Égypte : avec « Emsek Feloul », la chasse aux caciques pro-Moubarak est ouverte

Des initiatives lancées par de jeunes militants égyptiens, comme celle d' »Emsek Feloul », tentent de limiter la percée des ex-membres du parti de Hosni Moubarak, le PND, aux prochaines élections législatives. Enquête.

Le Mouvement des jeunes du 6 avril veut empêcher la formation d’un Parlement d’ancien régime. © Amr Dalsh/Reuters

Le Mouvement des jeunes du 6 avril veut empêcher la formation d’un Parlement d’ancien régime. © Amr Dalsh/Reuters

Publié le 11 novembre 2011 Lecture : 4 minutes.

« Oui, attrape des foulouls [caciques de l’ancien régime égyptien, NDLR], parce qu’après avoir corrompus notre vie politique, économique et sociale, ils essayent maintenant de récupérer la révolution en se faisant passer pour des révolutionnaires ». C’est avec ces mots que l’internaute est accueilli sur le site internet Emsek Feloul [littéralement : attrape des caciques de l’ancien régime, NDLR], qui expose au grand jour les noms de candidats aux prochaines législatives ayant appartenu au Parti national démocrate (PND) de l’ex-raïs Hosni Moubarak.

Si en Tunisie, entre 14 000 et 18 000 anciens responsables ou membres du RCD de Ben Ali ont été exclus des listes électorales et placés sur une « liste noire » anonyme, aucune mesure similaire n’a été adoptée en Égypte, où l’exclusion politique des anciens caciques a été catégoriquement refusée par l’armée.

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Celle-ci semble également hésiter à adopter une loi qui permettrait des poursuites judiciaires ayant pour but de priver de leur droits politiques les foulouls. Dès lors, une seule solution pour les jeunes révolutionnaires : dénoncer eux-mêmes les membres de l’ancien régime qui tentent de réintégrer la vie publique, en espérant que le citoyen ne se laissera pas duper.

« Nous essayons de toucher le plus grand nombre d’électeurs, en multipliant les moyens de communication : nous avons un site internet, mais nous organisons aussi des campagnes de sensibilisation, nous distribuons des tracts et accrochons des panneaux dans les rues », explique Shérif Diab, à l’origine de l’initiative « Emsek Feloul ». Selon lui, entre 10 000 et 15 000 cadres et haut-fonctionnaires PND devraient être privés de tout mandat politique.

Quelque 10 000 candidats de l’ex-PND

Son site internet, qui liste le nom de ces foulouls, révèle ainsi le nom des quelque 10 000 candidats de l’ex-PND qui se présentent aux élections législatives de 2011. Et le visiteur qui effectue sa recherche en fonction des 27 circonscriptions électorales du pays a également accès à une liste de 16 partis politiques directement issus du PND.

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« Grâce à notre travail, 8 partis, dont le parti al-Nour (la lumière), et le parti al-Adl (la justice), ont déjà supprimés de leurs listes électorales des foulouls » ajoute Diab, qui affirme que 2 000 candidats PND se sont déjà retirés de la course électorale.

Le jeune-homme reconnaît cependant que le travail de son équipe est loin d’être terminé : « près de 70% des partis politiques présents aujourd’hui en Égypte continuent de présenter des candidats ayant appartenus au PND. »

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Parmi ces partis, le Wafd, parti d’indépendance historique, ou encore le parti des Égyptiens libres, financé par le pharaon des Télécoms, Naguib Sawiris. « Les gens ont du mal à y croire, mais c’est la vérité, et j’ai les documents qui le prouvent », assène Shérif Diab.

"Cercles blancs, cercles noirs"

Une initiative similaire à celle d’« Emsek Fouloul » a été lancée par le Mouvement des jeunes du 6 avril, fer de lance de la révolution égyptienne. Mi-octobre, les jeunes militants ont inauguré une campagne intitulée « cercles blancs, cercles noirs » : ils taguent les murs des rues de cercles blancs et de cercles noirs, symbole des « bons » et des « mauvais » candidats, pour amener les citoyens à réfléchir aux qualités de ceux qui les représenteront au parlement.

Les Égyptiens ont besoin de sentir le changement et de voir se concrétiser la révolution. Ils ne veulent pas d’un retour à l’ancien régime.

« Les Égyptiens ont besoin de sentir le changement et de voir se concrétiser la révolution. Ils ne veulent pas d’un retour à l’ancien régime », explique Mahmoud Afifi, le porte-parole de la campagne. Qui ajoute : « nous venons de terminer la première étape de la campagne, qui consistait à donner aux électeurs les critères qui doivent leur permettre de sélectionner le bon candidat. Nous rentrons à partir de vendredi 11 novembre dans la seconde étape. Nous allons distribuer dans 22 gouvernorats les listes des candidats issus du PND dissous et discuter du sujet avec les gens. »

encore, l’initiative ne laisse pas indifférent. Dans une petite ville de province, des militants du 6 avril se sont fait agresser par les partisans d’un candidat PND. Tout comme un autre militant du Caire a été maintenu en détention provisoire pour avoir tagué le mur d’une association caritative qui dépendait de l’institution militaire. « Nous avons reçu plusieurs menaces, par mails, mais aussi par téléphone. Les caciques sont partout, ils sont organisés et ils ont de l’argent » souligne Afifi.

Contrer les frères musulmans

Selon Tewfik Aclimandos, chercheur au Collège de France, si le Conseil suprême se montre si réticent à exclure de la vie politique les anciens membres du partis de Moubarak, c’est par peur de voir arriver les Frères musulmans au Parlement.

« La confrérie n’a toujours pas apporté de garantie en ce qui concerne les dossiers qui préoccupent les militaires : la paix avec Israël, la politique étrangère égyptienne, le tourisme… Comme ils ne peuvent s’appuyer sur les partis libéraux, trop faibles, ils essayent de réintégrer les anciens du PND », explique le chercheur.

Quant aux partis libéraux qui essayent eux aussi de récupérer les cadres moyens du PND, ajoute Aclimandos, ils le font dans le but de contrer les Frères musulmans et de profiter des réseaux du parti dissous en Haute-Égypte et dans le Sinaï, où le tribalisme et le clientélisme perdure.

Toujours est-il que pour Mahmoud des Jeunes du 6 avril, l’autorisation donnée aux « foulouls » de se présenter entache la gestion du Conseil suprême des forces armées. « C’est toujours comme ça. Le pouvoir politique ne nous écoute jamais. Du coup, on se retrouve à essayer de limiter la casse. C’est à croire qu’ils essayent de préserver l’ancien régime. »

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