Politique

Comment Moulay Hafid Elalamy amorce la mutation industrielle et digitale du Maroc

Alors que le royaume tourne la page de la crise sanitaire, Moulay Hafid Elalamy, le ministre de l’Industrie, mise sur une relance capitalisant sur les acquis, notamment technologiques, développés pendant le confinement. Rencontre.

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Par - correspondant à Rabat
Mis à jour le 28 mai 2020 à 17:25

Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Moulay Hafid Elalamy (MHE). © Hassan OUAZZANI pour JA

En ce moment, Moulay Hafid Elalamy (MHE) a une obsession et une seule : réussir la relance des activités économiques dans des conditions sanitaires adéquates. Depuis quelques semaines déjà, des commissions composées de représentants du ministère qu’il pilote et des autorités locales font le tour des unités industrielles et commerciales ainsi que des sites de l’offshoring. Objectif : contrôler l’application des mesures de prévention contre le Covid-19.

Jusque-là, 2039 sites ont été visités, dont 174 ont été contrôlés à trois reprises, et neuf unités ont été arrêtées provisoirement. « Dès qu’un cas est identifié, la commission procède à l’arrêt provisoire du site affecté et tout le personnel est soumis à un test. Les résultats obtenus déterminent, ensuite, quand et comment le site peut reprendre », explique à Jeune Afrique le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Économie numérique. Tout comme d’autres responsables, Elalamy veut éviter au pays une seconde vague de contamination qui réduirait à néant l’effort de prévention déployé depuis l’apparition du virus.

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Ses efforts concernent en premier lieu les services administratifs mêmes du ministère. Une fois l’état d’urgence sanitaire décrété, une grande partie de ces derniers ont été réorganisés pour privilégier le télétravail et renforcer les mesures barrière chez les collaborateurs dont la présence au siège était indispensable : prise de température à l’entrée, mise à disposition de gel hydroalcoolique dans les locaux, désinfection régulière des espaces communs…

Le ministre veut voir ces gestes se perpétuer après la sortie du confinement, dans son ministère comme dans les unités industrielles ou les plateaux des centres d’appels, qui risquent de devenir des clusters du coronavirus. Au-delà de ces fondamentaux pour la préservation de la santé des employés, MHE cherche surtout à maintenir le dynamisme et la réactivité observés pendant cette période, qui ont permis au royaume d’amorcer une sérieuse mutation industrielle et digitale. Il suffit de regarder en arrière pour prendre conscience du chemin parcouru.

Assurer les besoins locaux

Durant les premières semaines du mois de mars, les rayons des pharmacies ont été pris d’assaut. La psychose collective a conduit les Marocains à faire des réserves non seulement de médicaments en tout genre, mais aussi de masques et de gel hydroalcoolique, deux produits de protection que le pays ne fabriquait pas encore. La Société de transformation de mélasse du Gharb, seule usine marocaine d’éthanol, à l’arrêt depuis des années à la suite d’un incendie, renaquit de ses cendres en un temps record.

« Grâce à la mobilisation de tous, à travers notamment un suivi quotidien de l’état d’avancement des travaux, les délais de redémarrage de l’usine de production ont été réduits à une semaine au lieu des quatre mois prévus initialement, raconte Moulay Hafid Elalamy. La production a repris de manière effective à partir du 22 mars, avec une capacité de production allant de 240 à 300 hectolitres par jour. Ce qui permet, aujourd’hui, d’être autosuffisant sur ce produit. »

Le ministère a veillé à neutraliser la spéculation sur les produits tels que les masques et les gels hydroalcooliques

En parallèle, le ministère a veillé à neutraliser la spéculation sur ces produits. « Nous avons mis en place une war-room, qui assure la coordination et le suivi, au quotidien, de la situation d’approvisionnement du marché en produits sanitaires et des prix », explique le ministre. Le 17 mars, en amont du confinement, un décret réglementant la vente de gel hydroalcoolique l’a rendu accessible à toutes les bourses. Le prix du flacon de 50 ml a été plafonné à 15 dirhams (1,4 euro), alors qu’il atteignait jusqu’à cette date les 100 dirhams. Le produit est aujourd’hui disponible dans toutes les officines. Idem pour les masques, rapidement disponibles partout à un prix qui tient compte du pouvoir d’achat des Marocains.

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L’accompagnement des entreprises désireuses de reconvertir leur outil industriel dans la production de masques a permis au royaume de se poser comme un modèle à l’étranger. Surtout, étant capable de porter ses capacités au-delà des 10 millions de masques par jour, le Maroc exporte une partie de sa production vers des pays européens. Avant cela, des stocks de réserve ont été constitués : ils sont de l’ordre de 50 millions de masques jetables et de 20 millions de masques réutilisables. Quant au prix dérisoire de ces masques sur le marché domestique (8 dirhams pour un pack de 10 unités), il a été rendu possible par une subvention accordée par le Fonds spécial de lutte contre le coronavirus.

Le ministre de l'Industrie, Moulay Hafid Elalamy, encourageant les employés d'une usine textile de productions de masque, à Casablanca le 10 avril 2020. © © Youssef Boudlal/Reuters

Le ministre de l'Industrie, Moulay Hafid Elalamy, encourageant les employés d'une usine textile de productions de masque, à Casablanca le 10 avril 2020. © © Youssef Boudlal/Reuters

Innovation et numérique

Pour permettre à l’administration de rester opérationnelle durant la phase de confinement, le département de l’Économie numérique s’est lui aussi adapté à vitesse grand V. L’Agence digitale a « réalisé en deux mois des projets qui auraient autrement duré sept ans », a fièrement clamé devant le Parlement Moulay Hafid Elalamy. Pour accompagner le travail à distance, un « bureau digital » a été déployé, qui permet aux administrations et aux organismes publics de gérer électroniquement le flux du courrier entrant et sortant.

La crise a libéré le potentiel d’innovation, tant dans l’administration que dans le privé

« Nous avons aussi mis en place un parapheur électronique qui permet la dématérialisation totale des flux de documents nécessitant une valeur probatoire. Grâce aux nouvelles fonctionnalités de ce parapheur, la signature électronique des documents administratifs peut se faire sans aucun problème », se félicite Elalamy. Capitaliser sur ces nouveaux modes de fonctionnement est désormais une nécessité pour le royaume.

La crise a libéré le potentiel d’innovation, tant dans l’administration que dans le privé. Ces deux derniers mois, 26 demandes de brevet d’invention ont été déposées auprès de l’Office marocain de la propriété intellectuelle et commerciale (Ompic). « Plusieurs sont en lien avec la santé, et le Covid-19, dont des dispositifs de respiration et de désinfection, des masques de protection et un médicament de traitement. D’autres inventions portent, elles, sur le traçage des lieux et des personnes contaminées », explique MHE.

Et pour encourager les investissements, de nouvelles vannes de financement ont été ouvertes, à travers notamment l’appel à projets « Imtiaz-Technologies Covid-19 », lancé par l’Agence Maroc PME. « Une première vague de 34 projets d’investissement a été sélectionnée, représentant un montant d’investissement de près de 272 millions de dirhams couvrant sept des douze régions du Maroc », confie le ministre.

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Valoriser les atouts

Malgré tout, Moulay Hafid Elalmay reste conscient du grand challenge qui attend l’économie dans son ensemble, et l’industrie en particulier. « Le lent redémarrage de l’habillement freine la reprise du secteur textile, et l’incertitude sur l’avenir de l’aviation pénalisera à moyen terme l’aéronautique », cite-t-il à titre d’exemple. Et de poursuivre : « Ce ralentissement est mondial, et le Maroc ne pourra y échapper dans un premier temps. En revanche, les atouts dont nous disposons vont être davantage valorisés à l’issue de la crise, ce qui promet un rebond industriel. »

Moulay Hafid Elalamy reste confiant : cette crise est pour lui porteuse d’opportunités

Le ministre veut croire que les enseignements tirés de cette période inédite peuvent être convertis en avantages comparatifs : « L’impact sans précédent de la crise actuelle nous impose, nécessairement, de mettre en perspective notre stratégie industrielle, dont la ligne directrice demeure inchangée. Je dirais même qu’elle se renforce par le contexte géo-industriel mondial. Désormais, la dépendance aux sources uniques de production n’est plus acceptable pour les donneurs d’ordres. »

Moulay Hafid Elalamy reste donc confiant : cette crise est pour lui porteuse d’opportunités. « En valorisant nos atouts, nous pourrions attirer les investisseurs de secteurs encore peu développés, comme l’électronique, l’industrie médicale, les biens de consommation ou l’électroménager, soutient le responsable gouvernemental. En poursuivant l’intégration locale, nous parviendrons à augmenter notre capacité à localiser des métiers, des composants et des services absents de nos chaînes de production. Nous pourrions ainsi connecter nos opérateurs de l’amont aux industries exportatrices de l’aval, comme l’automobile, l’aéronautique ou la réalisation de produits textiles finis. »

Si le Maroc a démontré sa capacité à couvrir ses besoins primordiaux et à compter sur ses propres forces de production, l’enjeu est désormais d’assurer une relance qui limite l’onde de choc, surtout pour les toutes petites entreprises. Une offre de conseil et d’expertise technique a été lancée pour compléter les initiatives déjà entreprises dans le cadre d’un programme de soutien aux TPME industrielles affectées par la crise du Covid-19.

« Cette offre d’accompagnement permet aux TPME de gérer les difficultés liées à la crise, de préparer et de déployer des plans de relance de leur activité », assure-t-on au ministère. Concrètement, les coûts d’accompagnement par une expertise spécialisée dans l’élaboration et le déploiement des plans de continuité et de relance des entreprises seront pris en charge à hauteur de 80 % par les pouvoirs publics. Avec l’espoir de donner ainsi à toute entreprise la chance de redémarrer sur des bases saines.