Société

Les arts martiaux mixtes (MMA), nouvel eldorado des lutteurs sénégalais

Ces combattants ont été « rois des arènes » ou rêvent de le devenir. Pour s’offrir une visibilité internationale, ils se tournent désormais vers les arts martiaux mixtes. Portraits.

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Par - à Dakar
Mis à jour le 13 juillet 2020 à 14:14

Bombardier, Reug Reug et Siteu. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Ils ont balancé leurs premières frappes sur les plages de Mbour, dans les espaces en friche des îles du Saloum ou sur un carré de sable de leur quartier populaire dakarois. Aujourd’hui, ils se frottent à l’octogone, cette cage grillagée où s’affrontent boxeurs, judokas et pugilistes du monde entier.

Qu’ils soient des combattants confirmés, un temps « rois des arènes », comme l’a été l’illustre Bombardier, ou des phénomènes montants tels que les jeunes Siteu et Reug Reug, les lutteurs sénégalais cèdent aux sirènes des ligues des arts martiaux mixtes (MMA) étrangères, outre-Atlantique ou en Europe, où la discipline s’est professionnalisée ces dernières années.

Si les plus jeunes y voient un moyen de franchir une étape, dans une discipline où les « stars » rechignent parfois à affronter les novices, tous espèrent un tremplin vers une notoriété transcendant les frontières ouest-africaines. Rencontre avec ces colosses des arènes qui réinventent la lutte traditionnelle.

  • Reug Reug, l’Hercule de Thiaroye
Rencontre avec le lutteur sénégalais Reug Reug dans sa salle d’entraînement à Mbao en banlieue de Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Rencontre avec le lutteur sénégalais Reug Reug dans sa salle d’entraînement à Mbao en banlieue de Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Pour se mettre en jambes, Oumar Kane, alias Reug Reug, soulève devant nous 70 kg avec la facilité de quelqu’un qui aurait les mains vides. Il tire tout de même un peu la langue quand la barre d’haltère se charge de 130 kg supplémentaires, grimpant à 200 kg. Il faut dire que le lutteur a encore quelques douleurs à l’épaule droite après un mauvais coup pris la veille lors d’une session de kickboxing, mais il en faut plus pour mettre en difficulté ce mastodonte de 1,90 m pour 130 kg.

Pas le choix. Pour Reug Reug, quinze combats de lutte et aucune défaite au compteur (il a tout de même concédé deux nuls), il faut aller toujours plus loin. Lutteurs de père en fils, les Kane ont une mentalité de champion et goûtent peu l’idée d’une place de second. Dans l’arène, mais pas seulement. Reug Reug a beau n’avoir mené qu’un seul combat de MMA, son apparition en décembre 2019 a été très remarquée dans le milieu des arts martiaux mixtes.

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Lors de leur face-à-face à Dakar, le géant n’a laissé aucune chance au boxeur franco-marocain Sofiane Boukichou, mis K.-O. dès le début du second round. Le public dakarois se découvre un nouveau champion, les commentateurs internationaux magnifient « l’un des plus beaux débuts en MMA », et Reug Reug se rêve un destin de champion du monde, espérant endosser la ceinture d’ici à cinq ans.

Le sport, c’est toute ma vie

Peut-être y pensait-il déjà à 22 ans, lorsqu’il a quitté le domicile familial pour partir seul « en brousse », vers les îles du Saloum, dans le centre du pays, connues pour leurs mbapatt, des tournois de lutte traditionnelle. Il y reste deux ans, gagne de quoi se nourrir et vivoter en remportant « tous [ses] combats », à tel point qu’on le somme gentiment de rentrer à Dakar, « pour laisser une chance aux autres ».

Six ans plus tard, ce jeune de Thiaroye, dans la périphérie de la capitale, « n’a toujours que la victoire en tête ». « Je ne sors pas et je m’entraîne tout le temps. Le sport, c’est toute ma vie. » Davantage technique et endurant que la plupart des lutteurs plus lourds, Reug Reug « ne craint personne ». Il faut dire « qu’il s’est préparé à tout ». Dans le Saloum, alors qu’il enchaînait les corps-à-corps, ses adversaires étaient tirés au hasard à chaque tournoi, si bien qu’il ne savait jamais quel genre de lutteur il allait affronter.

« Cela m’a appris à faire face à tous les types de combattants. Aujourd’hui, quand je vais au combat, je ne regarde jamais à l’avance comment se bat mon adversaire. » Excès de confiance ou détermination absolue ? « Sans doute un peu des deux », admet-il. Toujours est-il que la formule, jusqu’ici, ne l’a jamais trahi.

  • Siteu, le phénomène de Lansar
Rencontre avec le lutteur sénégalais Siteu à Rufisque dans la grande banlieue de Dakar. Le 8 juin 2020. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Rencontre avec le lutteur sénégalais Siteu à Rufisque dans la grande banlieue de Dakar. Le 8 juin 2020. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Siteu est du genre populaire. Adolescent déjà, dans le quartier de Diamaguène dans la banlieue de Dakar, où il a disputé ses premiers combats, il charriait derrière lui les gamins du quartier et les promoteurs désireux de miser sur lui.

Repéré en 2006, celui que l’on surnomme « le phénomène de Lansar » est, à 32 ans, l’un des meilleurs espoirs de sa génération. Plus sec, moins épais que les colosses que l’on a l’habitude de voir dans l’arène, malgré 1,92 m et 130 kg, Siteu est un touche-à-tout.

Aussi loin que remontent ses souvenirs, dit-il, il y a la lutte, reçue en héritage à travers ses origines sérères, ethnie de lutteurs, et par son oncle, l’ex-champion d’Afrique de lutte sans frappe Yakhya Diop, plus connu sous le pseudonyme de Yékini. Et des statistiques qui parlent pour lui, avec onze victoires sur quinze combats. « Ceux que j’ai perdus, c’est parce que j’avais sous-estimé l’adversaire, pas parce qu’il était plus fort », tient-il à préciser.

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Depuis un an, c’est dans un octogone qu’il s’épanouit. Il a fait ses premiers pas en ligue professionnelle en juin 2019 aux États-Unis, terrassant son adversaire en quelques secondes seulement. En février 2020, il réitère l’exploit à l’occasion d’un deuxième affrontement. « Siteu est polyvalent dans sa manière de combattre. Il peut tout faire et il apprend très vite », commente son manager outre-Atlantique. Le lutteur, lui, veut croire en la complémentarité des disciplines qu’il pratique : « Le MMA m’aide pour la frappe, la lutte pour les prises. »

Et ce ne sont pas ses adversaires, hissés du sol jusqu’à hauteur d’épaules puis assommés de coups jusqu’au K.-O., qui diront le contraire. Depuis, le Sénégalais passe la moitié de l’année à Los Angeles, où il est entraîné au MMA par le quintuple champion du monde de muay-thaï, Kru William.

Inatteignable et impavide

Pour ce gamin de banlieue qui a choisi de rester vivre dans son quartier d’origine, c’est « une manière de montrer aux enfants qu’il y a des perspectives. Mais, pour cela, il faut de la discipline et du travail », poursuit-il. De la discipline, Siteu n’en manque pas. Celui qui fut un temps tailleur se lève tous les jours avant le soleil.

À 5 heures, en guise de petit déjeuner, il gravit les dunes de sable bordées par l’Atlantique, « pour renforcer les jambes », avant de s’adonner à quelques combats de lutte sur la plage et d’enchaîner les séances de musculation, deux fois par jour. Une détermination sans faille que l’on retrouve lors des combats. Une fois qu’il a posé les yeux sur son adversaire, Siteu est « dans un autre monde », inatteignable et impavide.

  • Bombardier, le doyen des arènes
Bombardier s'entraîne à la lutte à la plage à Mbour. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Bombardier s'entraîne à la lutte à la plage à Mbour. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Depuis les pirogues sur lesquelles il partait en mer dès l’âge de 12 ans, il gagne progressivement l’arène. Il défie d’abord des amis, avant d’être repéré par le Comité national de gestion de la lutte (CNG). De victoire en victoire, de frappes lourdes en prises imparables, il décroche en 2002 le titre officiel de « roi des arènes », qu’il conservera jusqu’en 2004.

Il a alors 26 ans. La force de ses poings lui vaut d’être le meilleur de sa génération. Il doit sa puissance à un physique colossal, 1,98 m pour 150 kg, et a une discipline de fer. À force d’entraînement et d’apprentissage de techniques de lutte qu’il va glaner jusqu’en Turquie, il revient en force en 2014 et accomplit l’exploit d’être à nouveau couronné. Une première au Sénégal.

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Aujourd’hui âgé de 43 ans, Bombardier est à deux ans de l’âge limite fixé par le CNG pour continuer à lutter dans l’arène. Mais il a déjà commencé à préparer l’après, en se lançant en 2018 dans les arts martiaux mixtes. Celui qui a fourbi ses armes sur les plages de Mbour brille désormais dans l’octogone.

L’issue de son premier duel face à Rocky Balboa, un combattant sénégalais de MMA, est sans appel. B52, autre surnom de Bombardier, matraque son adversaire en soixante-dix secondes, sans jamais lui laisser l’occasion de répliquer. Même topo en mars dernier, face au champion britannique Daniel Podmore, victime des poings surpuissants du Sénégalais. Déjà star au Pays de la teranga, celui-ci écrit désormais sa légende à l’étranger.