Continuer de produire malgré le coronavirus. C’est la stratégie des groupes chinois (ou ayant des actionnaires chinois) actifs dans le secteur minier sur le continent, en RDC, en Guinée, mais aussi en Zambie et en Afrique du Sud. À court terme, leur lien étroit avec Pékin – qui reste le principal acheteur mondial de métaux de base (cuivre, cobalt, bauxite, fer principalement) – les protège d’une baisse de leurs volumes exportés. Pour rappel, la Chine consomme près de la moitié des métaux de base de la planète pour approvisionner son industrie.
Ainsi, les mines congolaises de China Molybdenum à Tenke-Fungurume et de China Nonferrous Metal Mining (CNMC) à Desiwa continuent, selon leurs dirigeants, de tourner à leur rythme d’avant-crise. Dans la filière bauxite de Guinée, outre la Société minière de Boké (SMB), qui affirme toujours produire à pleine capacité, Aluminium Corporation of China (Chalco), le deuxième producteur mondial d’aluminium, vient même d’expédier sa première cargaison de 180 000 tonnes de minerai tirées de sa nouvelle exploitation de Boffa. Elle devrait arriver le 30 mai dans son aluminerie de la ville portuaire de Fangchenggang, dans le sud-ouest de la Chine.
La concurrence occidentale réduit la voilure
Une poursuite d’activité qui tranche avec la situation actuelle des concurrents occidentaux dont les cargaisons trouvent difficilement preneur dans les ports de l’empire du Milieu. Pour preuve, le géant suisse des matières premières Glencore a fermé temporairement sa mine de cuivre de Mopani en Zambie et réduit la voilure à Kamoto en RDC.
Reste que tout n’est pas gagné pour les miniers chinois. Illustration : s’ils affirmaient, à la mi-mars, n’avoir guère de doute sur la résilience de leurs filières extractrices, leur discours a sensiblement évolué en un mois pour devenir plus prudent: « Depuis l’émergence de l’épidémie à Wuhan, nous avons continué à expédier au même rythme nos cargaisons de bauxite vers le port chinois de Yantai, principale porte d’entrée des minerais en Chine. Il n’y a pas de raison que cela ne se poursuive pas les mois prochains alors que la maladie régresse en Asie », soulignait ainsi en mars Frédéric Bouzigues, le directeur général de la SMB – propriété d’un consortium sino-singapouro-guinéen, dont Shandong Weiqiao, l’acheteur du minerai – en Guinée.
Même son de cloche en RDC pour la production de cuivre et le cobalt du Katanga, également extrêmement dépendante de Pékin. « Sur la durée, les prix du cuivre sont sur une tendance inflationniste, grâce aux plans d’infrastructures massifs de la Chine, mais aussi de l’Europe ou encore du Japon », estimait Louis Watum, le président de la Chambre des mines du pays, également président du projet de Kamoa, copropriété du canadien Ivanhoe Mines et des chinois Zijing Mining et du fonds Citic.
Le Congolais faisait également valoir l’importance des minerais de son pays pour la transition énergétique, avec l’utilisation du cobalt pour les batteries de véhicules électriques – fabriquées essentiellement en Chine –, et du cuivre pour la construction de bâtiments plus écologiques.
500 milliards de dollars de nouveaux chantiers ?
Deux mois plus tard, l’optimisme chinois se fait beaucoup plus discret. Sollicités à nouveau, les dirigeants des sociétés n’ont pas souhaité réagir. En parallèle, les remontées d’autres observateurs sont bien plus mesurées. Explication : il y a désormais des doutes quant à l’appétit futur de Pékin pour ses minerais de prédilection en Afrique.
Les nouveaux grands plans d’investissement de la Chine dans les infrastructures se font attendre
Première source d’inquiétude : le niveau des stocks chinois de bauxite, de cuivre, de cobalt et de fer, qui reste un mystère. « Seul Dieu les connaît ! » ironise l’analyste Magnus Ericsson, expert des filières minières Afrique-Chine, pour qui la volatilité des prix – notamment du cuivre – est pour une grande part liée aux spéculations à ce sujet.
Deuxième et principal point : les nouveaux grands plans d’investissement de la Chine dans les infrastructures, espérés par les miniers, se font attendre. Si, courant avril, le chiffre mirifique de 500 milliards de dollars de nouveaux chantiers a bien été évoqué par plusieurs officiels à Pékin, il semble que ces déclarations étaient avant tout destinées à remonter le moral des citoyens chinois. Nul décompte précis de projets n’a été présenté.
« Quels sont les grands travaux que Pékin va pouvoir mener alors que l’essentiel de ses besoins en infrastructures sont aujourd’hui couverts – on peut par exemple désormais se rendre en train à grande vitesse un peu partout en Chine – et qu’il a été décidé d’une plus grande discipline budgétaire et financière ? » interroge Magnus Ericsson. Selon lui, cette discipline signifie une plus grande sélectivité des chantiers, y compris des infrastructures bâties dans le cadre du programme des Nouvelles Routes de la soie (One Road One Belt) situées en dehors de Chine.
Des coûts beaucoup trop élevés
Une partie des incertitudes pourrait être levée à l’occasion de la session annuelle du Parlement chinois, qui rassemblera 2 980 députés à partir du 22 mai. Elle doit préciser l’ampleur du soutien de l’État à l’économie dont le PIB s’est effondré de 6,8 % au premier trimestre. Pour la plupart des analystes, il est d’ores et déjà clair que 2020 ne ressemblera pas à 2008, quand la Chine était venue au secours de l’économie mondiale alors frappée par la crise financière. Les industries soutenues et les grands travaux lancés devraient être moins nombreux qu’il y a douze ans, et les destins des différentes filières minières plus disparates.
Certes, les besoins massifs chinois en bauxite (dont on fait l’aluminium) et en cuivre devraient perdurer. Le premier minerai est crucial pour la fabrication des biens de consommation sophistiqués ; le second est vital pour les industries de pointe, notamment liées à la protection de l’environnement. En revanche, les besoins en fer de Pékin devraient être revus à la baisse. Tout comme ceux de cobalt alors que les batteries au lithium semblent désormais être privilégiées par les fabricants de véhicules électriques au détriment de celles s’appuyant sur le cobalt et le nickel.
Enfin, même si l’intérêt de Pékin pour les minerais demeure vif, les mines dont les coûts de production sont trop élevés par rapport aux cours des matières premières ne résisteront pas, même si elles sont tenues par des groupes chinois. « Un projet d’extraction de cuivre tel que celui de Kamoa, près de Kolwezi en RDC, de taille gigantesque, avec une teneur très élevée, continuera à être soutenu par ses partenaires chinois ; tout comme son alter ego sud-américain de Las Bambas au Pérou.
Mais il va y avoir nécessairement des revues de portefeuille défavorables aux plus petits sites miniers, y compris en RDC et en Zambie », prédit l’expert Magnus Ericsson. Et ce dernier de rappeler que, contrairement au secteur pétrolier où des champions chinois ont émergé, il reste encore à bâtir des homologues miniers capables de rivaliser avec les concurrents anglo-saxons qui dominent toujours le secteur à l’échelle mondiale.