Culture

Le festival de Cannes 2020 boude le cinéma africain

Dans sa sélection virtuelle, le grand rendez-vous annuel du cinéma mondial fait très peu de place aux réalisateurs du continent.

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Mis à jour le 9 juin 2020 à 10:58

En route vers le milliard de Dieudo Hamadi © Dieudo Hamadi

Après avoir tenté aussi longtemps que possible de maintenir le Festival de Cannes, d’abord à sa date « normale », du 12 au 23 mai, puis à un moment plus tardif, au début de juillet, les organisateurs de la plus grande manifestation mondiale consacrée au septième art ont dû, on le sait, déclarer forfait.

Mais si le virus a empêché les quelque 30 000 à 40 000 festivaliers habituels de se retrouver sur la Croisette, Pierre Lescure et Thierry Frémaux, le président et le « patron » artistique de Cannes, n’ont pas voulu en rester là. Ni se contenter de donner rendez-vous en 2021 aux passionnés de cinéma d’auteur.

Après avoir visionné avec leur équipe les 2 067 films – un record absolu – qu’on leur avait présentés, ils ont donc décidé de proposer, le 3 juin, après accord des auteurs intéressés, une sélection de longs-métrages qui pourront se prévaloir d’un « label Cannes 2020 ». Au total, un ensemble de 56 films, ce qui correspond à la jauge de la sélection officielle annuelle (la vingtaine d’œuvres en compétition pour la Palme d’or, plus celles qui participent à la section « Un certain regard » ou aux projections « spéciales »). Des films qu’ils soutiendront, assurent-ils, dans toute la mesure de leurs moyens lors de leur sortie en salle ou à l’occasion d’autres manifestations cinématographiques.

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Même si on ne saura jamais précisément quels films auraient été en compétition et encore moins quel aurait été le palmarès de Cannes 2020, on peut découvrir à la lecture de cette sélection à quoi aurait pu ressembler le festival 2020 du point de vue de la géopolitique du septième art. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour le cinéma africain : le Maghreb est totalement absent, et seules deux œuvres originaires du continent, l’une du nord du Sahara et l’autre du sud du Sahara, ont été retenues parmi les 56 opus distingués. Deux films qui auraient probablement été destinés à la section « Un certain regard ».

Deux films africains

Il faudra attendre sa sortie pour savoir que penser de Souad, le deuxième-long métrage de fiction de l’Égyptienne Ayten Amin, l’histoire d’une préadolescente qui entreprend un long voyage vers Alexandrie pour essayer de comprendre pourquoi sa sœur aînée s’est suicidée.

En revanche, on peut d’ores et déjà regretter que le Congolais Dieudo Hamadi n’ait pas pu bénéficier à plein de la véritable consécration que lui aurait certainement value une sélection cannoise réelle et non virtuelle. Car ce jeune documentariste surdoué, au regard acéré et souvent truculent, a retenu l’attention de la critique comme du public avec tous ses précédents films, consacrés aux difficultés de la vie en société en RDC.

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Citons en particulier Dames en attente (des patients qui ne peuvent régler leurs factures sont « séquestrés » par l’hôpital où ils ont été soignés), Examen d’État (peut-on arriver à passer l’examen de fin d’études secondaires quand on est pauvre ?) ou Maman Colonelle (le portrait d’une femme colonelle dans la police congolaise chargée de lutter contre les violences sexuelles et la maltraitance des enfants). Tournés entre 2009 et 2017, tous ont été primés dans de nombreux festivals de documentaires.

Dans En route vers le milliard, qui devait être présenté sur la Croisette, il raconte cette fois le combat, pour obtenir une indemnisation, des victimes civiles de « la guerre des six jours », qui a opposé deux groupes rebelles respectivement alliés à l’Ouganda et au Rwanda, à Kisangani, en juin 2000. On attend sa sortie avec impatience.

Rien d’autre concernant le continent – ne serait-ce qu’au niveau des sujets – ni même l’ensemble du monde arabe au sein de la sélection cannoise 2020 ? On peut citer un documentaire du Français Xavier de Lauzanne qui suit le combat d’une femme kurde pour rebâtir la ville syrienne de Raqqa après l’éviction de Daesh (9 jours à Raqqa).

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On peut aussi évoquer deux films traitant indirectement de la guerre d’Algérie. Ainsi, dans ADN, l’actrice et réalisatrice française Maïwenn, en crise d’identité, part à la recherche de ses origines en partie algériennes, celles de sa mère et de l’un de ses grands-pères, qui avait rejoint le FLN. Et le cinéaste belge Lucas Belvaux, adaptant sous le même titre le remarquable ouvrage de Laurent Mauvignier, Des hommes, raconte comment un ancien combattant hanté par son passé, interprété par Gérard Depardieu, se rappelle « sa » guerre d’Algérie côté français. La réalisatrice libanaise Danielle Arbid fait aussi partie de la liste des auteurs retenus, mais pour un film on ne peut plus français puisqu’il s’agit d’une adaptation de l’excellent roman de l’écrivaine Annie Ernaux, Passion simple.

Quant au réalisateur français d’origine algérienne Farid Bentoumi, qui avait obtenu plus qu’un succès d’estime avec Good Luck Algeria en 2015, il propose aujourd’hui un drame social qui raconte comment une infirmière embauchée dans l’usine chimique où travaille son père doit choisir entre trahir celui-ci ou dénoncer les comportements inacceptables de l’entreprise (pollution, accidents dissimulés, etc.). Et voilà tout.

Sélection virtuelle

Souvent, quand les films africains ou évoquant le continent sont peu présents dans la sélection officielle de Cannes, cette relative déception est compensée par leur plus grande visibilité dans les programmes des sections du festival dites parallèles. Cette année, deux d’entre elles, la Semaine de la critique et l’Acid, ont, le 4 juin, décidé à leur tour de fournir une sélection virtuelle.

Et, dans les deux cas, on ne peut que constater qu’aucun film africain n’a été retenu – ce qui n’est pas habituel. Finalement, s’agissant du cinéma du continent, peut-être valait-il mieux attendre 2021 pour bénéficier de ce tremplin que constitue le Festival de Cannes pour les œuvres des cinéastes du Nord du Sahara comme du Sud du Sahara…