Orchestre National de Barbès : vingt-cinq ans de fête endiablée

Les troubadours du bled poursuivent, malgré le Covid, une tournée anniversaire. Et affirment avec une insolence amusée la force du métissage musical.

Les musiciens de l’ONB mêlent jazz, chaâbi, rock anglais et chanson française, raï, salsa, musique kabyle et gnawa. © Ali Mobarek

Les musiciens de l’ONB mêlent jazz, chaâbi, rock anglais et chanson française, raï, salsa, musique kabyle et gnawa. © Ali Mobarek

leo_pajon

Publié le 23 octobre 2020 Lecture : 4 minutes.

La scène est surréaliste. Ce 20 septembre, dans l’amphithéâtre bourré à craquer du domaine d’O, au festival Arabesques de Montpellier, près d’un millier de spectateurs ondulent. En respectant les distances de précaution, masque sur le museau, mains désinfectées à l’entrée… mais rayonnants.

Durant plus d’une heure trente d’un ouragan musical mêlant transe gnaoua, valse musette, raï oranais, zouk, ska et envolées de guitare rock, les vieux briscards de l’Orchestre National de Barbès prouvent qu’ils n’ont rien perdu de leur énergie. Et ce, malgré vingt-cinq années passées à tourner sur les scènes de Paris au Caire en passant par New York, Alger, Québec ou Santiago du Chili.

On est une famille, on s’aime, on se déteste…

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La longévité de la formation tient à une amitié solide et ancienne entre les membres fondateurs. « On se connaît pour certains depuis les années 1980, raconte l’intarissable Kamel Tenfiche, jeune gaillard de 57 printemps. On est une famille, on s’aime, on se déteste… On a commencé à faire de la musique très spontanément, ensemble, sans autre ambition que de se trouver musicalement. Naturellement, du gnaoua s’est mêlé au chant oranais, accompagné par un pianiste marocain. Avec beaucoup d’humilité, je pense qu’on a fait pour le Maghreb ce qu’a réalisé le Super Rail Band de Bamako en Afrique subsaharienne, qui a accueilli des Sénégalais, des Guinéens… »

Musique de potes

En live, le crépitement des karkabous accompagne une musique de potes. Les blagues fusent entre les chansons. Les regards et les sourires entre musiciens témoignent d’une vraie complicité. Tout a l’air simple. « Le mieux, c’est quand on joue en Algérie, rigole le bassiste Youcef Boukella. Là-bas le concert n’est pas sur scène mais dans la salle. Certains viennent avec des derboukas. Le dernier concert d’Idir sur place, il n’a pas chanté, il a laissé le public le faire pour lui ! »

À entendre Kamel Tenfiche répéter que l’ONB « joue humblement un répertoire de bal », on finirait presque par croire que le groupe se limite à ça. Pourtant, les virtuoses du bled vont beaucoup plus loin.

Ils ont remis au goût du jour un répertoire traditionnel qui fusionne profondeur chaâbi et mystique gnaoua

D’abord, mine de rien, ils ont remis au goût du jour un répertoire traditionnel qui fusionne profondeur chaâbi et mystique gnaoua. Mais aussi exploré les héritages andalou et africain, ils se sont aventurés sur des portées musicales s’étirant d’Abuja à Fès.

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Leur prochain album, qui devait être enregistré en début d’année mais a été repoussé à cause du Covid, doit d’ailleurs explorer des rythmiques et des sonorités africaines sous les baguettes du batteur camerounais Brice Wassy, ancien comparse de Manu Dibango.

Ensuite, s’il n’est pas un groupe frontalement militant comme l’est Zebda, l’ONB reste éminemment politique. « L’Orchestre National de Barbès, avec ce nom qui sonne comme un oxymore, renvoie en fait à une réalité évidente, estime Naïma Huber Yahi, historienne spécialisée dans l’histoire culturelle de l’immigration. Barbès est un territoire en soi, la capitale de l’exil pour cette intelligentsia qui fuit la violence et la guerre civile. C’est un petit pays dans le grand pays. Par son existence même, l’ONB affirme que les Maghrébins ont la légitimité pour revendiquer leur terroir, leur patrimoine musical, et qu’ils peuvent s’ajouter sur la photo présentant les artistes français. »

Nous n’avons peut-être pas su faire découvrir les musiques de nos pays d’origine à nos enfants

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L’historienne de 43 ans concède cependant que l’ONB n’a pas vraiment d’héritier musical. « Depuis, à part quelques formations comme le 113 qui reprend des boucles traditionnelles, il y a eu une rupture mémorielle. C’est aussi un peu de notre faute à nous, immigrés de la deuxième ou troisième génération, qui n’avons peut-être pas su faire découvrir les musiques de nos pays d’origine à nos enfants… Alors que l’ONB ramenait la chaleur du foyer, le son des 33 tours de la famille, sur les dancefloors. »

Les quinquas du groupe sont aussi les représentants d’un monde qui tend à disparaître. « Quand on a commencé, il n’y avait pas les réseaux sociaux, rappelle Kamel Tenfiche. À l’époque, la musique, ce n’était pas de la consommation… Aujourd’hui, si tu n’es pas visible chaque semaine, on t’oublie. Et le Net est tellement perfide qu’une singularité qui plaît va être copiée partout et devenir quelque chose de très commun. Un séquenceur suffit pour faire une chanson qui se tient. Nous, nous avons appris la musique sur de vrais instruments, et on pense que la meilleure façon de transmettre, c’est par l’organique, sur une scène. »

Les copains de l’ONB regrettent le temps de leurs débuts où les festivals, souvent tenus par des bénévoles, prenaient des risques, avec des artistes peu connus. « Aujourd’hui, comme il y a moins de subventions, on va vers du formaté, du bankable, s’emporte Kamel Tenfiche. Les organisateurs ne peuvent plus se permettre de miser sur des anonymes. Même pour pouvoir jouer dans la rue, il faut une dérogation et être sponsorisé par Weetabix… La culture s’est fait rattraper par la marchandise. »

Acte de résistance

Comme un acte de résistance, l’orchestre continue pourtant d’enflammer les scènes. Et l’enthousiasme est là, de la salle aux planches, malgré la marchandisation rampante de la culture et les querelles communautaires qui auraient pu tant de fois faire exploser le groupe. « Pour moi, l’individu primera toujours sur l’ethnie », martèle Youcef Boukella. D’où qu’il vienne, chacun a son ingrédient à apporter dans la marmite de l’ONB. « On avance comme dans une grande chakchouka », rigole Kamel Tenfiche. Sans faute de goût.

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