Nombre de lits de réanimation et de respirateurs : où en est l’Afrique ?

Nécessaires pour traiter les patients les plus sévèrement atteints par le Covid-19, les lits de réanimation et les respirateurs manquent en Afrique. Le point sur le matériel disponible et sur la réalité des besoins.

A l’entrée de l’hôpital Tygerberg, à Cape Town, en AFrique du Sud, le 6 avril 2020. © Nardus Engelbrecht/AP/SIPA

A l’entrée de l’hôpital Tygerberg, à Cape Town, en AFrique du Sud, le 6 avril 2020. © Nardus Engelbrecht/AP/SIPA

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Publié le 8 avril 2020 Lecture : 5 minutes.

C’est la grande question que se posent tous les spécialistes de la pandémie de coronavirus, et elle est particulièrement d’actualité en Afrique où le nombre de malades est encore limité, mais où les systèmes de santé comptent parmi les plus fragiles. Combien chaque pays possède-t-il de lits de réanimation, combien de respirateurs ?

Les lits de réanimation, explique le Dr Moumouni Kinda, directeur des opérations de l’organisation non gouvernementale ALIMA, qui est notamment intervenue pour soigner des malades atteints de la fièvre Ebola, sont des unités « de soins spécialisés qui ont pour but de suppléer à une défaillance vitale d’un ou de plusieurs organes de l’organisme ».

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Quant aux respirateurs, ils sont utilisés lorsque la défaillance évoquée est d’ordre respiratoire, « ce qui est en général le cas avec le Covid-19 », poursuit le médecin.

En théorie, il devrait être facile de savoir combien de ces matériels sont opérationnels pays par pays. En réalité – et la directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Afrique, Matshidiso Moeti, l’a déploré publiquement la semaine dernière – , il est très difficile d’obtenir ces informations, même pour les grandes agences internationales.

Jeune Afrique a toutefois pu recueillir des données pour certains pays. Des informations qui sont cependant parfois parcellaires, et pas toujours confirmées officiellement. 

Combien de lits de réanimation ?

Si l’on s’en tient aux nombre de lits de réanimation, voici les chiffres disponibles par pays :

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– 15 au Burkina Faso (dont 8 pour le seul CHU de Tengandogo).
– 15 en Somalie.
– 20 en République du Congo.
– 22 au Gabon.
– 25 au Malawi.
– 40 au Mali.
– 50 en RDC.
– 55 en Ouganda.
– 130 au Kenya.
– 80 au Sénégal.
– 450 à 500 en Tunisie.
– 1 000 en Afrique du Sud (dont une bonne partie au sein des établissements du groupe privé Netcare).
– 2 500 en Algérie (mais beaucoup jugent ce chiffre très optimiste et parlent de quelques centaines).
– 3 000 au Maroc.

Des chiffres pas toujours confirmées par les autorités ou, à l’inverse, annoncés officiellement mais probablement surévalués et ne prenant pas en compte le fait que certains de ces équipements, s’ils existent, ne sont pas forcément en état de fonctionner.

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Combien de respirateurs ?

Pour ce qui est des respirateurs, un récent article paru dans le Financial Times assurait qu’il n’y en avait qu’un pour toute la Sierra Leone. Pour les autres pays, les chiffres sont les suivants :

– 3 en République centrafricaine.
– 4 au Togo (où 250 appareils sont en commande).
– 5 au Niger.
– 10 en République du Congo.
– 11 au Burkina Faso.
– 15 à 20 au Cameroun.
– 20 en Côte d’Ivoire (où 18 ont été commandés début avril).
– 56 au Mali, selon le ministère de la Santé (15 dans le privé, 41 dans les hôpitaux publics, et 60 autres en commande auprès du fournisseur chinois Mindray).
– 60 en Tanzanie.
– 80 au Sénégal.
– 400 à 500 appareils au Nigeria (mais les plus pessimistes en évoquent seulement 169).
– 2 500 en Algérie, selon les autorités, qui tentent actuellement de mettre sur pieds une filière de fabrication locale.
– 3 000 au Maroc, où les autorités sont engagées dans la même démarche et annoncent 500 nouvelles unités produites dès la semaine prochaine.
– 6 000 en Afrique du Sud, dont 4000 dans les établissements privés.

Comment évaluer les besoins ?

Ces valeurs, toutefois, n’ont de sens que si on les compare à la taille de la population de chaque pays. Et bien entendu, ces matériels ne sont nécessaires que pour une faible proportion des malades atteints du coronavirus.

Traditionnellement, les médecins calculent que le nombre de lits de réanimations disponibles doit être égal à 19 % du total des personnes malades au plus fort de la pandémie. Ce qui correspond à la proportion moyenne de cas « sévères » pouvant nécessiter le placement en réanimation et/ou sous assistance respiratoire.

On en déduit la notion de « seuil critique », c’est-à-dire le nombre total de patients infectés au-delà duquel le système de santé sera submergé.

En se basant sur les nombres de lits annoncés ici, le seuil critique est de 79 au Burkina Faso, mais de 15 789 au Maroc.

Le Dr Kinda valide ce calcul, mais tient à le nuancer : « Nous ne savons pas vraiment quels vont être les chiffres en Afrique. S’il y a des hypothèses tablant sur moins de cas sévères du fait de la jeunesse de la population, il est tout aussi légitime de penser qu’il pourrait y avoir plus de cas que dans les pays développés du fait d’une vulnérabilité plus grande de la population dans les pays pauvres. »

Le nombre de personnes qualifiées compte autant que le matériel

De plus, le matériel n’est pas seul en cause, rappelle le médecin. Le problème tient aussi au personnel disponible et formé : « Il ne faut pas se baser uniquement sur le nombre de lits de réanimation. Le nombre de personnes qualifiées pour assurer de bons soins de réanimation compte tout autant, et en général il s’agit d’équipes pluridisciplinaires. Dans beaucoup de pays, les mêmes équipes sont parfois utilisées dans plusieurs structures de soins, ce qui est un facteur limitant si on augmente le nombre de lits sans renforcer les ressources humaines. »

Ces chiffres sont-ils inquiétants ?

L’Afrique est, globalement, sous-équipée, et effectivement il y a de quoi s’en inquiéter. Surtout dans un contexte où d’autres grands pays, États-Unis en tête, vont se lancer dans la surenchère pour obtenir le plus grand nombre de respirateurs possible sur les marchés internationaux.

Les pays avec des ressources limitées doivent prendre de l’avance

L’avantage du continent réside dans le fait que la pandémie de coronavirus n’y flambe pas encore et que comme le répètent les spécialistes, notamment ceux de l’OMS et des Nations unies, il est encore temps de prendre des mesures de prévention qui éviteront, demain, une explosion du nombre de malades et des mesures de restriction très dures.

« Il est vraiment utile pour les pays avec des ressources limitées de prendre de l’avance et d’éviter justement qu’il n’y ait énormément de cas qui aient besoin de soins lourds de réanimation, martèle donc le Dr Kinda. Le débat sur le nombre de lits de réanimation se justifie en raison du contexte de panique générale, mais plus largement, c’est de l’adéquation des ressources mobilisées pour chaque pays que nous devons parler. Très clairement nous avons vu l’ensemble du système de soins des pays développés être dépassés par cette pandémie. Donc je peux confirmer que la situation dans les pays africains est inquiétante car les ressources en générale sont insuffisantes, celles en réanimation en particulier. Cette crise est une occasion pour l’ensemble des pays de reconsidérer, certainement à la hausse, les ressources allouées à la santé. »

Plus que jamais, l’heure est donc aux tests, aux mesures barrière, au respect des distances, au port du masque et, surtout, à la prise en charge précoce de tous les cas identifiés. Leur nombre encore relativement réduit le permet encore, mais cela risque de ne pas durer.

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