Économie

Imbroglio en Guinée autour de la facture du plan anti-Covid

Dans une lettre adressée au Premier ministre guinéen, la Banque mondiale estime que le plan de riposte à la crise sanitaire coronavirus lancé par Conakry surévalue de 45 millions d’euros le coût de l’électricité.

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Mis à jour le 30 avril 2020 à 15:16

Intervention du Premier ministre guinéen, Ibrahima Kassory Fofana. © DR / APIP Guinée

L’eau et l’électricité gratuites pour tous, pendant trois mois. C’est l’une des mesures phares prise par le gouvernement, le 6 avril, lors du lancement du « Plan de riposte économique à la crise sanitaire COVID-19 » par le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana.

Un plan de plus de 3 000 milliards de francs guinéens (287 millions d’euros), qui comprend notamment la gratuité de l’eau et de l’électricité pendant trois mois.

Pour évaluer le coût budgétaire engendré par la prise en charge de la facture d’eau des ménages guinéens pour les trois prochains mois, les services gouvernementaux se sont appuyés sur la Société des eaux de Guinée (SEG), qui l’a estimé à deux millions de dollars. Une dépense à laquelle la Banque mondiale s’est engagée à contribuer, à hauteur d’un million de dollars.

Mais la facture d’électricité a fait plus de bruit, après la fuite dans la presse, le 26 avril, d’un document de la représentation pays de la Banque mondiale datée du 20 avril et adressé au Premier ministre guinéen. Sollicitée par le gouvernement pour commenter son plan de riposte économique, l’institution relève que « le coût de la facture [d’électricité] à 46 millions de dollars nous parait surestimé, nos estimations indiquent un total d’environ 1 million de dollars ».

EDG et le ministère de l’Électricité se renvoient la balle

Erreur de calcul ? Sur les réseaux sociaux, les internautes accusent le gouvernement d’avoir voulu tirer profit du coronavirus. Le Premier ministre, quant à lui, pointe son ministre de l’Énergie, Cheick Taliby Sylla. « La Primature a constaté, avant même la réception des commentaires de la Banque mondiale, que les données fournies par le ministère chargé de l’Énergie sont erronées », a-t-il affirmé dans un communiqué publié le 28 avril.

« Tout ce qu’on est en train de dire sur notre département est faux, s’insurge de son côté un membre du cabinet du ministre de l’Énergie. Ce n’est pas le ministre qui a élaboré cette partie technique du plan, mais EDG (Électricité de Guinée). Le ministre n’a fait que soumettre la proposition au chef du gouvernement ».

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Mais si EDG reconnaît que le coût de 46 millions de dollars est surévalué, elle n’entend endosser aucune responsabilité dans ce cafouillage.  « Ni les premières communications du gouvernement, ni les chiffres donnés par la Banque mondiale ne correspondent au réel montant, indique la société qui précise « travailler avec les différentes parties pour trouver un chiffre valable ».

Interrogé par JA, l’ancien ancien ministre de l’Énergie Papa Koly Kourouma, aujourd’hui en charge de l’Hydraulique et de l’Assainissement, estime que « l’erreur de calcul provient d’EDG qui a évalué une somme exorbitante ». EDG « a peut-être manqué de méthode, en procédant à la facturation de la quantité d’énergie produite sans prendre en compte le montant des recouvrements », suppose-t-il.

Quant au bureau de la Banque mondiale à Conakry, il se refuse à tout commentaire. « Commenter des documents internes, à la demande du gouvernement, est un exercice habituel », rappelle une source interne à l’institution.

Divisions internes

De nombreuses lettres qui ont fuité dans la presse témoignent de la division du gouvernement concernant ce plan de riposte économique. Entre Ibrahima Kassory Fofana, et la ministre chargée du Plan et du Développement économique, Mama Kany Diallo, les relations sont en dents de scie.

Le 4 avril, sans en informer le chef du gouvernement, la ministre a adressé un email « confidentiel » au Président de la République – qui a lui aussi fuité dans la presse guinéenne -, dans lequel elle estime que « le plan de soutien au secteur privé comporte une panoplie de mesures d’allègement et d’assouplissement des charges fiscales qui méritent d’être évaluées dans une perspective de soutenabilité des finances publiques ».

Elle demande en outre au chef de l’État de procéder à une « évaluation ex ante de toutes les mesures d’allègements fiscaux et d’assouplissement des mesures de financements économiques, tant du point de vue de leur faisabilité et de leur soutenabilité ».

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De quoi déclencher la colère du Premier ministre, qui, dans une lettre destinée au président, a qualifié la démarche de la ministre « d’indiscipline administrative et d’un manque de loyauté absolument inacceptables ».

Un point de vue que partage Papa Koly Kourama, qui déplore la démarche de sa collègue. « Ses remarques auraient dû être formulées au Premier ministre à qui il appartient d’émettre une appréciation », estime le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, qui exhorte le gouvernement à se concentrer sur la quête des fonds nécessaires pour mettre en place au plan de riposte contre le coronavirus.