investissements domestiques et étrangers. Au classement « Doing Business 2020 » de la Banque mondiale, il pointe au 182e rang sur les 190 pays analysés, parce que ses entreprises privées se voient infliger un parcours du combattant réglementaire, fiscal, social et douanier.

De sérieux atouts, mais…

Pourtant il existe des niches où les entreprises tchadiennes disposent de sérieux atouts pour créer de la valeur et donc des emplois.

« Le Tchad est le champion de l’élevage en Afrique centrale, souligne Fulbert Tchana Tchana, mais il n’exploite pas bien ce secteur, qui reste à l’état artisanal. Nous travaillons avec l’État pour que les populations en tirent de meilleurs profits. En adoptant des normes de qualité, en organisant les acteurs du secteur et en réduisant les entraves bureaucratiques, il exportera mieux ses bovins et ses moutons et pourra concurrencer les viandes venues du Brésil ou d’Europe. »

En jouant la carte de l’irrigation efficace, le Tchad pourrait réduire sa dépendance vis-à-vis de ses voisins

D’autres filières sont à l’étude au ministère du Plan, comme celle du sésame ou de la gomme arabique. Celle-ci est aujourd’hui récoltée, collectée et exportée sans transformation, donc à bas prix, vers des usines d’Europe et de Chine où elle est purifiée et réduite en poudre. Pourquoi ne pas emboîter le pas au Soudan, qui s’est lancé dans des plantations d’acacias de première qualité et dans la valorisation de sa gomme ?

« En jouant la carte de l’irrigation efficace, le Tchad pourrait réduire sa dépendance vis-à-vis de ses voisins et donc ses importations de produits agricoles, ajoute Fulbert Tchana Tchana. En digitalisant son économie, il réduirait le handicap de son enclavement et pourrait développer le secteur des services, mais cela réclame de l’énergie, du haut débit, des réglementations adaptées aux besoins des populations. »

Cela exigera encore et toujours un appui vigoureux de la communauté internationale, sans lequel le Tchad peinera à surmonter son enclavement, le dérèglement climatique et sa croissance démographique galopante.

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