[Édito] Comment conseiller un président sans trop se fatiguer

Donald Trump n’écoute rien, ou mal. Ses conseillers en font l’amère expérience chaque jour. Ceux qui ont l’oreille des chefs d’État africains ne sont pas toujours mieux lotis. Voici un manuel de survie en milieu hostile à leur intention.

L’épidémiologiste Anthony Fauci, qui conseille Donald Trump, lors d’une conférence sur le coronavirus au National Institutes of Health (NIH), en mars 2020. © Evan Vucci/AP/SIPA

L’épidémiologiste Anthony Fauci, qui conseille Donald Trump, lors d’une conférence sur le coronavirus au National Institutes of Health (NIH), en mars 2020. © Evan Vucci/AP/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 27 mai 2020 Lecture : 4 minutes.

En cette période de pandémie, il est plus difficile que jamais pour les conseillers de Donald Trump de se faire entendre. Au point, raconte le New York Times, que les analystes de la CIA chargés de briefer le président américain sur les questions de sécurité ont dû faire appel à des consultants extérieurs pour réfléchir à la meilleure façon de lui présenter leurs dossiers.

Trump écoute peu, s’irrite vite et décroche au bout de trente minutes : un cauchemar pour les spécialistes de haut vol, chargés d’exposer la synthèse des secrets récoltés par les 17 agences de renseignements américaines au locataire de la Maison-Blanche. Est-il plus aisé de capter l’attention des chefs d’État africains ? Rien n’est moins sûr. Voici donc quelques conseils pour pouvoir (et savoir) murmurer à l’oreille de ces êtres suprêmes – à l’usage de leurs collaborateurs.

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1. Tenez compte de ce que le chef croit savoir mieux que tous – et mieux que vous en particulier. Économie, sécurité, affaires étrangères… Tous les présidents ont leur spécialité, et ils absorberont difficilement une information qui n’ira pas dans le sens qu’ils auront eux-mêmes préétabli. En revanche, entamer un briefing par un élément qui conforte le chef et rend hommage à sa « vision » est un bon début.

2. Tenez compte de l’humeur du chef. Avant l’audience, renseignez-vous discrètement auprès de ceux (ou celles) qui l’ont côtoyé avant vous. En règle générale, évitez de commencer l’entretien par des informations négatives susceptibles de l’irriter.

Certains courtisans, direz-vous, ne s’embarrassent guère de ces précautions : flairant leur proie, ils affolent le président avec des fake news alarmistes et en profitent pour lui réclamer les moyens (financiers) de faire face au péril. Mais vous n’êtes pas de ceux-là.

Même s’il affecte de s’en méfier, votre président est sous l’influence permanente des médias

3. Tenez compte de la porosité de votre chef aux rumeurs et aux ragots que lui rapportent ses visiteurs du soir ou les membres de sa famille. Il a beau répéter qu’il n’est pas homme à se laisser berner et qu’il est imperméable aux pressions, vous devez savoir que c’est faux. Le chef est d’autant plus sensible aux « gossips » qu’ils lui donnent l’impression d’être en contact direct avec la vox populi, dans le dos de ses collaborateurs. Le problème étant qu’il est le seul à pouvoir faire le tri entre le vrai et l’infox.

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Sachez aussi que, même s’il affecte de s’en méfier, voire de les mépriser, votre président est sous l’influence permanente des médias – en particulier ceux de l’ex-puissance coloniale –, voire, pour certains d’entre eux, des réseaux sociaux – cette hantise des conseillers en communication.

4. Ne sortez pas de votre zone de confort, plus précisément de la zone dans laquelle le chef vous reconnaît une compétence. Inutile pour un communicant de se risquer sur le terrain de la sécurité et vice versa. Le pire est d’apparaître comme un donneur de leçons multicarte, il vous zappera rapidement.

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5. Ne contredisez jamais votre chef ouvertement, surtout devant témoin. Vous perdrez immédiatement sa confiance. Si vous vous apercevez qu’il se trompe et que le sujet relève de votre compétence, laissez-le finir son raisonnement, ne le coupez surtout pas, enchaînez par un « absolument Monsieur le Président, vous avez raison, mais… » subtil, puis exposez votre point de vue argumenté. Votre talent fera la différence.

6. Soyez toujours prêt à répondre à la question : « Comment savez-vous cela ? » ou « D’où tenez-vous cette information ? » Si le chef vous la pose, c’est que vous êtes sur la bonne voie : vous avez éveillé son intérêt. Reste à être convaincant et crédible quant à vos sources.

Un bon conseil : évitez de « bidonner », comme on dit dans le jargon journalistique, c’est-à-dire d’inventer. Même si votre chef est naïf au point de se nourrir des bulletins de renseignements les plus mités, le retour de bâton sera terrible.

7. Sachez que, en règle quasi générale, votre boss ne lit pas de notes excédant deux pages et qu’il retiendra à peine le quart de ce que vous lui avez dit. Séquencez votre briefing autour des quelques informations et idées dont vous voulez qu’il se souvienne, en utilisant des mots clés, de ceux qui, vous le savez, impriment le lobe temporal de son cerveau – siège de la mémoire.

Beaucoup de conseillers que je connais ont trouvé la parade : ils ne conseillent rien que le chef ne sache déjà

Enfin, préparez-vous à être le bouc émissaire le jour où votre chef trouvera commode de vous faire porter la responsabilité d’un échec. C’est ce qui vient d’arriver à Beth Sanner, l’analyste numéro un de Donald Trump, trente années de CIA derrière elle, accusée par le président de l’avoir mal briefé sur la dangerosité du coronavirus.

Vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de votre carrière n’étant pas une partie de plaisir, beaucoup de conseillers que je connais ont trouvé la parade : ils ne conseillent rien que le chef ne sache déjà. Ça n’est pas très glorieux, mais c’est plus prudent.

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