Politique

Algérie : des millions dans le business du lobbying à Washington

L’ancien gouvernement d’Abdelaziz Bouteflika a eu recours aux services de plusieurs cabinets de lobbying américains entre 2014 et mars 2020. Plongée dans les détails de ces contrats.

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Mis à jour le 20 mai 2020 à 18:29

Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a reçu dimanche à Alger, une délégation du Congrès américain, conduite par le président du Comité des forces armées du Sénat des Etats-Unis, James Inhofe, indique un communiqué des services du Premier ministre. le 24 février 2019 © APS © APS

Selon nos informations, l’ancien gouvernement algérien a dépensé 2,3 millions de dollars (2,1 millions d’euros) entre 2014 et mars 2020 pour s’assurer les services de cabinets de lobbying américains.

Rencontre avec Ouyahia

Foley Hoag LLP, spécialisé dans l’arbitrage international et basé à Boston, se taille la part du lion avec 420 000 dollars de gains – dont 210 000 dollars entre octobre 2019 et mars 2020. Selon des documents déposés auprès du ministère de la Justice, ce cabinet a tenu vingt-trois rencontres au cours de ce premier semestre de 2020, avec des officiels du département d’État et des membres du Congrès, parmi lesquels Joseph Kennedy III (Massachusetts), Lindsey Graham (Caroline du Sud), Betty McCollum (Minnesota), Hal Rogers (Kentucky) ou encore Patrick Leahy (Vermont). Ces échanges ont porté sur « les relations algéro-américaines, le respect des droits de l’homme et le droit à l’autodétermination ».

Point d’orgue du lobbying de Foley Hoag LLP ? L’audience accordée le 24 février 2019 par l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, aujourd’hui incarcéré, à une délégation de congressistes américains conduite par James Inhofe, président du Comité des forces armées du Sénat américain. Peu après cette rencontre, la même délégation s’est rendue dans un camp de réfugiés sahraouis situé à Tindouf, dans l’ouest de l’Algérie.

Bolton et Trump

Engagé en octobre 2018 sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, le cabinet Keene Consulting International, dirigé par David A. Keene, qui a présidé la puissante National Rifle Association (NRA, le lobby des porteurs d’armes) entre 2011 et 2013, a lui aussi été sollicité. Sa mission de conseil, qui a pris fin le 30 avril dernier, lui a rapporté 263 969 dollars.
Dans le cadre des activités menées par ce cabinet pour promouvoir les intérêts et l’image de l’Algérie, deux de ses agents ont rencontré plusieurs membres du Congrès (dont le sénateur de l’Utah, Mitt Romney), ainsi que des officiels du département d’État.
En janvier 2019, David Keene s’est entretenu avec John Bolton, ancien conseiller de Donald Trump, quelques semaines après que celui-ci s’était dit impatient de voir réglée la question du Sahara occidental. Dans une tribune publiée le 11 mai dans le très conservateur Washington Times, David Keene faisait d’ailleurs l’éloge du président Abdelmadjid Tebboune, dont il qualifie les réformes de « courageuses » et « pleines de bons sens ».

Engagé par Sonatrach

Autre cabinet à avoir été recruté sous la gouvernance de Bouteflika, International Policy Solutions est basé à Washington. Engagé en septembre 2018 par le groupe pétrolier Sonatrach, cet organisme a facturé 174 870 dollars à l’État algérien. Son contrat a expiré le 31 août 2019.
Un ancien haut cadre de Sonatrach qui a pris part aux négociations avec ce cabinet américain nie que ce lobbying soit lié aux activités de la compagnie pétrolière algérienne ou encore à la nouvelle loi sur les hydrocarbures, adoptée en novembre 2019. « Ce choix a été fait sous l’impulsion de l’ambassadeur algérien à Washington, Madjid Bouguerra. Il jugeait que les Marocains avaient la mainmise sur le lobbying aux États-Unis et pensait que l’Algérie devait tenter de les contrecarrer », confie une source proche de ce dossier.