Économie

Comment 54gene est devenue la référence des biotechnologies en Afrique

Passée par la Silicon Valley, forte de deux levées de fonds records, innovante face au coronavirus… Née en janvier 2019, la start-up nigériane 54gene, qui ambitionne de devenir la plus grande banque de données génétiques du continent, a connu une ascension fulgurante.

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 11 mai 2020 à 10:36

Abasi Ene-Obong, co-fondateur de la start-up 54gene © 54gene

Même apparues dans un contexte difficile, il est des opportunités qu’il ne faut pas laisser passer. C’est exactement ce que fait la start-up 54gene au Nigeria, qui, crise sanitaire oblige, réoriente ses recherches sur les moyens de lutter contre la pandémie provoquée par le coronavirus.

Spécialisée dans le séquençage des génomes africains pour adapter les produits médicaux aux populations du continent, l’entreprise fondée en 2019 par Abasi Ene-Obong a rejoint, depuis la fin d’avril, le réseau créé par le Centre de contrôle des maladies du Nigeria (NCDC). Sa mission en son sein : mener des campagnes de tests dans tout le pays.

À Lire La tech se mobilise contre le coronavirus


« Aucune entreprise n’est épargnée par l’impact économique du coronavirus. Certaines arrivent à s’adapter. Nous avons décidé de tirer parti de notre expertise moléculaire pour contribuer à la lutte », explique Abasi Ene-Obong, 34 ans. Originaire de Calabar, il a quitté le Nigeria à l’âge de 22 ans, un bachelor de génétique et biotechnologie en poche, pour partir décrocher un doctorat en biologie du cancer à Londres et un master de management aux États-Unis.

Bientôt 1 000 tests par jour

Dans le cadre du NCDC, et avec le soutien de la fondation Dangote, les spécialistes de 54gene (biochimistes, généticiens, neuroscientifiques, oncologues ou encore chirurgiens parasitologues) ont implanté à l’hôpital Muhammadu-Buhari de Kano un laboratoire mobile construit à l’aide de conteneurs.

Il permet, dans un premier temps, d’effectuer 400 tests par jour, et sa capacité devrait augmenter à 1 000 examens d’ici au 10 mai. La start-up possède également ses propres laboratoires, situés dans les États de Lagos et d’Ogun, où elle effectue des tests.

Prochaine étape : la construction d’un laboratoire de pointe dans la capitale nigériane

À la mi-avril, alors que la capitale économique nigériane était soumise à un confinement depuis deux semaines, 54gene avait déjà fait parler d’elle. La start-up annonçait en effet avoir levé 15 millions de dollars auprès d’une dizaine d’investisseurs (huit américains et trois africains, dont le nigérian Ingressive Capital).

À Lire Coronavirus : y a-t-il une flambée de la pandémie au Nigeria ?

« Cela va principalement nous aider à développer des infrastructures, explique Abasi Ene-Obong. Nous allons construire un laboratoire de pointe à Lagos qui nous permettra de mener des recherches plus précises alors que nous sommes sur le point de générer les premières conclusions issues d’une analyse des données génétiques de 100 000 Nigérians débutée en février. »

Cet apport de capital confirme l’attrait des investisseurs pour 54gene, qui ambitionne de devenir la plus grande banque de données génétiques du continent. Sept mois après sa création, en janvier 2019, elle bénéficiait déjà d’un financement d’amorçage de 4,5 millions de dollars levés auprès d’acteurs prestigieux du capital-risque américain comme Y Combinator, Fifty Years, Better Ventures, KdT Ventures, Hack VC ou Techammer.

Ce premier pas a alors propulsé son fondateur, ex-consultant qui a travaillé pendant deux ans pour des laboratoires américains comme Gilead ou pour des cabinets de conseil comme IMS Health ou PwC, sur les plateaux de télévision.

Dans les locaux de la start-up nigériane 54gene, première banque de données génétiques d'Afrique © 54gene

Dans les locaux de la start-up nigériane 54gene, première banque de données génétiques d'Afrique © 54gene

Entre Lagos et San Francisco

Il le conduit également à participer à divers événements comme la Social Media Week de Lagos ou la réunion générale 2019 de la Société internationale pour les dépôts biologiques et environnementaux (ISBER), à Minneapolis. Avant leur annulation à cause de la pandémie, il était également attendu aux éditions 2020 de l’Africa CEO Forum et du Next Einstein Forum.

Abasi Ene-Obong explique cette réussite par un choix : l’installation du siège de son entreprise à Lagos, mais également à Washington DC. « Quand vous travaillez dans l’innovation, vous voulez être entouré par l’innovation. Vous voulez avoir accès aux capitaux et aux talents », justifie le Nigérian.

Avant d’ajouter : « Nous voulons que notre travail ait un impact sur le continent africain. C’est pourquoi la majorité de nos effectifs [90 % de la quarantaine d’employés] est au Nigeria. Nous espérons ainsi créer des emplois et améliorer le niveau de connaissance académique en fournissant une plate-forme de recherche qui permette de développer les compétences scientifiques. »

Dans la Silicon Valley, la start-up a obtenu toute l’attention des investisseurs.

Un autre facteur a été décisif dans le décollage de la start-up, cofondée avec Francis Osifo, un ingénieur en informatique nigérian rompu à l’écosystème technologique de Lagos : sa participation au prestigieux programme d’accélération de Y Combinator. Bien connu des geeks de la Silicon Valley, l’accélérateur a fait émerger de grands noms américains comme Airbnb ou Dropbox, mais aussi des succès africains comme Flutterwave ou Paystack.

Des capital-investisseurs de renom

« Le programme dure trois mois pendant lesquels votre réseau s’élargit. Vous rencontrez des talents, recevez des conseils de vos pairs et avez toute l’attention des investisseurs », raconte Abasi Ene-Obong.

À Lire Bill Gates : « La crise du Covid-19 coûtera bien plus de 3 000 milliards de dollars »

Résultat, c’est Adjuvant Capital, une société soutenue par IFC, Novartis et la Fondation Bill & Melinda Gates, qui a mené le tour de table en série A. Elle est parvenue à convaincre Aera VC – un capital-risqueur new-yorkais qui fait aussi partie du tour de table d’Andela –, le sud-africain Raba, qui a investi dans Twiga Foods, mPharma, Flutterwave et Kobo360, ou encore des investisseurs ultra-spécialisés comme le californien Fifty Years, qui mise essentiellement sur les biotechnologies.

Malgré ce parcours sans faute, le chemin vers la viabilité économique reste long pour 54gene. À terme, la start-up, qui poursuit ses recrutements (sept sont en cours), entend vivre des brevets qu’elle publiera.

En attendant, Abasi Ene-Obong cherche aussi à diversifier sa recherche en s’implantant dans de nouveaux marchés africains, un point sur lequel il préfère ne pas donner de détails.