Dans ce dossier
Série : sur la piste des milliards envolés de l’Angola
Dans ce dernier volet de notre série sur les milliards envolés de l’Angola, nous rencontrons l’homme qui est au centre de cette chasse : l’un des journalistes les plus célèbres du pays, Rafael Marques de Morais.
Sous la présidence dos Santos, Rafael Marques était l’un des rares journalistes angolais à faire publiquement le lien entre la brutalité de la guerre et la richesse croissante de l’élite politique de Luanda.
Dénonçant les déprédations de la guerre, le recrutement forcé, les massacres, la manipulation des informations à la manière d’Orwell, il a braqué les projecteurs sur les profiteurs de la guerre. De quoi se faire d’innombrables ennemis – de tous les côtés de la scène politique.
De la prison aux coulisses de l’État
En 1999, il avait ainsi accusé le président, José Eduardo dos Santos, et le chef des rebelles de l’Unita, Jonas Savimbi, d’être des seigneurs de guerre. « J’essayais d’expliquer comment la guerre est devenue une bonne affaire pour les finances de ces individus », relate-t-il aujourd’hui.
Le journaliste était devenu un irritant pour le régime. Un matin, à cinq heures, il a entendu un coup insistant à sa porte d’entrée. « Le quartier était plein de forces de police spéciales … la rue arrière, la rue principale, explique-t-il. Après des heures d’interrogatoire, [j’ai été emmené] au laboratoire médico-légal qui a une prison spéciale. J’ai été enfermé comme un guérillero capturé. » Il passe alors quarante jours en détention à la prison haute-sécurité de Viana, avant d’être libéré sous la pression internationale.
Il a par la suite régulièrement été convoqué devant les tribunaux suite à ses articles. Il a notamment été condamné en 2015 à six mois de prison avec sursis pour « dénonciation calomnieuse » de sept généraux de l’armée dans un livre accusant le régime de couvrir des violences contre les chercheurs de diamants.
Autrefois vilipendé par les flagorneurs du régime et les hommes d’affaires peu scrupuleux, et sous la surveillance de la sécurité de l’État, Marques se promène aujourd’hui dans les couloirs du pouvoir pour rencontrer le président João Lourenço. Ses reportages sur les violations des droits de l’homme, les vols de diamants opérés au cœur du système, les fraudes liées à l’industrie pétrolière ou encore les marchés publics de la défense servent aujourd’hui de base aux enquêteurs de l’État et aux journalistes étrangers qui traquent les fonds volés en Angola.
Rendre des comptes
Il juge la lutte entamée par le gouvernement contre la corruption crédible et estime qu’elle a de fortes chances de succès.
Rafael Marques rejette les accusations du camp dos Santos selon lesquelles il ne s’agirait que d’une vengeance politique. « La campagne vise des fonctionnaires et hommes d’affaires de tous bords », assure-t-il.
« De nombreux acteurs financiers et commerciaux puissants ont bénéficié de leurs relations avec le clan dos Santos. Si le gouvernement de Luanda en a la volonté politique, il peut obtenir la coopération des gouvernements occidentaux et des institutions financières pour suivre et restituer les fonds », estime-t-il.
« Il est temps que les sociétés de conseil, des cabinets d’avocats et des comptables – qui ont empoché des honoraires conséquents grâce à ces fraudes – soient tenus de rendre des comptes », affirme-t-il encore.
L’année dernière, tout comme un autre ancien dissident, Sousa Jamba, Marques a reçu une médaille pour services rendus à la nation lors d’une cérémonie au palais présidentiel.