Politique

Affaire Guillaume Soro : retour sur la condamnation qui obscurcit l’avenir du candidat à la présidentielle

Condamné à 20 ans de prison et à la privation de ses droits civiques pour « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment de capitaux », Guillaume Soro voit s’amenuiser ses chances de se porter candidat à la présidentielle. « Une tentative d’exécution politique », selon ses avocats.

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Par - à Abidjan
Mis à jour le 29 avril 2020 à 17:52

L’ancien Premier ministre Guillaume Soro après une rencontre avec le président ivoirien Alassane Ouattara au palais présidentiel d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, en mars 2012. © Emanuel Ekra/AP/SIPA

Le jugement est tombé juste après la pause déjeuner. À l’issue d’un procès qui n’aura duré qu’un peu plus de trois heures, Guillaume Soro a été condamné à 20 ans de prison ferme et à une amende de 4,5 milliards de francs CFA (un peu moins de 7 millions d’euros) pour « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment de capitaux ». Il est par ailleurs privé de ses droits civiques pendant cinq ans et sommé de verser 2 milliards de francs CFA de dommages et intérêts au Trésor public ivoirien. Enfin, un nouveau mandat d’arrêt a été émis contre lui.

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Le tribunal correctionnel d’Abidjan l’a reconnu coupable d’avoir acheté, en décembre 2007, sa résidence de Marcory Résidentiel, un quartier d’Abidjan, pour un montant de 1,5 milliards de francs CFA, grâce à des fonds provenant du Trésor public.

Guillaume Soro est dangereux pour la Côte d’Ivoire

Par cette condamnation, le président du tribunal a suivi à la lettre le réquisitoire prononcé par le procureur de la République plus d’une heure auparavant. Richard Adou avait en effet estimé que la preuve « d’une utilisation massive et frauduleuse de l’argent public » avait été apportée. Bien que les faits remontent à 2007, le procureur a estimé que la prescription ne s’appliquait pas car l’infraction était toujours en cours. Guillaume Soro, en exil en France, n’était pas présent à son procès, pas plus que ses avocats.

Avant lui, les avocats de l’État ivoirien, qui s’était constitué partie civile, avaient reproché à l’accusé d’avoir « sciemment détourné des fonds publics en usant de sa qualité de Premier ministre ». « Guillaume Soro est dangereux pour la Côte d’Ivoire, pour les Ivoiriens », a lancé Me Abdoulaye Mëité. « Votre décision doit être un coup de tonnerre dans le ciel de la corruption », a poursuivi son collègue Me Mamadou Samassi.

Deux témoignages à charge

Au cours des trois heures d’audience, l’accusation a principalement reposé sur deux témoignage à charge : ceux de Kadiatou Ly, une agent judiciaire du Trésor, et de Me René Nguessan, le notaire choisi par Guillaume Soro dans le cadre de l’achat de sa résidence.

Fonctionnaire au ministère la Justice, Kadiatou Ly n’était pas présente au procès, mais représentée par son avocat. Devant les juges, ce dernier a résumé les déclarations faites par sa cliente lors de l’enquête. Cette dernière avait affirmé avoir, à l’occasion d’un « contrôle de routine », découvert que la résidence achetée par Guillaume Soro avec des fonds reçus du Trésor public, alors qu’il était Premier ministre, n’était toujours pas été inscrite au domaine de l’État. Selon le procureur de la République, c’est elle qui a alors signalé l’affaire auprès de ses services.

Seul témoin présent à la barre ayant pris part à l’achat de la fameuse villa, le notaire René Nguessan a quant à lui raconté avoir été convié en juin 2007 par Marcel Amon Tanoh, alors ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat, à une rencontre avec Guillaume Soro. Ce jour-là, à l’hôtel du Golf, à Abidjan, ces deux « hommes d’État » ont évoqué devant lui le projet d’acquisition de la résidence, qui appartenait alors à Adrien Houngbédji, l’ancien président de l’Assemblée nationale du Bénin.

Onze chèques

Pour ce faire, raconte-t-il, une société civile immobilière, la SCI Ebur, a été créée à l’initiative d’Amon Tanoh. Elle disposait d’un capital de 2 millions de francs CFA et comptait deux associés : Cissé Mori, le gérant, et Souleymane Kamaraté Koné – dit « Soul to Soul », l’ancien directeur du protocole de Soro. Les deux hommes sont eux aussi poursuivis par la justice ivoirienne dans une autre procédure. Soul to Soul a été incarcéré le 23 décembre. Quant à Cissé Mori, il est en exil en France.

C’est via cette SCI que seront versés, au total, onze chèques émis par le Trésor public, pour un montant total de 1,932 milliards de francs CFA, permettant l’achat de la maison et le paiement de frais, notamment de commissions, a expliqué le notaire.

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Ironie de l’histoire, l’audience a révélé que le bien n’avait pas été muté au nom de Guillaume Soro mais que le titre de propriété comportait toujours celui d’Adrien Houngbédji. Après la vente devant notaire, en décembre 2007, la mutation n’a en effet jamais été effectuée. Selon le notaire, Guillaume Soro a finalement entamé des démarches en ce sens dans le courant de l’année 2019. Mais celles-ci n’avaient toujours pas encore abouti lorsque l’affaire a débuté.

Selon l’entourage de l’ancien président de l’Assemblée nationale, les fonds du trésor ont été transférés sur ordre de Laurent Gbagbo, alors chef de l’Etat. Selon eux, l’achat de la villa a été effectuée dans le cadre d’un dédommagement accordé par le régime Gbagbo à plusieurs personnalités après les accords de paix de Ouagadougou (2007).  Outre Amon Tanoh, l’opération avait été encadrée par Charles Koffi Diby, alors ministre de l’Économie et des Finances, Simone Mama Djedje, directrice générale du Trésor à l’époque, Koné Tiemoko Meyliet, en ce temps directeur de cabinet de Soro. L’épouse de Blaise Compaoré, Chantal, ainsi qu’Alassane Ouattara en auraient bénéficié.

Avenir incertain

Revigoré par l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme (CADH) ordonnant à la Côte d’Ivoire, le 22 avril, de « surseoir à l’exécution du mandat d’arrêt émis contre [lui] », Guillaume Soro voit son avenir s’obscurcir brutalement après cette lourde condamnation.

Depuis Paris, où il est installé depuis son retour manqué à Abidjan, fin décembre 2019, celui qui fut aussi le chef de la rébellion a déclaré considérer ce verdict « comme un non-événement ». « La parodie de procès à laquelle nous avons assisté ce jour est la preuve ultime que l’État de droit est définitivement enterré par Alassane Ouattara. Je maintiens ma candidature à la présidentielle et je demande à tous mes partisans de demeurer mobilisés », a-t-il poursuivi.

« Dans ces conditions, il n’a aucune chance de concourir à l’élection. Il est dans une impasse et les prochains mois vont être compliqué », croit plutôt une source qui le connaît bien.

Absent d’un procès qu’ils décrivent comme « une tentative d’exécution politique », au motif que l’arrêt de la CADH a demandé de geler les procédures, ses avocats n’ont pas encore annoncé s’ils comptaient faire appel. « Nous exercerons les recours utiles pour constater et dénoncer cette parodie de procès », confirme Me Brahima Soro, l’un de ses conseils.