C’est un portrait en peinture de taille moyenne, aux couleurs vives, rangé dans le coin du bureau de Martin Fayulu. Ni accroché au mur ni vraiment soustrait à la vue des visiteurs qui défilent dans le quartier général de l’opposant, on y distingue le visage fier de l’ancien candidat, regard fixé vers l’horizon, souligné de cette phrase aux allures de mise en garde : « La vérité triomphera. »
En ce début de mois d’octobre, au Faden House, l’hôtel que possède Fayulu, l’heure est à la préparation d’une passation de pouvoir qui traîne depuis plusieurs mois, celle de la présidence tournante de Lamuka.
Celui qui se dit toujours « président élu » de la RD Congo doit succéder depuis le mois d’avril à l’ex-Premier ministre Adolphe Muzito à la tête de la principale coalition de l’opposition mais, pandémie de coronavirus oblige, l’absence prolongée de plusieurs cadres de Lamuka (dont Fayulu et Muzito, longtemps bloqués aux États-Unis et en Europe) a retardé la transition. Mais ce n’est pas la seule raison qui explique ce « glissement ».
Difficile consensus
Si, depuis les dernières élections générales, les leaders des partis composant la plateforme ont pu assumer une certaine indépendance dans leurs prises de position respectives tout en parvenant à parler d’une seule voix sur certains sujets clés, le consensus semble de plus en plus difficile à atteindre, à l’heure où Lamuka réfléchit à son évolution et où s’engagent les débats sur la préparation du prochain scrutin présidentiel.
Dernier exemple en date de ces divisions : alors que la passation à la tête de Lamuka devait se tenir le 1er octobre, une objection de dernière minute de Jean-Pierre Bemba et de Moïse Katumbi sur un point du communiqué final est venue retarder les choses et a entraîné le report du changement de président, qui a finalement eu lieu le 12 octobre.
Si aucun détail complémentaire n’a alors été fourni (certains ont évoqué un « simple problème de formulation »), le blocage portait en réalité sur le cadre dans lequel l’opposition comptait réclamer des réformes électorales. Faut-il engager celles-ci à l’intérieur ou à l’extérieur des institutions ? Telle est la question que les quatre leaders ont essayé de trancher. La terminologie retenue, celle d’un format « consensuel et paritaire », montre qu’ils n’ont pour l’instant pas fini d’en débattre.
Divergences de stratégie
En effet, Martin Fayulu et Adolphe Muzito semblent plus enclins à soutenir une démarche effectuée hors des institutions, que l’ancien candidat a toujours qualifiées d’illégitimes et qui sont par ailleurs dominées par le Front commun pour le Congo (FCC), de Joseph Kabila. Martin Fayulu plaide notamment pour que la démarche du G13 (qui a récemment rendu son rapport et ses propositions de réformes) se rapproche d’une initiative de dialogue comme celle du Pr Bob Kabamba, qui, en août, a tenté en vain d’organiser des assises pour obtenir un consensus sur ce sujet.
Cette vision semble aujourd’hui peu compatible avec la position d’opposition « républicaine » privilégiée par Moïse Katumbi et avec celle, plus discrète et plus neutre, de Jean-Pierre Bemba. « Nous nous contredirions en rentrant dans ce schéma », assure un proche de l’ancien gouverneur du Katanga.
Lamuka a souvent semblé battre de l’aile et ployé, mais elle n’a pour l’instant jamais rompu.
Ce point de divergence peut paraître anecdotique. Il est pourtant loin de l’être, car il met en lumière des divergences de stratégie sur un sujet crucial, tant pour l’opposition qu’au sein de la coalition au pouvoir.
Dans ces conditions, faut-il croire à un avenir en commun pour ces quatre leaders d’opposition ? Depuis le début du mandat de Félix Tshisekedi, Lamuka a souvent semblé battre de l’aile et ployé, mais elle n’a pour l’instant jamais rompu.
Chacun joue sa partition
Ces derniers mois, chacun a semblé vaquer à ses occupations et se concentrer sur ses propres ambitions. Des quatre membres de Lamuka, Jean-Pierre Bemba est probablement celui qui est resté le plus discret. Une position assumée, pour ses collaborateurs. « Nous n’avons pas envie d’ajouter à la cacophonie, nous avons remis les structures du parti en place et on s’attelle désormais à penser politique », assure Fidèle Babala, secrétaire général adjoint du Mouvement de libération du Congo (MLC) et l’un des plus proches collaborateurs de Bemba.
Ce dernier s’est tout de même offert un bain de foule remarqué le 13 juillet, en menant une marche contre l’entérinement de Ronsard Malonda à la tête de la future Commission électorale nationale indépendante (Ceni). « Nous avions la volonté de montrer que nous sommes toujours là, que la lumière n’a pas à être portée que sur une ou deux personnes », explique encore Fidèle Babala.
« Fayulu a compris que le débat sur la vérité des urnes n’était plus porteur. »
De son côté, Moïse Katumbi est entré dans la dernière phase d’installation de son nouveau parti, Ensemble pour la République, qui semble principalement destiné à lui servir de socle pour 2023, tandis que Martin Fayulu, suivi de près par Adolphe Muzito, s’est particulièrement mobilisé autour de questions comme celle du rapport « Mapping », dont ce mois d’octobre marquait le dixième anniversaire, ou, plus récemment, celle de la commune de Minembwe.
« Fayulu a compris que le débat sur la vérité des urnes n’était plus porteur et que le créneau sur lequel il devait revenir, c’était celui de l’opinion publique, du débat de société, même clivant, sur lequel les autres s’aventurent moins », explique l’un de ses collaborateurs au sein de Lamuka. « Ils n’ont pas le même statut que moi, rappelle Martin Fayulu. J’ai été élu, je me dois donc de m’adresser à la totalité de la population congolaise sur les problèmes qui la concernent. »
Si l’on doit à nouveau s’entendre sur un seul nom en 2023, chacun devra y mettre du sien. »
Chacun semble donc jouer sa propre partition. Serait-ce pour redonner un élan commun à leur coalition que les quatre leaders sont convenus d’un nouveau fonctionnement de leur plateforme ? Mandat de six mois et non plus de trois à la tête du présidium de Lamuka, plus grande implication de chacun des différents partis… Plusieurs réformes ont été adoptées.
Ces ajustements seront-ils suffisants ? Dans le camp de Moïse Katumbi, nombreux sont ceux qui jugent « peu probable », voire « impossible » l’hypothèse d’une candidature unique en 2023. D’autres se montrent plus nuancés. « Si la présidentielle doit se dérouler en un tour, alors il y aura sans doute une candidature unique, mais, si elle est à deux tours, rien n’empêche ceux qui en auront envie de se présenter », explique Fidèle Babala. « Une chose est sûre, si l’on doit à nouveau s’entendre sur un seul nom, chacun devra y mettre du sien », conclut l’un des cadres de Lamuka.
Ultime test
Mais avant de se projeter vers 2023, l’opposition devra trancher une autre question. À l’heure où Félix Tshisekedi se lance dans une série de consultations afin d’obtenir une « union sacrée », autrement dit un renversement du rapport de force avec son partenaire de coalition, Lamuka parviendra-t-elle à rester unie ? Une réunion virtuelle entre les quatre représentants de la coalition doit prochainement se tenir afin de tenter, une nouvelle fois, de parvenir à une position commune.
Martin Fayulu, qui a dénoncé ces derniers jours une « théâtralisation » de la vie politique, semble peu enclin à répondre favorablement à cette initiative. Si les contacts entre l’équipe du président et celle de Moïse Katumbi existent, l’ex-gouverneur du Katanga franchira-t-il pour autant le pas ? Dans son entourage, l’hypothèse n’est pas écartée mais aucune position officielle n’a pour l’instant été communiquée. Idem pour Jean-Pierre Bemba. Le président congolais a toutefois prévu d’entamer ces prochains jours des contacts avec différents leaders politiques. Un ultime test pour une opposition en pleine restructuration.