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Joao Lourenço, à Lisbonne, le 22 novembre 2018. © Armando Franca/AP/SIPA

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Série : sur la piste des milliards envolés de l’Angola

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Milliards envolés de l’Angola : à Lisbonne, le scandale n’épargne (presque) personne (3/5)

Le pouvoir angolais s’est lancé sur la piste des quelque 100 milliards de dollars disparus durant les années dos Santos. Au Portugal, le scandale éclabousse entreprises et élite politique.

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Mis à jour le 16 juin 2020 à 15:44

Siège de la banque EuroBIC, à Libsbonne © Armando Franca/AP/SIPA

Dans l’ancienne puissance coloniale de l’Angola – indépendant depuis 1975 – , une femme en a fait beaucoup pour la médiatisation de l’affaire dos Santos : Ana Gomes, membre du parti socialiste portugais et ancienne députée européenne, qui a affronté les élites de l’Angola et du Portugal à coups d’enquêtes, de plaintes officielles, d’interventions dans les médias et de batailles judiciaires.

« J’ai simplement tweeté en disant qu’octroyer des prêts pouvait être une façon de blanchir de l’argent », explique celle qui a été poursuivie en justice par Isabel dos Santos, qui l’accuse d’avoir porté atteinte à son honneur et à sa réputation.

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Avocate de formation et ancienne diplomate de carrière avant de devenir politicienne, Ana Gomes cite notamment la banque Eurobic, dans laquelle Isabel dos Santos détenait une participation de 42,5 % jusqu’en février, comme un exemple de la complicité entre le Portugal et l’Angola pour l’enrichissement personnel des élites des deux côtés de l’Atlantique.

Plainte en diffamation rejetée

Sous la direction de l’ancien ministre portugais des Finances, Fernando Teixeira dos Santos, la banque BPN, qui s’est effondrée, a été sauvée par l’État grâce à une énorme injection de fonds, créant ainsi le Banco BIC – appelé plus tard Eurobic. La banque a ensuite été vendue à Isabel dos Santos pour 40 millions d’euros.

« C’est scandaleux car l’État – les contribuables portugais – avait mis plus de 5 milliards d’euros dans la banque (pour la sauver) », explique Ana Gomes, qui rappelle que le ministre qui a permis ce sauvetage est ensuite devenu le PDG de la banque d’Isabel dos Santos…

La banque centrale du Portugal examine actuellement la conformité d’Eurobic aux règles de lutte contre le blanchiment d’argent et a déclaré en janvier qu’elle évaluait l’aptitude de la femme d’affaires angolaise à devenir actionnaire de banques portugaises.

Le 17 janvier, trois jours avant la publication des Luanda Leaks, le tribunal de Lisbonne a rejeté la plainte en diffamation d’Isabel dos Santos contre Ana Gomes.

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Des entreprises sauvées par les capitaux angolais

Au-delà de l’affaire Eurobic, des investisseurs angolais – au premier rang desquels Isabel dos Santos elle-même – ont sauvé plusieurs entreprises portugaises en difficulté.

C’est notamment le cas du groupe énergétique Efacec, originaire de Porto et présent dans 60 pays dans le monde. « Il était en faillite, Isabel (dos Santos) l’a sauvé. Il emploie 2 700 familles – ce qui en fait un énorme employeur », relate ainsi un chef d’entreprise portugais, que nous avons rencontré dans sa salle du conseil de Lisbonne. « Tout le monde au Portugal voulait faire des affaires avec elle. Et tous ceux qui font des affaires en Angola sont responsables de la corruption », assure-t-il.

« Il n’y a aucun moyen de justifier – légalement ou moralement – le rôle que nous avons joué », assure une source juridique dans le pays, alors que les liens de Lisbonne avec l’élite de Luanda ont été promus par les dirigeants portugais successifs. Les relations particulières de l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso avec l’Angola remontent à ses négociations sur les accords de Bicesse au début des années 1990.

Blocages politiques

Les critiques du régime dos Santos et les enquêteurs anti-corruption accusent Barroso, désormais président non-exécutif de Goldman Sachs, d’essayer de bloquer les enquêtes sur les hauts fonctionnaires du régime et leurs partenaires commerciaux à Luanda et Lisbonne.

« Le niveau de complicité ici était aussi très politique. Il ne s’agit pas seulement d’Isabel dos Santos et de son mari. Beaucoup de gens sont impliqués ici », estime Ana Gomes.

Mais l’opinion reste divisée sur la question de savoir si le pouvoir judiciaire de Lisbonne sera capable – ou désireux – de faire preuve de fermeté, étant donné qu’une enquête sur la corruption angolaise impliquera de hauts fonctionnaires portugais. Selon Ana Gomes, des partis de tout l’échiquier politique portugais – y compris le sien – ont été complices, à l’exception du Bloco Esquerda (bloc de gauche).