Économie

Hydrocarbures : les projets sénégalais peuvent-ils résister à la crise ?

La chute des prix du gaz et la révision drastique par plusieurs majors de leurs plans d’investissements en cette période de crise pourrait menacer le plan de Dakar de rejoindre le club des grands producteurs africains d’hydrocarbures.

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Mis à jour le 2 juin 2020 à 16:54

L’entrée en exploitation du projet de Sangomar, piloté entre autres par l’australien Woodside, a été repoussée à 2023 au lieu de 2022. © WOODSIDE ENERGY LTD/AFP

Le report d’une année de l’entrée en exploitation du mégaprojet gazier de Grand-Tortue, de 2022 à 2023, suscite des remous dans le secteur naissant des hydrocarbures à Dakar. Ce décalage, officialisé au début de mai 2020 par BP, qui mène le projet en partenariat avec le texan Kosmos Energy, intervient trois mois après celui de l’autre projet phare sénégalais, pétrolier celui-ci, de Sangomar. Piloté par l’australien Woodside, il avait été repoussé lui aussi à 2023 au lieu de 2022. 

Des annonces qui inquiètent au pays de la Teranga, qui espère devenir rapidement un grand État producteur d’hydrocarbures, alors que le cours du baril de Brent a été divisé par deux depuis le début de l’année 2020 ( autour de 35 dollars le baril le 28 mai ). Et qu’actuellement toutes les compagnies pétrolières – majors en tête – coupent dans leurs budgets et investissements.

Sérénité de mise côté gazier

Au Conseil d’orientation stratégique du secteur pétrolier et gazier (COS-Petrogaz), rattaché au cabinet du président Macky Sall, la sérénité est de mise malgré ces annonces et la morose conjoncture actuelle.

Côté gazier, le projet de Grand-Tortue, de loin le plus important  – avec des réserves exploitables de 15 Tcf (milliers de milliards de pieds cubes), selon BP et les autorités, le glissement du planning du projet n’est pas dû à la chute drastique des cours, mais aux problèmes de transport des équipes et de matériel qui n’ont pas pu être acheminées sur place en raison de la pandémie de Covid-19. 

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Une explication corroborée à Jeune Afrique par le groupe de BTP français Eiffage – chargé de la construction d’une digue brise-lames –, qui explique que les soucis logistiques ont fait manquer une « fenêtre météorologique » à ce volet majeur du projet. La fabrication de la barge de production gazière (FLNG), coordonnée en Asie du Sud-Est par le norvégien Golar, a pris aussi du retard à cause de l’épidémie. 

« La décision d’investissement de notre partenaire BP a été prise en 2018, il n’y a eu aucune remise en cause du projet par ses dirigeants, d’autant plus que, dans sa stratégie de transition énergétique, le groupe britannique mise plus que jamais sur le gaz », fait valoir Mamadou Fall Kane, le secrétaire exécutif du Cos-Petrogaz, qui se félicite que son pays ait obtenu il y a deux ans un prix de vente du gaz situé entre 7 et 8 dollars par millier de pieds cubes, soit deux à trois fois le tarif actuellement pratiqué sur les marchés asiatiques ou européens.

Situation pétrolière plus compliquée

Sur le papier, le projet de Grand-Tortue mené par BP est compétitif, avec un point d’équilibre situé entre 5 et 7 dollars par millier de pieds cube selon le cabinet spécialisé Rystad Energy, soit comparable à ceux des complexes gaziers les plus attractifs en cours de développement sur le continent, notamment Mozambique LNG, mené par Total, même si ses réserves exploitables sont, elles, de 65 Tcf.

Le champ de Yakaar doit doper la capacité électrique du pays

Par ailleurs, le Sénégal espère aussi accélérer le développement du champ gazier de Yakaar, également piloté par BP, dont la première phase doit permettre de doper la capacité électrique du pays de la Teranga, dont les réserves exploitables oscilleraient entre 20 et 40 Tcf selon le COS-Petrogaz. « L’État, BP, la compagnie nationale Petrosen ainsi que la Senelec sont en train de finaliser les discussions pour être prêts en 2023 à produire 1 gigawatt d’électricité à partir de ce projet », affirme Mamadou Fall Kane.

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Côté pétrolier, en revanche, la situation est plus compliquée pour le projet de Sangomar, mené par Woodside avec son compatriote FAR Ltd, ainsi que par l’écossais Cairn Energy et Petrosen, un consortium qui peine davantage. Le projet est économiquement plus fragile que les projets gaziers, avec un prix d’équilibre qui ne serait trouvé qu’autour de 55 dollars le baril selon Rystad Energy, soit à un niveau supérieur à la plupart des autres grands projets d’extraction de brut liquide, notamment ceux de l’Ouganda et de l’Angola, qui se situent entre 40 et 50 dollars le baril selon la même source.

Risque de décalage

Les différents partenaires, dont la décision d’investissement date du tout début de 2020, risquent d’avoir des difficultés à trouver de l’argent pour continuer à financer le projet, à l’instar de FAR Ltd, qui a indiqué le 1er mai  vouloir céder tout ou partie de ses 15 % dans Sangomar pour cette raison. 

« Je reste optimiste pour ce projet, tous les partenaires, y compris FAR, tiendront leurs engagements », affirme Mamadou Fall Kane pour qui il ne faut pas oublier qu’en 2023, à l’entrée en exploitation de Sangomar, la situation sera nécessairement différente sur les marchés de l’or noir.

Si le responsable du COS-Petrogaz a confiance en l’issue favorable des projets déjà lancés ou sur le point d’entrer en chantier, il reconnaît que la conjoncture actuelle aura nécessairement un impact sur ceux encore à l’étude. « Il y a un risque de décalage des phases suivantes de Grand-Tortue et de Yakaar, mais aussi et surtout de gel voire d’annulation des activités d’exploration », estime-t-il.