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Dakar étouffe. Polluée, surpeuplée, l’agglomération ne sait plus comment loger et faire cohabiter ses 4 millions d’habitants. Le constat est sans appel, et la solution toute trouvée : construire, aux portes de la presqu’île, une ville nouvelle. Projet central du Plan Sénégal émergent (PSE), de Macky Sall, Diamniadio est cette cité miracle, à une trentaine de kilomètres de Dakar et à 15 kilomètres du nouvel Aéroport international Blaise-Diagne (AIBD).
Elle sera bientôt desservie, promet-on, par le Train express régional. C’est dans cette nouvelle agglomération, qui pourrait accueillir 350 000 habitants sur près de 2 000 hectares, que Diène Marcel Diagne, le PDG du groupe Semer, prévoit de construire, autour d’un lac, la Diamniadio Lake City, une « ville dans la ville », écologique et intelligente, qui mêle quartiers résidentiels, bureaux et « espaces de divertissement ».
Goût pour l’élégance
Villas de « standing », « mall » surplombé par une bibliothèque nationale, « fashion avenue », siège de grandes institutions internationales… « Le projet a été conçu en réponse aux aspirations nouvelles de la population sénégalaise, qui assume sa modernité et un goût prononcé pour l’élégance », faisait savoir son concepteur lors du lancement. À moins de 40 ans, Diène Marcel Diagne est à la tête du holding sénégalo-émirati Semer Investment, fondé en 2017 – date de signature du bail attribuant les hectares nécessaires au projet. Vivant entre Dakar et Dubaï, il est chargé de la construction et de l’aménagement de la cité.
Le Sénégalais, qui travaillait auparavant dans le secteur de l’énergie, revendique un « projet unique », « futuriste », « pharaonique », admettait-il en 2017 dans une interview à la Deutsche Welle. Un projet « inspiré de la vision de Macky Sall », dont le coût est estimé à 2 milliards de dollars.
La directrice des investissements de Semer Investment, Marième Faye, refuse toutefois l’étiquette de « petite ville de riches ». « Son volet résidentiel s’adresse à la classe moyenne », insiste-t-elle. Réparti sur une soixantaine d’hectares, il est divisé en trois phases. La première (26 ha, 50 milliards de F CFA, soit plus de 76,2 millions d’euros) comprend la construction de 165 villas, d’un immeuble résidentiel de plus de 100 appartements et d’une station d’épuration. Sa réalisation devrait être achevée d’ici à deux ou trois ans. La construction de l’agglomération dans son ensemble pourrait générer plusieurs dizaines de milliers d’emplois et s’achever au cours de la prochaine décennie.
Nous nous réservons le droit de retirer le bail au promoteur s’il ne respecte pas son cahier des charges
N’en déplaise à Marième Faye, cette cité à 2 milliards de dollars semble encore virtuelle, bien loin des réalités de la métropole dakaroise. Semer Investment et son patron n’auraient-ils pas vu trop grand ? « Pourquoi voir petit ? rétorque Marième Faye. L’important, c’est d’avoir les moyens de son développement. C’est à croire que, parce que le projet est réalisé en Afrique, avec un Africain à sa tête, certains expriment ce genre de scepticisme », s’agace-t-elle.
La délégation générale à la promotion des pôles urbains de Diamniadio (DGPU), qui régit l’espace de la ville nouvelle à travers un titre foncier cédé par l’État, se veut toutefois rassurante. « Le financement du projet est bouclé depuis 2017, assure une source au sein de la délégation. » « Les travaux ont à peine commencé, vient nuancer un membre du bureau chargé du suivi du PSE. Certes, la maison-témoin est construite, mais si l’on compare ce qui est en train d’être fait à la maquette… on ne voit pas le bout du tunnel ! » « Nous nous réservons le droit de retirer le bail au promoteur s’il ne respecte pas son cahier des charges », rétorque notre interlocuteur de la DGPU. Sinon, ce bail initial de trente ans pourrait se solder par une cession définitive.
Une réplique du Wakanda
Il y a quelques mois, un projet étrangement similaire faisait les gros titres des journaux. Le succès de la communication tenait sans doute à la popularité de son promoteur, un certain Alioune Badara Thiam, alias Akon. D’origine sénégalaise, le chanteur, qui a fait sa carrière aux États-Unis, est revenu au Sénégal avec un projet très ambitieux. Une réplique du Wakanda, ce royaume africain supermoderne dépeint dans la bande dessinée et le film Black Panther. Le 31 août, Akon se rendait à Mbodiène, village situé à 100 km de Dakar, pour y poser la première pierre de « sa » ville, destinée notamment à attirer les Africains-Américains. Il était accompagné d’Alioune Sarr, le ministre du Tourisme, et de son architecte, Hussein Bakri.

Le projet de Diamniadio Lake City, par leur concepteur commun, l’architecte libanais Hussein Bakri. © Hussein Bakri/BAD Consultant
Le Libanais, fondateur de Bakri & Associates Development Consultants, est par ailleurs l’architecte principal d’une ville nouvelle nommée… Diamniadio Lake City. Et il est loin d’être le seul lien qui existe entre les deux projets. Selon nos informations, Akon aurait en effet approché Semer Investment pour une collaboration. Mais c’est finalement à travers la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques (Sapco) qu’il développe son propre programme. Selon un responsable de la mairie de Mbodiène, les hectares attribués au promoteur l’ont été par cette société nationale, qui s’est chargée des négociations. Contactés par Jeune Afrique, ni la Sapco ni le ministère du Tourisme n’ont souhaité s’exprimer, pas plus que le producteur Mbacké Dioum, également partie prenante dans le projet. Seul l’architecte a répondu à nos sollicitations.
À part un nom et une première pierre, on n’a pas grand-chose… Pour l’instant, tout ça, c’est de l’utopie
Selon lui, les travaux pourraient commencer dès 2021, avec une première phase de 55 ha : 50 ha réservés à Akon City et 5 ha supplémentaires pour des « villages africains », en bordure de la ville. « Nous avions besoin de créer quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant », explique Hussein Bakri. En plus des logements, Akon City doit accueillir des studios de cinéma, des hôtels, un casino, des hôpitaux, des universités… La ville se veut à la fois moderne et écologique, africaine et internationale. Une deuxième phase prévoit même une avancée des constructions sur la mer.
Au nom de la star
Mais le projet à 6 milliards de dollars, financé en partie par la société américaine KE International, suscite beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes. Y compris au sein de l’administration sénégalaise. « C’est un bon projet d’avoir ce type de ville futuriste, positive, écologique, reconnaît un officiel sénégalais. Mais les évaluations environnementales n’ont pas été faites. À part un nom et une première pierre, on n’a pas grand-chose… Pour l’instant, tout ça, c’est de l’utopie. » Les ONG s’inquiètent quant à elles des « sommes faramineuses » injectées, de l’absence d’études d’impact publiques et de la volonté affichée d’Akon d’y faire circuler sa propre cryptomonnaie, l’akoin.
Boosté par le nom de la star, crédibilisé par l’appui du ministère du Tourisme, le projet, qui reste à l’état virtuel, a su faire parler de lui. Finira-t-il par voir le jour ? « Akon est venu à plusieurs reprises à la DGPU », confirme notre source à la délégation, ajoutant qu’il n’a pu y sceller de collaboration. « La preuve qu’il ne suffit pas de nous contacter avec beaucoup d’argent pour que ça marche. Nous ne travaillons pas avec n’importe qui », glisse notre interlocuteur.