[Tribune] Au Mali, la corruption est la source de tous nos maux

Alors qu’il s’enfonce dans la crise, le Mali doit en finir avec un mal à l’origine de ses difficultés économiques, sociales et même sécuritaires : la corruption.

Les manifestants sur la place de l’Indépendance, à Bamako, le 19 juin 2020. © MICHELE CATTANI/AFP

Les manifestants sur la place de l’Indépendance, à Bamako, le 19 juin 2020. © MICHELE CATTANI/AFP

Publié le 3 août 2020 Lecture : 4 minutes.

Bamako, juin 2020. Des milliers de personnes se sont donné rendez-vous sur la place de l’Indépendance. Réunies à l’initiative du mouvement Espoir Mali-Koura (« nouveau Mali »), d’associations de la société civile et de partis politiques, elles dénoncent la mauvaise gouvernance du pays, et appellent à l’avènement d’une nouvelle République, qui passerait par la démission de toutes les institutions de l’état : l’exécutif, le législatif et le judiciaire.

Dans ce Mali indépendant depuis bientôt soixante ans, pour nombre de citoyens, la décadence est réelle. Le pays souffre d’un mal particulier, qui engendre toutes les difficultés économiques et sociales : la corruption.

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Endémique depuis l’éclosion de la démocratie, elle atteint des sommets. Si elle n’est pas spécifique au Mali, elle est parvenue à y bousculer les équilibres fragiles d’une société multiculturelle. On peut relier toutes les crises maliennes des vingt dernières années au partage des fruits de la corruption.

Tous les secteurs touchés

Le coup d’État de 2012 en est la parfaite illustration. Parti d’une révolte de sous-officiers excédés par la gestion de la rébellion dans le Nord, il conduit le capitaine Sanogo à la tête du pays, dans une totale impréparation. Alors que le Mali perd toute autorité sur les deux tiers de son territoire, l’une des premières décisions du pouvoir est de transférer la perception de la Direction régionale des douanes au camp militaire où réside la junte…

Aujourd’hui, la corruption s’étend à tous les secteurs économiques et sociaux : douanes, impôts, marchés publics, police, justice, hôpitaux, etc. Elle ne conduit pas uniquement au gaspillage des maigres ressources publiques, elle asphyxie l’appareil productif et fait du Mali un paradoxe économique.

Bien que très peu de personnes aient un travail stable, Bamako achète presque tout à l’étranger. La corruption a biaisé l’arbitrage des acteurs économiques, rendant l’importation presque toujours plus profitable que la production locale.

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C’est ce qui explique que la montée en puissance de l’Office du Niger, annoncée à maintes reprises, n’ait pas eu lieu. Alors que près de 75 % du foncier de l’Office du Niger est non utilisé, le gouvernement subventionne l’importation de riz. La spéculation foncière est telle qu’elle rend presque impossible la perspective de l’accès à la propriété, même pour les cadres de la haute fonction publique.

Terreau fertile pour les jihadistes

Cette corruption qui désespère les habitants des villes est à l’origine de la montée du jihadisme dans la région de Mopti et du recul des symboles de l’État dans les campagnes. En effet, les groupes armés prospèrent dans le centre du Mali sur le terreau des injustices faites aux bergers peuls, condamnés à payer des amendes astronomiques pour la non-vaccination de leurs troupeaux.

Le conflit dans le centre est une bataille pour gagner le cœur des populations

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Ils gagnent la sympathie des populations locales en se différenciant des agents des Eaux et Forêts, lesquels, sous le couvert de la lutte contre la désertification, infligent de lourdes amendes aux femmes qui découpent du bois de cuisine.

À la différence des représentants du gouvernement qui, en cas de conflit, prennent des pots-de-vin de toutes les parties sans jamais trancher, les groupes armés écoutent les doléances et rendent une décision immédiatement.

Le conflit dans le centre du Mali est une bataille pour gagner le cœur des populations locales, et seule une administration juste, au service du peuple, peut ramener la paix.

Un travail de longue haleine

Pour désespérante que paraisse la situation malienne, elle n’est pas sans solutions. Sans reposer sur une approche moralisatrice ou culturelle, celles-ci nécessitent d’accepter que la corruption existe et persiste car elle est profitable aux agents publics et aux usagers.

Comment contraindre une population qui pense que la « famille au pouvoir » amasse toutes les richesses ?

Lutter contre la corruption ne saurait être un slogan, mais plutôt un projet sociétal, un travail de longue haleine. La combattre ne saurait non plus être un prêche pour l’émergence d’un nouvel homme, les mêmes institutions conduisant inlassablement aux mêmes pratiques.

Enfin, montrer l’exemple est essentiel, car il n’est possible ni politiquement ni éthiquement d’imposer des mesures contraignantes à une population qui pense que la « famille au pouvoir » amasse toutes les richesses du pays.

Cette lutte suppose d’identifier les facteurs qui conduisent des individus à s’approprier le bien collectif. À la suite de ce diagnostic, il faut jouer sur deux leviers simultanément : sanctionner plus lourdement les agents publics corrompus, et accroître les bénéfices de la non-corruption pour les usagers. Tout acte de corruption doit comporter un risque non négligeable de perte d’emploi.

Un leader déterminé

Une refonte du système fiscal est nécessaire. Repenser la proximité et la qualité du service public l’est aussi. Comment ne pas comprendre qu’un citoyen cède à la facilité lorsqu’il lui faut parcourir 15 kilomètres afin de trouver l’unique guichet à Bamako pour payer une amende policière ? Lorsque la capitale ne compte qu’un unique centre de contrôle technique ? Lorsque la délivrance d’un compteur électrique peut prendre plus de neuf mois ? Lorsque les forces de l’ordre rançonnent d’innocents citoyens ?

Berceau des grands empires, le Mali a besoin d’un leader déterminé à reprendre en main le destin du pays, conscient de sa riche histoire et à la hauteur des défis du monde moderne.

Combattre les maux liés à la corruption offre une lueur d’espoir à cette jeunesse que le désarroi a poussé vers les extrêmes. C’est un engagement pour une gouvernance qui exprime notre gratitude envers ceux qui ont payé le prix ultime pour « Un peuple, un but, une foi ».

Un préalable afin de bâtir une nation plus juste, plus solidaire, un pays qui offre une perspective à une génération n’aspirant qu’à l’émigration.

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