Alors que les incertitudes demeurent quant à la reprise de l’activité du champ pétrolier de Sharara (Sud libyen) après plusieurs mois d’interruption, plusieurs sites pétroliers sont toujours à l’arrêt depuis janvier dans les régions contrôlées par l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar.
Senoussi Hilag est le chef de la tribu des Zwayas, dont le territoire s’étend dans les zones de Koufra, Ajdabiya, Benghazi et Tazirbo. Il est le principal responsable de la fermeture, à la fin de janvier, de plusieurs puits pétroliers dans l’est de la Libye.
Le manque à gagner se chiffre déjà à plus de 5 milliards de dollars
Le 17 janvier, en amont de la conférence de Berlin consacrée au respect de l’embargo sur les armes, lui et plusieurs responsables tribaux libyens soutenant Khalifa Haftar ont pris la décision de bloquer la production de sites pétroliers localisés sur leurs territoires, et ce « tant qu’il n’y aura pas de gouvernement doté de la confiance des Libyens », affirme-t-il à JA. Le manque à gagner pour la Banque centrale libyenne se chiffre déjà à plus de 5 milliards de dollars. Au plus fort de cette chute, moins de 100 000 barils par jour étaient produits en Libye.
Aussi, ce blocage est fermement condamné par la compagnie nationale pétrolière (NOC), par la voix de son directeur, Mustafa Sanalla : « Le secteur du pétrole et du gaz est vital pour l’économie, et c’est la seule source de revenus du peuple. » « Le pétrole et les installations pétrolières appartiennent au peuple libyen, ce ne sont pas des cartes à jouer pour régler des problèmes politiques », avait-il alors dénoncé.
Terroristes et mercenaires
« Nous voulons que le pétrole profite à tous les Libyens, ce n’est pas une question de Benghazi ou de Tripoli, rétorque Senoussi Hilag. Mais tous les revenus pétroliers partent à la Banque centrale, à Tripoli, et sont utilisés pour financer des terroristes et des mercenaires ! » dénonce-t-il, en référence aux mercenaires syriens qui combattent aux côtés des forces loyales au GNA. Hilag estime ainsi que sa tribu ne tire aucun profit des ressources en hydrocarbures des territoires où elle est installée : « On ne voit pas l’argent qui est gagné dans nos zones, nous sommes mis de côté ! »
S’affichant volontiers avec le maréchal Haftar, le leader tribal assure pourtant que la décision de fermer les sites pétroliers localisés sur les territoires des Zuwayas a bien été prise en concertation avec d’autres tribus. « Mais l’armée [l’ANL, NDLR] voulait négocier, c’est nous qui avons refusé tout net », affirme-t-il, balayant les soupçons d’un ordre venu d’Aguila Saleh, le président de la Chambre des représentants, ou de Khalifa Haftar.
La compagnie nationale pétrolière garde la haute main sur l’attribution des contrats
La question des revenus pétroliers est au cœur du conflit entre le Gouvernement d’union nationale (GNA), basé à Tripoli, et les autorités de l’Est, qui s’estiment privées de la manne pétrolière dans la mesure où la NOC, elle aussi installée à Tripoli, garde la haute main sur l’attribution des contrats et l’exploitation du pétrole à travers le territoire libyen.
La tentation de vendre directement le pétrole
Or, si la Tripolitaine n’est pas dénuée de ressources pétrolières, l’essentiel des gisements se trouve en Cyrénaïque et dans le Fezzan, deux régions largement contrôlées par l’ANL. Cette dernière ne reçoit pas de revenus de la Banque centrale. En outre, la tentation existe dans l’Est de vendre directement le pétrole extrait de ses territoires sans passer par la NOC et la Banque centrale libyenne à Tripoli, via une société créée tout exprès et sous contrôle des autorités de l’Est.
Une initiative qui a provoqué en septembre 2019 une déclaration conjointe de la France, de l’Allemagne, des États-Unis, des Émirats arabes unis, de l’Italie, du Royaume-Uni et de la Turquie : « Nous soutenons pleinement la National Oil Corporation [NOC] libyenne en tant que seule société pétrolière indépendante, légitime et non partisane du pays […]. Dans l’intérêt de la stabilité politique et économique de la Libye et du bien-être de tous ses citoyens, nous soutenons exclusivement la NOC et son rôle crucial pour le compte de tous les Libyens. »
Un système fédéral permettrait-il une répartition plus équitable des revenus pétroliers ?
Dans le cadre de l’opération européenne Irini, destinée à contrôler le respect de l’embargo sur les armes en Libye, la frégate française Jean Bart a arraisonné le 22 mai le tanker Jal Laxmi (sous pavillon gabonais), lequel se dirigeait vers le port de Tobrouk pour charger illégalement du pétrole raffiné.

Des Libyens manifestants devant l'ONC pour une distribution plus égalitaire des revenus du pétrole. © Photo by Mahmud TURKIA / AFP
Par ailleurs, les États-Unis ont lancé début juin une enquête sur la vente de pétrole de l’Est libyen au Venezuela, via des sociétés émiraties. Le maréchal Haftar est soupçonné d’avoir séjourné à Caracas fin avril pour conclure des accords commerciaux avec le gouvernement vénézuélien.
La question de la redistribution pétrolière ravive le spectre d’une partition du pays. Un système fédéral permettrait-il une répartition plus équitable de ces revenus ? « Nous voulons un pays uni, temporise Senoussi Hilag. Mais si on ne peut pas faire autrement que de diviser la Libye, nous n’avons pas de problème avec ça. »