Économie

L’Algérie s’ouvre-t-elle vraiment aux investisseurs étrangers ?

Alors que le gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune annonce la fin de la règle du 51/49 pour les investissements étrangers, l’examen du texte soulève plusieurs questions.

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Mis à jour le 28 mai 2020 à 13:48

Le site de l’Assemblée populaire nationale, en Algérie en 2012. (illustration) © Magharebia/CC/Wikimedia Commons

En quête d’un plan de relance, le nouveau gouvernement algérien vient de faire savoir qu’il s’attaquait à un symbole de son économie. « En ce qui concerne la relance économique, il est prévu la suppression de la règle de répartition du capital social 49/51 », peut-on lire dans le rapport de présentation aux députés du projet de loi de finances complémentaire pour 2020, à l’examen à l’assemblée depuis mardi 26 mai. Cette fameuse règle fixe un plafond de participation au capital d’une société de droit algérien à 49 % pour un investisseur étranger, contre un taux de 51 % pour l’investisseur local auquel il devra s’associer.

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Une nouvelle qui aurait dû faire l’effet d’une révolution – économique celle-là -, dans la sphère des affaires en Algérie. Et pourtant, la disposition n’a pas encore fait couler beaucoup d’encre. Les experts, bien que dans les starting-blocks pour livrer leur analyse, restent dans l’expectative. Car en l’occurrence, ce n’est pas la première fois que ladite règle, instaurée par la loi de finances de 2009 pour préserver la valeur en Algérie, est annoncée comme agonisante.

« Un très bon signe pour l’économie algérienne »

« C’est incontestable l’Algérie s’ouvre aux investisseurs étrangers, c’est un très bon signe pour l’économie algérienne d’autant que la liste des secteurs stratégiques est assez limitée. Notons que ce sont deux catégories d’activités qui demeurent désormais soumises à cette règle : celles ressortant des secteurs stratégiques et celles moins attendues d’achat revente de biens en l’état », avance Samy Laghouati, associé au sein du cabinet d’avocats Gide en charge de l’Algérie, interrogé par JA.

Mais après un peu plus de dix années de recul depuis l’adoption de la règle de partage du capital, et au cours desquelles l’Algérie a donné « l’image d’un pays fermé », selon les observateurs, la donne semble toutefois être en train de changer. Et pour cause, outre la suppression de la règle de répartition 51/49, qui comporte tout de même des exceptions, deux autres dispositions favorables à l’investissement lui sont accolées. On retrouve ainsi l’abrogation du droit de préemption de l’État « sur toutes les cessions d’actions ou de parts sociales réalisées par ou au profit d’étrangers » et la réintroduction du financement des investissements étrangers en devises.

L’abrogation de la règle 51/49 est jugée « nécessaire comme préalable à l’ouverture du pays aux investissements étrangers  »

Sur ce dernier point, la volonté d’ouverture de l’Algérie est clairement énoncée, l’abrogation de l’obligation de financement des investissements étrangers par recours aux financements locaux est jugée « nécessaire comme préalable à l’ouverture du pays aux investissements étrangers sérieux et dotés de leurs propres capitaux », comme le souligne l’exposé des motifs du texte du projet de loi de finances complémentaire à l’attention des députés . Et qui poursuit : « l’abrogation de la règle 51/49 n’ayant aucun sens avec le maintien de cette disposition contraire à l’intérêt national. »

Slimane Chenine, président de l'Assemblée populaire nationale (APN) à Alger, le 10 juillet 2019. © Billel Bensalem/APP

Slimane Chenine, président de l'Assemblée populaire nationale (APN) à Alger, le 10 juillet 2019. © Billel Bensalem/APP

Vers un retour des IDE ?

Dans ce cadre, si la loi de finances complémentaire est adoptée en l’état, cela appelle un retour possible des IDE (investissements directs étrangers) dans le pays. « Sont visés les investisseurs qui sont attirés par la taille de notre marché de près de 43 millions d’habitants, sa position géographique, une entrée de l’Afrique à moins de 24 h en bateau de Marseille, et la qualité de ses infrastructures routières notamment », se réjouit Mehdi Bendimerad, PDG de SPS (Système Panneaux Sandwichs, spécialisé dans l’ingénierie, la fabrication et la réalisation de bâtiments préfabriqués) et vice-président du FCE, le patronat algérien.

Le dirigeant ne cache pas que la partie n’est pas encore gagnée. Surtout dans le contexte actuel de crise généralisée par la pandémie de Covid-19 qui a confiné la majorité des économies dans le monde, et torpillé la rente des pays dépendant du pétrole dont les cours sont très bas. Mais justement, dans l’optique d’une relance, « à nous d’être attractifs, à nous d’être incisifs », clame-t-il, reconnaissant l’ampleur du retard.

Le FCE désapprouvait la règle du 51/49 notamment car son utilisation a été dévoyée

« Le projet de loi l’admet lui-même dans son évaluation de la règle des 51/49 %, le nombre de projets d’investissements est passé de plus de 90 avant 2009 à une petite dizaine, un an après son adoption. Signe que la règle, que le FCE désapprouvait notamment car son utilisation a été dévoyée, ne fonctionnait pas. »

Devant être adopté d’ici à la fin de la semaine, le projet de loi de finances complémentaire définit, plus ou moins distinctement, plusieurs secteurs qui resteront préservés par l’État algérien, fermés à une prise de contrôle étrangère. Il s’agit des « secteurs stratégiques » pour l’Algérie, envisagés dans l’article 51 du projet de loi.

Des secteurs stratégiques passés au crible

Ne sont donc pas concernés par l’abrogation de la règle des 51/49 : « l’exploitation du domaine minier national, ainsi que toute ressource souterraine ou superficielle relevant d’une activité extractive (…) » ;  « l’amont du secteur de l’énergie et de toute autre activité régie par la loi sur les hydrocarbures, ainsi que l’exploitation du réseau de distribution et d’acheminement de l’énergie (…) » ; « les industries initiées ou en relation avec les industries militaires » ; « les voies de chemin de fer, les ports et aéroports » ; « les industries pharmaceutiques », hors innovation et produits à forte valeur ajoutée.

Une liste qui laisse circonspectes certaines personnes interrogées. « Il paraît logique que tout ce qui a trait au patrimoine national, comme le minier, le pétrole ou autres richesses nationales du sous-sol restent contrôlés par l’Algérie », commente Omar Berkouk, économiste et expert financier algérien. « Ces secteurs demeurent dans le secteur public, pour conclure un marché, cela ne peut se faire sans Sonatrach ou toute entité publique ad hoc. Ils sont d’ailleurs déjà régis par leur propre code où les investissements étrangers restent minoritaires  », poursuit-il tout en s’interrogeant sur les secteurs qui vont s’ouvrir et la recette pour les attirer dans un « tissu entrepreneurial très en retard par rapport aux pays voisins du Maghreb, comme l’est le secteur automobile par exemple ».

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Tout aussi prudent, Samy Laghouati ne manque pas d’ores et déjà de soulever des questions qui surgiront rapidement. « Si les choses sont plutôt claires pour les investissements à venir qu’en est-il pour les sociétés existantes majoritairement contrôlées par des étrangers, au jour où ces dispositions entreront en vigueur, qui ont une activité mixte, d’achat revente en l’état et de production ne relevant plus de la règle 51/49 ? Comment seront-elles affectées par ce nouveau dispositif ? À l’intérieur des dits secteurs stratégiques, toutes les activités seront-elles soumises à cette règle ? Quelle sera l’autorité compétente pour trancher ? Dans quels délais? »

Le projet de loi de finances complémentaires pour 2020 indique que « les modalités d’application de cette mesure sont précisées, en tant que de besoin, par voie réglementaire ». Mais pour un autre interlocuteur familier du système législatif algérien, « de nombreuses lois ont été adoptées en Algérie, sans jamais avoir été suivies d’effet faute d’outil, faute de décret d’application. »

Énergie et routier parmi les perspectives de marchés

Dans ces imprécisions du projet de loi, restent toutefois des zones grises qui semblent profiter à l’investissement étranger. C’est le cas du secteur de la production d’énergie, non mentionnée dans les secteurs stratégiques. Les IPPs (producteurs indépendants d’électricité) ne seraient plus soumis à l’obligation d’actionnariat en 51/49.

« Cela pourrait constituer un potentiel de développement très intéressant, notamment pour les projets renouvelables en particuliers solaires dont le développement fait partie des ambitions du gouvernement qui vient de réaffirmer son plan de 4GW pour multiplier par 10 les capacités d’ici à 2025 », commente Aymeric Voisin, avocat spécialisé en énergie et infrastructures du cabinet Linklaters.

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« L’Algérie a toujours fait partie des pays identifiés comme à très fort potentiel sur le solaire. Le cadre juridique pour les projets IPPs renouvelables adopté en 2017, associé à la levée de restrictions sur les financements en devises, pourrait attirer de nombreux développeurs », poursuit ce fin connaisseur de l’Algérie, après y avoir exercé par le passé, citant l’exemple du Maroc ou encore du programme Scaling Solar, soutenu par la Banque mondiale (IFC) en Afrique subsaharienne.

Panneaux solaires en Algérie, 4 Octobre 2010 (Illustration) © Mgharebie/CC/Flickr

Panneaux solaires en Algérie, 4 Octobre 2010 (Illustration) © Mgharebie/CC/Flickr

On retrouve également des signes d’ouverture dans le secteur des infrastructures routières, dans l’état actuel du texte, le rail, les ports et aéroports restant soumis au 51/49. Et plus globalement, l’ouverture à d’autres secteurs pourra permettre des prises de participations plus importantes dans des entreprises, par exemple par des partenariats d’étrangers avec un actionnariat national minoritaire, y compris potentiellement à l’issue de privatisations, conclut notre interlocuteur.

L’investissement dans les biotechnologies est difficilement réalisable sans partenaire étranger

L’industrie pharmaceutique pourrait aussi en profiter. Même si le secteur a été classé « stratégiques », au même titre que les ressources naturelles, il semble tirer les leçons de l’inefficacité de la règle des 51/49. L’innovation et les technologies de la santé (medtech) doivent bénéficier de son abolition. « L’investissement dans les biotechnologies est difficilement réalisable sans partenaire étranger, nous confie un industriel du secteur. Dans ce cas, la loi 51/49 agit plus comme un frein, les multinationales – ne voulant prendre aucun risque avec la divulgation de leur savoir-faire -, ne s’aventurent pas dans un tel partenariat. » De l’intérêt de ne pas l’appliquer.

En définitive, la mort annoncée du dispositif 51/49 est-elle une vraie ou une fausse bonne nouvelle pour les investisseurs ? Réponse très prochainement, puisque la loi de finances complémentaire doit définitivement être adoptée, avec ou sans amendements, le 1er juin au plus tard. Date à laquelle plusieurs mesures relatives notamment au renforcement du pouvoir d’achat des ménages entreront en vigueur.