L’an dernier, les engagements en Afrique de l’institution britannique de développement avaient atteint 1,4 milliard de dollars. En 2018, ceux de Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) dédiée au secteur privé, étaient d’environ 660 millions de dollars, contre 6 milliards pour sa maison mère qui finance, elle, également les États.
Au demeurant, à la différence de la plupart de ses consœurs, l’institution basée à Londres consacre 80 % de ses nouveaux financements à des prises de participation directe au capital des structures accompagnées, contre seulement 5 % pour l’AFD, qui privilégie au contraire les prêts (73 % de ses engagements).
Plus prompt à prendre des risques de long terme aux côtés des entreprises financées, CDC finance plusieurs dizaines de fonds d’investissements dévolus à l’Afrique et détient des participations directes ou indirectes dans plus de 700 entreprises de la région. Parmi ses clients et ses partenaires figurent plusieurs grands noms du capitalisme continental, dont le Marocain Othman Benjelloun (BMCE Bank of Africa) ou le Zimbabwéen Strive Masiyiwa (Liquid Telecom), ainsi que des structures tels que Afreximbank, Jumia, Globeleq.
Dans sa première interview accordée à Jeune Afrique, Nick O’Donohoe, directeur général de CDC Group depuis 2017, ancien de JP Morgan et ex-conseiller senior de la Fondation Bill & Melinda Gates, revient sur les challenges présentés par l’épidémie du coronavirus, mais aussi les opportunités qui peuvent en découler pour cette institution atypique dans le paysage de l’aide publique au développement.
Jeune Afrique : Quel est l’impact de la crise de Covid-19 sur les activités de CDC Group ?
Nick O’Donohoe : La première chose, pour nous, est d’assurer la sécurité de nos 400 employés, qui travaillent exclusivement à domicile. Nous nous concentrons en outre sur notre portefeuille d’actifs et restons en communication constante avec toutes les entreprises, les fonds et les banques dans lesquels nous investissons. Nous avons des investissements directs et indirects dans plus de 1 200 sociétés [700 en Afrique], avec 6 milliards de livres sterling d’actifs [6,9 milliards d’euros]. L’année dernière, nous avons engagé 2 milliards de dollars dans le monde entier, dont 1,4 milliard en Afrique.
Ce flux sera-t-il affecté par cette crise sanitaire ?
En janvier, CDC Group s’était engagé à investir 2 milliards de livres sterling dans des entreprises africaines sur une période de deux ans. Mais, avec le Covid-19, les hypothèses et les objectifs pour 2020 devront être revus. De nombreuses économies connaîtront une croissance plus lente, mais en même temps le besoin de liquidités sera plus élevé. Nous examinons attentivement nos engagements, mais il ne fait aucun doute que les choses seront différentes.
Où investissez-vous principalement en Afrique ?
Nous avons un portefeuille vaste et diversifié, avec des actifs dans 34 pays, principalement au Kenya et au Nigeria, mais aussi en Côte d’Ivoire, au Cameroun, en Zambie et au Malawi. L’Éthiopie et l’Afrique du Nord (Maroc, Égypte…) sont de plus en plus importantes dans notre portefeuille.
Environ 30% de nos investissements passent par les banques pour atteindre les PME
En 2012, nous étions moins de 50 salariés, sans bureaux en Afrique ou en Asie. Aujourd’hui, nous avons des bureaux en Inde, au Bangladesh et au Pakistan, ainsi qu’à Johannesburg, Nairobi et Lagos, et nous en ouvrirons bientôt un au Caire [cette année], ainsi que des représentants en Éthiopie et en Zambie.
Comment investissez-vous sur le continent ?
À travers une large gamme d’instruments : prises de participation directe, investissements dans des fonds, prêts, garanties… En gros, un tiers de notre bilan actuel est investi dans des fonds, et deux tiers de nos actifs consistent en investissements directs. Sur une base annuelle, nous consacrons généralement 80% de nos nouveaux engagements à des investissements directs et 20% à des fonds.
Les infrastructures représentent un tiers de notre portefeuille d’actifs [énergie, télécommunications, routes, ports…]. Environ 30% de nos investissements passent par les banques pour atteindre les PME. Notre coupon d’investissement minimum est de 25 millions de dollars, soit plus que les besoins des PME en Afrique subsaharienne, que nous soutenons via les banques et les fonds d’investissements. Viennent ensuite l’agriculture [8% à 9% de notre portefeuille], l’industrie manufacturière, l’enseignement privé, la santé privée et l’immobilier.
Nous avons un programme de capital-risque de 150 millions de dollars, dont la moitié est consacrée à l’Afrique
Soutenez-vous également les start-up ?
Nous avons un programme de capital-risque de 150 millions de dollars, la moitié est consacrée à l’Afrique, l’autre moitié à l’Asie. CDC est également l’un des premiers investisseurs dans M-Kopa [systèmes solaires domestiques]. Cela dit, les cycles de collecte de fonds de nombreuses start-up africaines n’atteignent pas encore des niveaux suffisants pour des investissements directs de CDC.
Quelles sont les principales différences entre CDC et les autres institutions financières de développement (DFI) occidentales ?
Nous sommes la plus ancienne DFI au monde, et nous célébrons notre 72e anniversaire cette année. Nous partageons avec nos collègues le double mandat d’investir pour obtenir un rendement et pour avoir un impact sur la vie des gens, et nous réalisons des opérations ensemble.
Mais notre capital est détenu à 100 % par le ministère britannique du Développement international (DFID), et notre bilan n’est pas grevé par de la dette. Ce qui nous donne plus de flexibilité que d’autres, nous pouvons prendre plus de risques, investir sur le long terme [vingt-trente ans…]. Résultat : 80 % de nos investissements sont des prises de participation au capital, alors que, pour la plupart des autres DFI, 80 % de leurs engagements sont des prêts. De plus, nous nous concentrons davantage sur l’Afrique.
Nous sommes aujourd’hui probablement le plus grand investisseur en fonds propres au sud du Sahara.
À quoi cela est-il dû ?
En 2004, la CDC a été scindée pour former Actis, la société de capital-investissement, et, pendant les huit années suivantes, nous avons surtout fonctionné comme un fonds de capital-investissement consacré aux marchés émergents [avec des actifs en Amérique latine, en Asie du Sud-Est, en Chine…]. En 2012, le gouvernement britannique a décidé que CDC reviendrait au modèle plus traditionnel d’une institution de développement investissant plus directement, avec un accent particulier sur l’Afrique [notamment l’Afrique subsaharienne] et l’Asie du Sud.
Notre mandat géographique est plus restreint, et la majeure partie de notre portefeuille se trouve en Afrique. Nous sommes aujourd’hui probablement le plus grand investisseur en fonds propres au sud du Sahara. Mais nous avons réalisé des opérations importantes, récemment, en Égypte et au Maroc, avec 200 millions de dollars pour une prise de participation de 5 % dans la BMCE Bank of Africa.
Quels sont vos objectifs de rentabilité ?
Nous avons un objectif de rendement de 3,5 % [en livres sterling] pour nos actionnaires. Depuis 2012, nous avons enregistré un rendement d’environ 7 % en livres sterling en moyenne annuelle. C’est un niveau satisfaisant, même si les dernières années ont été plus difficiles. Et 2020 sera une année très compliquée.
Les fonds de capital-investissement sont critiqués pour leur agressivité dans la quête de rendements. Cela ne contredit-il pas la mission de CDC ?
Lorsque nous investissons dans des fonds, nous indiquons clairement que les questions environnementales, sociales et de gouvernance [ESG] sont importantes. Et nous avons de nombreux exemples de sociétés qui ont modifié leurs comportements en conséquence.
Pour notre travail, le Brexit ne fait aucune différence
Dans les pays développés, le capital-investissement s’est longtemps concentré sur la maximisation des rendements. Mais, en Afrique, il en a été autrement : il faut plus de temps pour investir, les périodes de détention des actifs sont plus longues, les monnaies ne sont pas stables… Il a donc été plus difficile pour les capital-investisseurs africains d’obtenir le type de rendement qui attire l’épargne privée internationale, d’où leur dépendance vis-à-vis des institutions de financement du développement.
Dans le même temps, au milieu des années 1990, le secteur du capital-investissement était dans une situation similaire en Inde, alors qu’aujourd’hui c’est une très grande industrie avec beaucoup de capital privé, commercial.
Le Brexit aura-t-il un impact sur vos activités ? Ou sur la coopération avec les autres institutions de développement en Europe ?
Pour nous, cela ne fait aucune différence, car nous n’avons pas de mandat pour investir en Europe. Mais je pense que le travail de CDC sera de plus en plus important pour le Royaume-Uni, dans le cadre de son offre globale de développement, car les nouvelles relations commerciales et d’investissement en dehors de l’Europe deviennent plus cruciales. En tout cas, nous continuons à travailler avec FMO [Pays-Bas] ou Proparco [France] en Afrique.
Quelle place occupe le changement climatique dans vos décisions d’investissement ?
Désormais, chaque institution de développement doit prendre en compte la question climatique. Au cours des deux dernières années, nous avons eu beaucoup de projets dans les énergies renouvelables [environ 700 millions de dollars investis]. Nous avons cessé d’investir dans le charbon, nous avons durci nos opérations dans le secteur du pétrole et du gaz, et nous visons le niveau zéro d’émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050.