« Je vous jure que je dis la vérité ! » assène David Walters, pas loin de l’éclat de rire. C’est peut-être la troisième histoire à la limite de l’invraisemblable que le quadra raconte. Avant, il y a eu son incursion dans un quartier de Medellín, centre névralgique des trafics de drogue, pour rencontrer des percussionnistes colombiens, puis son amitié avec César López, inventeur de l’escopetarra, une guitare construite à partir d’une kalachnikov…
À vrai dire, on écouterait volontiers le griot créole (né d’une mère martiniquaise et d’un père de l’île anglophone de Saint-Kitts-et-Nevis) nous raconter n’importe quoi tant il y met d’enthousiasme. Mais lorsqu’il aborde son premier contact avec l’Afrique, sa voix prend une couleur particulière, plus grave, pour évoquer le « voyage initiatique » qui l’a changé en artiste.
Un périple sans lequel il n’aurait certainement jamais sorti trois albums solo, dont le dernier, baptisé Soleil Kréyol, sorti chez Heavenly Sweetness en début d’année, a été acclamé par le public et par la presse.
Appel du continent
David a une vingtaine d’années quand le continent l’appelle. Installé à Bordeaux, il travaille alors comme producteur musical et vient de terminer une maquette pour un groupe togolais. « Un des musiciens voulait me remercier, et il savait que je souhaitais depuis longtemps partir à la recherche de mes origines africaines, comprendre la fracture, la déportation massive d’humains vers les Caraïbes… Il a appelé son père, devant moi, et lui a dit : “Tu dois le recevoir à Lomé comme si c’était moi qui revenais à la maison.” » Aussi simple que ça.
Le jeune homme prend ses billets d’avion et, deux jours avant le départ, fait une nouvelle rencontre décisive. Une photographe, Lucille Reyboz. Elle lui parle de son travail sur les Batammaba, architectes hors pair construisant de spectaculaires maisons en terre à la frontière entre le Togo et le Bénin. « Elle m’a dit qu’elle s’occupait de la scolarité d’un enfant à Dapaong, dans le nord du pays, qu’il fallait que je retrouve pour lui donner de l’argent… J’avais désormais une mission, une trajectoire entre la capitale et cette ville. »
Si je fais des mélanges, ce n’est pas conscient, c’est viscéral »
Accueilli « en famille » à Lomé, David Walters traverse le pays, sautant de taxi-brousse en taxi-brousse, dormant chez les frères et les cousins qui jalonnent son parcours. « J’ai rencontré des percussionnistes, surtout dans le Nord, qui m’ont initié à leurs instruments et qui m’ont poussé à chanter. En Occident, il y a toujours une appréhension, la peur du ridicule quand on donne de la voix. » Une brèche est ouverte.
Des tubes dopés au métissage
Quand il rentre en France, le producteur devient chanteur et multi-instrumentiste. Puis joue durablement au saute-frontières pour élargir ses nouveaux horizons musicaux. Que ce soit en Afrique (au Mali, en Afrique du Sud…) ou sur d’autres continents (à la Nouvelle-Orléans, à Delhi ou à La Havane) pour des tournées ou des tournages d’émissions de télévision (il a aussi été animateur pour Les Nouveaux Explorateurs, diffusé sur Canal+).
David Walters n’a pas une approche cérébrale de sa musique. « Pour moi, c’est un endroit où je peux vivre des rêves de gosse, raconter des histoires. Si je fais des mélanges, ce n’est pas conscient, c’est viscéral », sourit-il.
Sa démarche évoque celle du poète et intellectuel martiniquais Édouard Glissant, l’un des penseurs de la « créolisation » qui a théorisé le dialogue des cultures et imaginé des identités en mouvement. Les tubes groovy de David Walters sont tous dopés au métissage et aux voyages.
Dans son dernier disque, Soleil Kréyol, le globe singer conjugue par exemple chanson jazzy (« Pa Lé », avec le trompettiste Ibrahim Maalouf), disco-house ensoleillée (« Kryé Mwen ») ou encore raggamuffin acidulé (« Lady », avec la chanteuse Celia W)…
Impossible de coller une étiquette sur ses titres qui s’enrichissent d’une myriade d’influences. Mais il tient une note, une vibration, africaine, de titre en titre. Comme si, sur son itinéraire mélodique, il avait toujours besoin de jeter l’ancre sur le continent pour se retrouver.
L’héritage de Fela
Confiné à Marseille dans un immeuble qui se dresse face à la Méditerranée, l’artiste se sent bien dans une ville qui lui rappelle l’Afrique, avec ses migrants comoriens, algériens… et ses « trois cents jours de soleil par an ». « Marseille, c’est le grand saut, on vient ici pour commencer une histoire », lance-t-il.
Par la force des choses, le musicien a mis sa vie nomade sur pause et avoue ne jamais avoir autant travaillé – pour lui ou d’autres musiciens, comme les artistes de Trinidad Anthony Joseph et Calypso Rose, ou la Brésilienne Flavia Coelho.
Quand j’entends la kora, le temps s’arrête, j’ai envie de tout poser »
Il garde le mystère pour ses prochains projets… « Mais, bien sûr, ils seront tournés vers l’Afrique, promet-il. La musique “africaine” est ma musique de chevet… Après un concert, quand je veux un retour au calme, il y a quelques disques que j’écoute : Les Nocturnes, de Chopin, mais aussi Toumani Diabaté, Ballaké Sissoko & Vincent Ségal…, la musique classique et la musique “classique” malienne. Quand j’entends la kora, le temps s’arrête, j’ai envie de tout poser. »
Le musicien confie réécouter régulièrement « les anciens », de Fela à Ali Farka Touré, en passant par les maîtres de l’éthiojazz. Mais il est aussi sensible à l’électro sud-africaine, aux tubes afrobeats d’un Burna Boy ou aux « bangers » du Ghanéen A-Star.
Pour le morceau « Bwè Dlo » (hommage au « Water No Get Enemy », de Fela), aujourd’hui remixé par plusieurs sorciers des platines, il s’est même offert le featuring du plus jeune fils de Fela, Seun Kuti.
Sur le morceau, on entend les cuivres d’Egypt 80, la formation mythique du Black President… De quoi voyager dans l’espace, et dans le temps, ce qui n’est pas rien en ces périodes de quarantaines et d’avions cloués aux tarmacs.