Khaled Drareni, (Algérie), Omar Radi (Maroc), Taoufik Ben Brik (Tunisie). Ils sont journalistes et partagent les affres de la détention carcérale sous des chefs d’accusation surréalistes : intelligence avec l’ennemi, atteinte à la sûreté de l’État… Les régimes maghrébins ont décidément maille à partir avec la liberté de la presse.
Certes, la Tunisie a fait un bond spectaculaire dans le classement de Reporters sans frontières (RSF), passant de la 138e place en 2013 à la 72e en 2020 – le Maroc et l’Algérie sont respectivement 133e (plus deux places) et 146e (en recul de cinq places).
Acharnement
Mais le non-respect de la liberté de la presse reste une préoccupation dans les trois pays. RSF s’inquiète de la détérioration du climat de travail des journalistes et des médias depuis 2019, notamment en Tunisie.
L’acharnement contre ces derniers n’est pas le fait du seul pouvoir, il est aussi l’œuvre des réseaux sociaux. Sans vouloir minimiser la difficulté des régimes à s’accommoder d’une presse libre et indépendante, le problème est plus complexe.
La diversité de la société maghrébine est confrontée à une culture théologique qui promeut l’idée d’une vérité une et absolue
Ce qui pose problème, c’est un processus de pluralisation de la société mal assumé. D’abord par le bloc au pouvoir, lequel se présente comme la somme de coalitions d’intérêts pour qui le contrôle des ressources passe par un contrôle de l’opinion publique et, partant, de la presse et des médias sociaux.
Ensuite, par l’opinion publique elle-même. La diversité qui caractérise la société maghrébine est confrontée à une solide culture théologique qui prône le consensus et promeut l’idée d’une vérité une et absolue.
Décalage
Ce décalage condamne le point de vue subjectif, notamment celui du journaliste indépendant et critique, et le rend inadmissible pour le grand nombre.
Quand le journaliste algérien Jalal Mestiri écrit : « Les insultes, les agressions verbales et l’incitation à la haine à l’égard des journalistes et des médias prennent une tournure inquiétante », il fait écho à l’appel des cent journalistes marocains d’août 2020 dénonçant « des médias diffamatoires et calomnieux qui prolifèrent » et qui n’hésitent pas à porter atteinte à la vie privée des journalistes indépendants.
Des groupes d’intérêt sont certainement responsables de cette prolifération. Mais celle-ci informe aussi des dysfonctionnements au sein de la corporation, incapable d’assurer sa propre autorégulation par une éthique que ne peuvent remplacer les arsenaux légaux et encore moins une quelconque moralisation du jeu politique, lequel est condamné à être amoral au fur et à mesure que le processus de pluralisation enregistre des avancées dans une société fermée.