Politique

Présidentielle au Burundi : « Le plus important, ce ne sont pas les élections, mais ce qu’il va se passer ensuite »

Les Burundais sont appelés aux urnes, ce mercredi, pour une élection présidentielle qui marquera la fin des quinze années de présidence de Pierre Nkurunziza. Thierry Vircoulon, chercheur à l’IFRI, juge cependant que ce scrutin, qu’il estime « joué d’avance », n’a pour seul objectif que d’assurer la « continuité du régime ».

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Mis à jour le 20 mai 2020 à 09:14

Evariste Ndayishimiye, candidat du CNDD-FDD, aux côtés du président burundais sortant, Pierre Nkurunziza, le 26 janvier 2020 à Gitega. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA

Cette élection permettra-t-elle au pays de tourner la page et d’en finir avec la crise politique dans laquelle il est plongé depuis les manifestations violemment réprimées de 2015 ? Les 5,1 millions d’électeurs burundais sont appelés aux urnes ce mercredi pour des élections générales, mais, surtout, pour choisir le successeur de Pierre Nkurunziza, qui a présidé au destin du Burundi depuis son accession au pouvoir, en août 2005.

Après avoir longtemps laissé planer le doute sur ses intentions, le futur ex-président burundais a décidé de passer la main, et de ne pas briguer un troisième mandat.

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Si sept candidats sont en lice pour lui succéder, son dauphin désigné, Évariste Ndayishimiye, candidat du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD, au pouvoir), part grand favori de ce scrutin. En face de lui, Agathon Rwasa, candidat du Conseil national pour la liberté (CNL), principal parti d’opposition, n’en a pas moins attiré les foules lors de plusieurs meetings.

La campagne, organisée dans le contexte de pandémie et sur fond de bras de fer avec les institutions internationales, au premier rangs desquelles l’OMS dont quatre fonctionnaires ont été tout récemment déclarés persona non grata, a été marquée par des violences. Le CNL d’Agathon Rwasa accuse les Imbonerakure, les membres de la ligue de jeunesse du parti au pouvoir, d’en avoir été à l’origine. Plusieurs candidats ont également accusé la Commission électorale nationale indépendante d’être favorable au CNDD-FDD.

Thierry Vircoulon, chercheur au Centre Afrique Subsaharienne de l’Institut français des relations internationales, livre à Jeune Afrique son analyse de ce que plusieurs ONG et opposants qualifient « d’élections à huis clos », le Burundi ayant rejeté tout déploiement d’observateurs des Nations unies, de l’Union africaine ou de l’Union européenne.

Jeune Afrique : Ce scrutin présidentiel peut-il permettre au pays de tourner la page de la crise politique ?

Le seul enjeu, c’est la continuité du régime, de la dictature. Le CNDD-FDD a mis toutes les chances de son côté, il a déjà désigné qui sera le prochain président. À partir du moment ou le président change, mais que le régime reste le même, les politiques restent, en général, les mêmes.

Actuellement, l’économie du Burundi est entièrement sous l’emprise du CNDD-FDD. Changer de politique, cela signifierait pour les membres du parti d’en perdre le contrôle.

La foule lors d'un meeting du CNDD-FDD à Gitega, pendant la campagne pour la présidentielle au Burundi, le 27 avril 2020. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA

La foule lors d'un meeting du CNDD-FDD à Gitega, pendant la campagne pour la présidentielle au Burundi, le 27 avril 2020. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA

Un nouvel homme va cependant succéder à Pierre Nkurunziza. Quel seront, selon vous, ses priorités ?

Le Burundi aurait intérêt à mettre un terme à l’enfermement diplomatique dans lequel il s’est mis. Il y a cependant une vraie logique de régime : le pouvoir s’est volontairement coupé des autres pays de la région. Et cela a considérablement appauvri le pays. Je ne suis pas sûr qu’Évariste Ndayishimiye parvienne à rompre avec cette politique, ni même qu’il le souhaite. Avec ce scrutin, on tourne juste le chapitre Nkurunziza pour ouvrir le chapitre Ndayishimiye. C’est la principale différence.

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Justement, pendant de longs mois, l’opposition comme de nombreux observateurs ont douté de la volonté de Pierre Nkurunziza de passer la main. Il l’a pourtant fait. Pourquoi, selon vous ?

La négociation a eu lieu en interne, au sein du CFDD-NDD. Tout a été réfléchi pour qu’Évariste Ndayishimiye soit le prochain président. Agathon Rwasa n’a aucune chance de gagner. Ce n’est pas un vrai scrutin. C’est une élection fabriquée à l’avance.

Agathon Rwasa, lors d'un meeting du CNL à Bujumbura, pendant la campagne présidentielle au Burundi, le 16 gévrier 2020. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA

Agathon Rwasa, lors d'un meeting du CNL à Bujumbura, pendant la campagne présidentielle au Burundi, le 16 gévrier 2020. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA

Si le scrutin est joué d’avance, comme vous l’estimez, comment analysez-vous la participation d’Agathon Rwasa ?

Il est le seul véritable opposant notable dans le pays. C’est dû à son passé politique, à sa stature. Et il faut noter qu’il a fait campagne dans des circonstances très difficiles.

Mais en fait, le régime a besoin de lui, car, depuis 2015, il leur sert de faire-valoir diplomatique, qui permet de prouver que le Burundi n’est pas dans un régime de parti unique. C’est ce qui explique cette tolérance vis-à-vis d’Agathon Rwasa. Si sa campagne a bien marché, c’est qu’il est la seule figure de poids de l’opposition et qu’il s’appuie sur un très grand mécontentement dans le pays. Mais il risque, aussi, de cristalliser beaucoup de désillusions.

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Quel sera, selon vous, le rôle de Pierre Nkurunziza, désormais le « guide suprême » du CNDD-FDD, dans les mois à venir ? Quelle sera la marge de manoeuvre de son successeur ?

Le pouvoir burundais est assez monarchique, le changement de président devrait donc aboutir à une “réorganisation de la cour”. Il y a un certain nombre de gens qui devraient être remplacés. Quant-à savoir dans quelle mesure cela va être à l’avantage de Pierre Nkurunziza, nous aurons la réponse dans les six mois qui viennent. Cela se jouera au moment de la composition du futur gouvernement et en fonctions des changements qui seront opérés dans la haute administration, notamment. Le plus important, ce ne sont pas les élections, mais ce qu’il va se passer ensuite, au sein du CNDD-FDD.