Situé sur le détroit de Malacca, non loin de Kuala Lumpur, Port Kelang est le principal port de Malaisie. Et tout comme la cité-État voisine de Singapour, c’est aussi une plaque tournante du trafic de pangolin, lucratif commerce illégal reliant l’Afrique à l’Asie.
Le 31 mars, alors que le monde se demandait encore si le petit mammifère insectivore avait été l’hôte intermédiaire à l’origine du coronavirus, les douaniers de Port Kelang saisissaient une cargaison de 6,16 tonnes d’écailles évaluée à 17,9 millions de dollars. En mai 2019, c’était 5,264 tonnes qui avaient été interceptées au Vietnam, dans deux conteneurs en provenance du Nigeria : les 151 sacs d’écailles étaient mélangés à une soixantaine de sacs remplis de noix de cajou.
Sur le site de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) consacré au pangolin, la sombre litanie des chiffres prouve que l’Asie est bien la destination finale du trafic. Février 2019 : 30 tonnes d’animaux congelés saisies en Malaisie. Avril et juillet 2019 : 25,6 et 11,9 tonnes saisies à Singapour. Décembre 2019 : 20,9 tonnes saisies en Chine…
Capturé dans 14 pays d’Afrique
D’où viennent les animaux ? D’après une étude publiée dans le journal scientifique Conservation Letters en 2017, ce sont entre 500 000 et 2,7 millions de pangolins qui seraient capturés chaque année dans 14 pays d’Afrique, dont le Cameroun, la Centrafrique, la Guinée, le Gabon, la RDC, le Congo et le Nigeria.
En réalité, c’est de ce dernier pays que part une grande majorité des pangolins ou de leurs écailles destinés à la consommation asiatique. Selon un rapport de la Wildlife Justice Commission (WJC) disponible en ligne, sur les 206,4 tonnes saisies lors de 52 interventions des douanes entre 2016 et 2019, 113 l’ont été au Nigeria et 75 au Vietnam. Pour la WJC, le trafic de pangolins, qui représente 20 % du trafic illégal de mammifères, relie ces deux pays en passant par le détroit de Malacca.
Il ne reste, pour satisfaire les besoins des consommateurs asiatiques, que les quatre espèces africaines
Si ce commerce, strictement interdit depuis 2016, s’est développé ces dernières années, c’est tout simplement parce que les quatre espèces asiatiques de pangolin ont été littéralement décimées. L’une d’elle est désormais classée « en danger d’extinction », tandis que les trois autres sont « en danger critique », dont le fameux pangolin de Chine. Il reste donc, pour satisfaire les besoins des consommateurs chinois ou vietnamiens, les quatre espèces africaines.
D’ailleurs, sur les marchés du Gabon ou du Nigeria, les prix auraient augmenté depuis les années 1990. Ils auraient ainsi été multipliés par 5,8 pour les deux espèces terrestres (Smutsia gigantea et Smutsia temminckii) et par 2,3 pour les espèces arboricoles (Phataginus tricuspis et Phataginus tetradactyla).
Selon l’UICN, le pangolin est aujourd’hui le mammifère le plus braconné de la planète, à la fois pour sa viande et pour les vertus prêtées à ses écailles dans la pharmacopée traditionnelle – aussi bien en Afrique qu’en Asie.
Bien que discret et plutôt nocturne, cet animal amateur de fourmis et de termites n’a guère d’ennemis : effrayé, il se roule en boule et compte sur ses écailles pour le protéger des prédateurs. Pour l’homme, il est alors facile de le ramasser et de le fourrer dans un sac. Toutes les cinq minutes en moyenne, un animal serait capturé par des braconniers…
Risque modéré pour les braconniers
Évidemment, les autorités des pays concernés luttent tant bien que mal contre ce trafic. Ainsi, le 3 mars, à Abidjan, 3,5 tonnes d’écailles ont été brûlées de manière à décourager les trafiquants.
Et pas plus tard que le 7 avril, le Herald du Zimbabwe rapportait qu’un certain Cleopas Dube, en possession d’un pangolin qu’il entendait revendre pour quelque 1 000 dollars, avait été condamné à 620 heures de travaux d’intérêt général au poste de police de Binga !

Des écailles de pangolin saisies par les douanes en Malaisie, en août 2017. © Vincent Thian/AP/SIPA
C’est sans doute la faiblesse et la rareté des sanctions qui permettent à ce commerce illégal de prospérer
Reste que c’est sans doute la faiblesse et la rareté des sanctions imposées aux contrevenants qui permettent à ce commerce illégal de prospérer. Au Nigeria, où sont vraisemblablement centralisés les mammifères capturés dans les pays limitrophes, le braconnage est passible d’une peine maximale de un an de prison et d’une amende de 5 millions de nairas (environ 12 000 euros). Au prix du kilo d’écailles, et pour peu que l’on tombe sur un douanier ou un juge compréhensif, le risque demeure modéré.
Au Zimbabwe, la fondation Tikki Hywood soigne et relâche les pangolins récupérés par les gardes-chasse tout en menant des campagnes de sensibilisation auprès du grand public. Elle a ainsi collaboré avec le photographe Adrian Steirn et le bijoutier Patrick Mavros : les ventes de leurs œuvres, et leur médiatisation, ont bénéficié à la cause de l’animal.
Un temps, la pandémie actuelle et la mise en cause initiale du pangolin dans la transmission du coronavirus – aujourd’hui contestée par la communauté scientifique – ont pu laisser penser que le braconnage allait diminuer. Il semblerait que ce ne soit pas le cas : la Chine a bien interdit la vente et la consommation d’animaux sauvages, mais ce n’est pas la première fois qu’elle le fait, sans résultats probants.