Droits des femmes en Mauritanie : Saadani Mint Khaytour fait face à son propre camp

La jeune députée du parti islamiste Tawassoul milite en faveur d’une loi pour améliorer le statut des Mauritaniennes. Un combat délicat dans une société très conservatrice.

Portrait de  Saadani Mint Khaytour, Mauritanie le 17 septembre 2020
© Daouda Corera pour JA © Daouda Corera pour JA

Portrait de Saadani Mint Khaytour, Mauritanie le 17 septembre 2020 © Daouda Corera pour JA © Daouda Corera pour JA

Publié le 28 septembre 2020 Lecture : 3 minutes.

Elle est de celles qui rompent avec les idées reçues dans un pays où les préjugés l’emportent bien trop souvent. Élue lors des dernières législatives de septembre 2018, la députée Saadani Mint Khaytour, 34 ans, a choisi les rangs très conservateurs du parti islamiste Tawassoul pour défendre les droits des Mauritaniennes. « J’y subis la violence inouïe des autres femmes de la formation », déplore-t-elle.

Après avoir longtemps travaillé et écrit « dans les domaines de l’exclusion et de la marginalisation », elle a rejoint le combat d’Aminetou Mint El Moctar, grande militante en faveur d’une loi sur les violences faites aux femmes.

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Lacunes

Ce texte, élaboré en collaboration avec des oulémas et des juristes, est une version modernisée du code du statut personnel organisant la vie de la famille, adopté en 2001 par le président Maaouiya Ould Taya.

La nouvelle loi, qui vient pallier d’immenses lacunes dans le code pénal élaboré sur la base de la charia, a été approuvée par le gouvernement en 2016, mais rejetée à deux reprises par l’Assemblée nationale, en 2017 et en 2018.

Elle prévoit, entre autres, l’aggravation des peines pour viol, la pénalisation du harcèlement sexuel, l’interdiction du mariage aux moins de 18 ans, et consacre l’autorisation pour les Mauritaniennes de voyager sans l’autorisation de leur époux.

Le fait que les femmes soient considérées comme des mineures est communément admis

« Le fait que les femmes, qui représentent 52 % de la population, et 54 % hors des centres urbains, soient considérées comme des mineures est communément admis, même si cela ne figure pas tel quel dans les textes, dénonce Saadani Mint Khaytour. Alors que l’article 10 de la Constitution garantit la liberté de mouvement, c’est une véritable discrimination. » Si cette dernière reconnaît que, parmi les députés responsables du blocage, figurent ceux de Tawassoul, elle ajoute que « les forces traditionnelles, présentes dans tous les partis, le sont également ».

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Hypocrisie

La jeune députée dénonce une grande hypocrisie, au sein de la société comme de son propre parti. Chez les islamistes, elle est en théorie soutenue par l’un des leaders, Jemil Ould Mansour, et par le vice-président, Mohamed Ghoulam Ould El Hadj Cheikh, mais « ils ne font rien en faveur du projet. Personne ne dira officiellement qu’il est contre la nouvelle loi, mais tout le monde trouvera toutes les bonnes excuses possibles pour s’y opposer », s’insurge-t-elle.

Elle dénonce le lobbying actif de chefs de tribu, d’oulémas et d’intellectuels qu’elle accuse de « manipuler les femmes »

Elle dénonce aussi le lobbying actif de chefs de tribu, d’oulémas et d’intellectuels qu’elle accuse de « manipuler les femmes, en leur disant que le projet de loi viole leur religion ». Sans compter que Mahfoudh Ould El Waled, l’ancien grand mufti d’Al-Qaïda installé en Mauritanie, a fait campagne contre ce texte, en promettant l’instabilité s’il venait à être voté.

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Alors pour tenter d’obtenir des avancées, Saadani Mint Khaytour, par ailleurs présidente du groupe parlementaire pour le genre et le développement, mise sur la solidarité entre les partis. Le Réseau des femmes parlementaires, qui regroupe les députées issues de la majorité comme de l’opposition, entend solliciter un entretien avec le président, Mohamed Ould Ghazouani, et son Premier ministre, Mohamed Ould Bilal.

Mais elle soupçonne les nouvelles autorités de ne pas faire du combat en faveur des droits des femmes une priorité, car elles ne sont pas prêtes, selon elle, à « affronter la société traditionnelle ». Dans son programme électoral, le chef de l’État a promis « la mise en application des textes juridiques protégeant les femmes contre toutes les formes de violence et renforçant leur accès à leurs droits ».

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